Téléphonie mobile en Algérie : pourquoi le gel du Conseil de la concurrence ?

L'énorme marché de la téléphonie mobile en Algérie est source de luttes feutrées entre opérateurs.
L'énorme marché de la téléphonie mobile en Algérie est source de luttes feutrées entre opérateurs.

L’opérateur Nedjma accuse OTA Djezzy de pratiques déloyales pour rester maître du marché relevant "l’écart substantiel entre le faible niveau des investissements et la croissance massive du nombre d’abonnés de l’opérateur dominant" (Orascom Télécom Algérie, OTA Djezzy).

Ainsi selon Nedjma "l’évolution des parts de marché n’est plus liée aux investissements réalisés, ni à la performance commerciale mais uniquement à la capacité de l’opérateur dominant de renforcer sa puissance au travers de pratiques abusives". Ainsi, la valeur globale du marché serait fortement concentrée au profit de l’opérateur dominant OTA qui a atteint, en 2011, un chiffre d’affaires de 135 milliards DA, pour 59 milliards DA à WTA et 53 milliards DA à ATM (Mobilis). Pour l’autorité de régulation, le problème n’est pas d’empêcher "la dominance qui est caractéristique du marché concurrentiel, mais l’abus de dominance qui est une pratique répréhensible", étant à la charge de l’ARPT "la détermination du seuil de dominance". Sans oublier le litige entre Djeezy et le gouvernement algérien non résolu à ce jour, cette polémique au niveau du secteur de la téléphonie mobile, entre Algérie Télécom et Nedjma concernant la volonté de l’opérateur public d’investir 2,5 milliards de dollars afin d’avoir plus de part de marché ne concerne pas uniquement ce secteur mais renvoie en fait au gel du conseil de la concurrence qui sous d’autres cieux joue un rôle stratégique afin de protéger le consommateur contre les abus d’une position dominante. Il est en effet, démontré - cela étant une loi économique universelle - que tout monopole est source de surcouts sans parler de la qualité du service ou du produit. Car, l’économie de marché ne saurait signifier anarchie, mais doit être encadrée par des institutions fiables et crédibles afin de réaliser la symbiose des rôles respectifs complémentaires et non antinomiques entre l’Etat et le marché, comme l’ont démontré tous les prix Nobel d’économie entre 2000/2011.

Composition et fonctionnement du Conseil de la concurrence

Selon les articles 23 et 25, ce Conseil jouissant de la personnalité juridique et de l'autonomie financière est composé de neuf membres, dont un président et un vice-président exerçant à plein temps nommés par décret présidentiel, pour une durée de cinq années, renouvelable relevant des catégories deux membres exerçant ou ayant exercé au Conseil d'Etat, à la Cour suprême ou à la Cour des comptes en qualité de magistrat ou de conseiller et de sept membres choisis parmi les personnalités connues pour leur compétence juridique, économique ou en matière de concurrence, de distribution et de consommation, dont un choisi sur proposition du ministre chargé de l'Intérieur. Ils exercent leurs fonctions à plein temps. Selon l'article 27 le Conseil de la concurrence adresse un rapport annuel d'activité à l'instance législative, au Chef du gouvernement, au premier ministre depuis la modification de la Constitution, et au ministre chargé du Commerce. Le rapport est rendu public un mois après sa transmission aux autorités visées ci-dessus. Il est publié au Journal officiel de la République algérienne démocratique et populaire. Il peut également être publié en totalité ou par extraits dans tout autre support d'information. Dans ce cadre, le Conseil de la concurrence est chargé notamment de fixer les conditions d'exercice de la concurrence sur le marché ; de prévenir toute pratique restrictive de concurrence ; et de contrôler les concentrations économiques afin de stimuler l'efficience économique et d'améliorer le bien-être des consommateurs. Dans les articles 36 et 37 il est précisé que le Conseil de la concurrence est consulté sur tout projet de texte réglementaire ayant un lien avec la concurrence ou introduisant des mesures ayant pour effet, notamment, de soumettre l'exercice d'une profession ou d'une activité, ou l'accès à un marché à des restrictions quantitatives ; d'établir des droits exclusifs dans certaines zones ou activités ; d'instaurer des conditions particulières pour l'exercice d'activités de production, de distribution et de services ; de fixer des pratiques uniformes en matière de conditions de vente. Ce dispositif relatif à la concurrence a pour souci d'harmoniser la législation algérienne avec les normes internationales, notamment européennes à l'instar de l'article 41 de l'Accord d'Association avec l'Union européenne dans son annexe 5 en prohibant notamment les pratiques et actions concertées, conventions et ententes expresses ou tacites ainsi que les abus de position dominante ou monopolistique sur un marché ou un segment de marché, ces pratiques étant interdites lorsqu'elles ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le libre jeu de la concurrence dans un même marché ou dans une partie substantielle de celui-ci. En termes plus précis - l'abus de l'état de dépendance économique (art. 11) ; la constitution de monopoles à l'importation par le biais de contrats d'achats exclusifs (art. 10) ; et la pratique de vente à des prix abusivement bas (art. 12). Ainsi le Conseil, selon la loi, doit instaurer, à travers ses articles 40 à 43, un cadre de coopération entre le Conseil de la concurrence et les autorités étrangères de concurrence, en vue d'assurer la mise en œuvre adéquate des législations nationale et étrangère et de développer entre ces institutions des relations de concertation et d'échange d'information et ce, dans le respect des règles liées à la souveraineté nationale, à l'ordre public et au secret professionnel. Il faut éviter les passions et se conformer dans tout Etat de droit à la loi. La loi sur la concurrence prohibe clairement à tout producteur ou importateur le monopole soit par une baisse arbitraire des prix pour éliminer illégalement ses concurrents soit par des rentes de monopole pour les hausser, ne pouvant détenir une part de marché supérieure à 40% dérogeant exceptionnellement pour les services publics, ce taux étant au niveau international plus bas d'environ 30%.

A l'instar de certaines institutions de la République, comme la Cour des comptes, le Conseil de la concurrence née avec l'ordonnance numéro 95-06 du 25 janvier 1995 qui relevait de la présidence de la République a subi une modification législative par l'ordonnance numéro 03-03 du 19 juillet 2003, mis sous tutelle du Chef du gouvernement mais en réalité du ministre du Commerce, est gelée. Sous la pression des évènements, le gouvernement a annoncé à maintes reprises réactivation mais en réalité toujours gelé. Aussi, au moment où l'actualité est dominée par le thème de l'inflation, de la détérioration du pouvoir d'achat de la majorité avec une désorganisation des marchés, la dominance de la sphère informelle, la concentration du revenu national au profit d'une minorité rentière, des réserves de change de plus de 190 milliards de dollars, je propose de faire une synthèse de l'ordonnance sur la concurrence. La loi datant du 2 juillet 2008, modifiant et complétant l'ordonnance numéro 03-03 du 19 juillet 2003 ne modifie pas l'essentiel puisque bien que complétant la loi numéro 04-02 du 23 juin 2004, obligeant les agents économiques d'établir une facture ou un document lors de toute vente de biens ou prestation de services effectuées, elle consacre la liberté des prix, mais pouvant "être procédé temporairement à la fixation, au plafonnement ou à l'homologation des marges".

Que prévoit la loi en cas de monopole ?

Selon les articles 4 et 5, les prix des biens et services sont librement déterminés par le jeu de la concurrence. Toutefois, l'Etat peut restreindre le principe général de la liberté des prix temporairement lorsque les biens et services sont considérés stratégiques par l'Etat pouvant faire l'objet d'une réglementation des prix par décret, après avis du Conseil de la concurrence. Mais d'une manière générale selon l'article 7 de cette présente loi est prohibé tout abus d'une position dominante ou monopolistique sur un marché ou un segment de marché tendant à limiter l'accès au marché ou l'exercice d'activités commerciales ; contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ; répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement ; faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ; appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence et subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats. S'agissant précisément des concentrations économiques, l'ordonnance de 2003 avalisée par celle de 2008 précise que les agents économiques doivent notifier à ce Conseil leurs opérations de concentration lorsqu'elles sont de nature à porter atteinte à la concurrence et qu'elles atteignent un seuil de plus de 40% des ventes ou achats à effectuer sur un marché. C'est dans ce cadre que la loi seulement consacre une exception à ce principe en accordant la faculté au Gouvernement d'autoriser, lorsque l'intérêt général le justifie, les concentrations économiques rejetées par le Conseil de la concurrence à chaque fois que des conditions économiques objectives le justifient. Ainsi, deux questions se posent : pourquoi donc l'Etat n'a-t-il pas appliqué ses propres lois ? Et puisque l'on parle du combat contre le monopole économique, source de rentes de situation, il faut également combattre le monopole politique mais également social aussi néfaste. Ce n'est pas la faute d'un ou de quelques privés mais la responsabilité en incombe à l'Etat qui n'a pas fait jouer son rôle de régulateur stratégique en économie de marché véritable qui doit reposer sur la concurrence, s’expliquant par des jeux de pouvoir, des liens dialectiques entre la logique rentière et la logique du monopole. Ce gel favorise le passage d'un monopole public à un monopole privé surtout pour des produits auxquels 70% de la population consacre 80% de leurs revenus, donc des enrichissements sans corrélation avec l'effort fourni, monopole beaucoup plus néfaste que le monopole public. Car la logique de tout secteur privé est le profit maximum et le privé algérien n'échappe pas à cette règle universelle. Mais en créant d la richesse dans un cadre concurrentiel, le secteur privé productif concourt indirectement à accroitre le taux de croissance et le taux d’emploi. Inversement le secteur privé spéculatif en situation de monopole détruit de la richesse. La tentation aussi néfaste serait de vouloir revenir au monopole public qui a démontré son inefficacité.

Dans la pratique des affaires mondiales, les pénalités pour ces rentes se comptent en millions, voire en centaines de millions de dollars en cas de non-respect de la concurrence. C'est que l'Algérie a les meilleures lois du monde mais les pratiques contredisent ces lois. La mentalité du bureaucrate est de croire qu'en faisant de nouvelles lois, qui parfois contredisent celles existantes, comme le combat de manière administrative de la sphère informelle, l'obligation de paiement par chèque au-delà de 500.000 dinars qui devait être effectif le 02 avril 2011, très vite abandonnée, oubliant par ailleurs qu'existent une intermédiation financière informelle, où l’on peut lever des dizaines de milliards de dinars en cash à des taux d’usure. Ce manque de vision a été, également, le cas de la non-transition du Remdoc, où la traçabilité invoquée existe déjà au Crédoc, pratique normale sous d'autres cieux qui a renforcé des monopoles de fait pénalisant, surtout les gros importateurs, la majorité des PME/PME qui ont une surface financière limitée, le tissu de l'économie algérienne étant composée à plus de 90% de petites entreprises familiales peu initiées au management stratégique, avec la dominance de la tertiairisation de l’économie, en fait de la sphère informelle, avec un monopole informel, renforçant le passage d'un monopole public à un monopole privé à l'importation de type spéculatif. Il s’ensuit une corruption socialisée que l’on essaie de combattre vainement la par plusieurs organes administratifs alors que cela relève d'une profonde moralisation des institutions, l'essence du mal étant le manque de visibilité et de cohérence dans la politique socio-économique de l'Algérie en fait à l'instauration d'un Etat de droit et à une bonne gouvernance.

La fin d’un monopole avec une saine concurrence est liée à la morale. Mais, la pratique des affaires ne s’accommode pas souvent de la morale d’où l’urgence de l’Etat régulateur stratégique tant au niveau local que mondial. Et comme l’économie algérienne est une économie totalement rentière, le problème de cette polémique autour de la position dominante entre les opérateurs de téléphonie mobile entre Nedjma, Djeezy et Algérie Télécom avec pour corollaire le gel du Conseil de la concurrence, ne voile-t-elle pas une lutte pour le partage de la rente ? Cette polémique ne suit-elle pas aux investissements étrangers porteurs en Algérie qui ont besoin d’une visibilité dans la démarche de la politique socio-économique, se fondant sur une saine concurrence et ce, dans tous les segments d’autant plus que l’Algérie est liée à un accord pour une zone de libre-échange avec l’Europe depuis le 1er septembre 2005 et qu’elle aspire à adhérer à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dont elle est observatrice depuis 1987 ?

Abderrahmane Mebtoul, Professeur des universités, expert international en management stratégique

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كلية الحقوق

bon site de nouvelles

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Aghioul Amchoum

Pour que Toufik Mediene et Nazar Khelad investissent sans concurrents.