Restes mortuaires de résistants algériens : Ali Belkadi écrit à Marianne

Ali Farid Belkadi, chercheur.
Ali Farid Belkadi, chercheur.

Mise au point adressée par Ali Belkadi aux journalistes Renaud Leblond et son larron Yves Stavridés du journal Marianne

Résumé :

Note sur le mode de fonctionnement des mécanismes de la conscience coloniale, de sinistre mémoire, ou comment deux journaleux français en mal de copie, tentent à notre époque de manipuler l'information en se substituant subrepticement aux chercheurs et aux historiens algériens.

Renaud Leblond et son larron Yves Stavridés deux escamoteurs sans ampleur journalistique, ont déformé mes propos dans un article paru dans Marianne, consacré à l’Algérie. J’ai adressé une mise au point à ce journal. Celle-ci n’a pas été publiée.

Un responsable du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris m’écrit à ce sujet : "Cher Monsieur Belkadi, Les journalistes prennent souvent, en effet, beaucoup de libertés avec les faits, et il est bien rare qu'ils fassent vérifier leurs "informations" avant de les publier... C'est navrant".

La Mise au point

"Monsieur le Directeur de la publication.

Des passages de l’article Renaud Leblond et Yves Stavridès : "Point de divergence toujours présent, les restitutions de documents historiques ou de restes humains provoquent encore des tensions entre les deux pays". (Pages 126/127, Marianne n° 779 du 24 au 30 mars 2012), sont inexacts, voire approximatifs, en ce qui concerne mes activités de recherche au Muséum de Paris.

Je vous prie de bien vouloir publier dans votre journal la mise au point suivante :

Il semblerait que M. R. Leblond n’a pas tenu compte des indications que je lui ai fourni par téléphone -j’ai passé une trentaine de minutes au téléphone avec M. Leblond, en outre je l’ai amplement documenté par email sur le sujet, en lui adressant entre autres les 139 pages des actes d’un colloque qui s’est tenu au Quai Branly concernant les restes mortuaires détenus dans les musées européens. Les deux journalistes écrivent avec beaucoup de désinvolture :

"Sur les 37 crânes identifiés, cinq appartiennent à des chérifs kabyles qui se sont battus comme des démons contre le corps expéditionnaire français"...

Ces chefs de la résistance algérienne, à l’occupation française ne sont pas d’origine kabyle (le pays berbère situé à l’est d’Alger). Ils ne sont pas cinq chefs, mais six.

Bouziane était originaire du sud de l’Aurès (Biskra), Mokhtar Al-Titraoui du Titteri (Hauts Plateaux). Moussa Al-Darkaoui qui combattit l’émir Abdelkader le 20 avril 1835 dans la région de Médéa, était d’origine égyptienne. Ben Kedida était de Tébessa. Tous appartenaient à la confrérie des irréductibles Derkaoua. Les restes mortuaires de ces chefs, proviennent du don fait au Muséum de Paris par la famille du docteur Vital, médecin à l’hôpital de Constantine, Les ossements sont entrés au Muséum de Paris en 1880.

Ce sont :

1. Bou Amar Ben Kedida, (crâne) N° 5943 dans les registres du Muséum.

2. Boubaghla, (crâne) N° 5940.

3. Mokhtar Al-Titraoui, (crâne) N° 5944.

4. Cheikh Bouziane, (crâne) N° 5941.

5. Si Moussa Al-Darkaoui, (crâne) N° 5942.

6. Aïssa Al-Hamadi, lieutenant de Boubaghla, (tête momifiée) n° 5939.

Mrs Leblond/Stavridés écrivent encore :

"Cheikh Bouziane, un lieutenant de l'émir Abd el-Kader, tombé aux mains des Français après une méchante bataille livrée dans l'oasis de Zaatcha, le 26 novembre 1849"...

Les termes "méchante bataille" ne sont guère adaptés à ce qui fut un carnage sans nom, un abattoir en règle, une barbare décimation de populations innocentes. La totalité de la population de l’oasis des Zaatchas, plus d’un millier d’hommes, de femmes et d’enfants, fut anéantie le 26 novembre 1849, par les colonnes des colonels Barral, Canrobert, Lourmel et le commandant Bourbaki. La vieille mère, la femme et la fille du Cheikh Bouziane n’eurent pas la chance d’être déportées dans les appartements somptueux du château d’Amboise, comme le fut la famille de l’émir Abdelkader qui finit sa vie en Syrie, largement renté par Napoléon III. Les membres de la famille de Bouziane furent achevés à à la baïonnette par les soldats du corps expéditionnaire français. Les derniers mots du Cheikh Bouziane furent : "Vous avez été les plus forts. Dieu seul est grand, Dieu est vainqueur, que sa volonté soit faite". Voilà pour ce terme trivial de méchanceté. L’image de ces chefs de guerre demeure inaltérée dans l’imagerie populaire algérienne. Ces insurgés sont restés cohérents dans leur lutte anticoloniale jusqu’à leur dernier souffle, au nom de la guerre juste, prônée par le grand Saint Augustin (354-430) cet autre algérien, qui exerce jusqu’à nos jours une grande influence sur le développement de la pensée chrétienne : "Sont dites justes, les guerres qui vengent les injustices, écrit-il, dans la Cité de Dieu. Le corps expéditionnaire français, prit pied en Algérie sans déclaration de guerre préalable. L’outrage fait par un dey turc décadent à un consul insolent, fut le sujet d’un conflit armé disproportionné, déclenché par le roi de France pour des intérêts économiques sordides. Mrs Leblond/Stavridés notent encore :

Contrairement à ce que chante la presse algérienne : "37 crânes d'honorables résistants algériens" parmi lesquels, on dénombre une douzaine de tirailleurs kabyles ou arabes "morts au service de la France"...

Renaud Leblond et Yves Stavridès semblent faire feu de tout bois, en amalgamant les collections du Muséum de Paris. Celle du Dr Vital ne comprend par de tirailleurs-supplétifs de l’armée française, selon l’inventaire précis des restes mortuaires que j’ai pu établir patiemment au MNHN de Paris, avec l’aide précieuse de Mr Ph. Mennecier.

La collection Guyon/ Flourens qui concerne d’autres restes mortuaires algériens, dont ceux de supplétifs de l’armée française, n’a rien à voir avec la liste des 37 résistants algériens. Guyon décrit dans une lettre les restes d’un militaire indigène mort pour la France à Alger. Il envoie le crâne par colis le samedi 21 août 1844, le destinataire est le Pr Flourens. Une autre fois le chirurgien Guyon écrit à son collègue Florens: "Messaoud, sergent aux zouaves à Alger, né à Tombouctou en 1813, envoi par colis le mardi 1 octobre 1839, signé Guyon".

Le vendredi 25 août 1843, Flourens réceptionne de la part du même Guyon un colis contenant quatre têtes de sujets engagés volontaires dans l’armée française, il s’agit du crâne d’un janissaire recruté par l’armée française, d’un Kouloughli (c’est ainsi que sont nommés les hybrides nés de père turc et de mère indigène) et de deux autochtones d’origine arabe.

Têtes de choix et gueux célèbres

La tête de Bouziane (n° 5941 au MNHN de Paris) fut coupée et fixée au bout d’une baïonnette à la fin du siège de Zaâtcha. Elle a été conservée comme celles de Boubaghla (n° 5940 au MNHN de Paris) et du chérif Bou Kedida (n° 5943 au MNHN de Paris), qui fut tué dans un combat livré sous les murs de Tébessa par le lieutenant Japy. C’est V. Reboud qui les a envoyées à ce musée. Il le dit dans une lettre. Chacune des têtes était accompagnée d’une étiquette, longue bande de parchemin, portant le nom du chérif décapité, la date de sa mort, le cachet du bureau politique de Constantine. Reboud se vante d’avoir réuni "une série de têtes de choix et d’une bonne conservation", provenant en grande partie du Coudiat-Aty, autrement dit le musée de Constantine à ses débuts.

En 1855, la municipalité de Constantine qui venait d’acquérir la collection punique de Costa Lazare, porta son choix sur le plateau de Koudiat Aty, pour la réalisation du musée, sur l’emplacement même d’une nécropole punique, définitivement perdue pour les chercheurs du domaine de l’archéologie.

Auparavant ce musée avait l’air d’un cagibi. Les têtes réunies par Reboud, qui étaient mêlées aux bracelets, lampes lacrymatoires et à d’autres autres objets hétéroclites entreposés pêle-mêle dans ce réduit, furent remises au naturaliste A. de Quatrefages. Reboud avant de clouer la caisse pour l’envoi au Muséum de Paris, demanda à René Vital, le frère du collectionneur Dr Edmond Vital :

- Pourriez-vous enrichir mon envoi au Muséum, de quelques crânes intéressants ...

Le Dr Vital venait de décéder et sa famille ne savait plus quoi faire des restes mortuaires des résistants algériens qui étaient entreposés dans de la poudre de charbon, dans les combles du domicile de Vital.

Le frère du Dr Vital répondit :

- Prenez tout ce que mon frère a laissé, vous y trouverez des têtes de gueux célèbres (sic) et vous ferez le bonheur de mes servantes, qui n’osent monter au galetas, parce que l’une de ces têtes a conservé ses chairs fraîches, et que malgré la poudre de charbon dans laquelle elle est depuis de nombreuses années, elle répand une odeur sui generis.

Grâce à René Vital, le Muséum de Paris s’enrichit ce jour-là d’une vingtaine de nouvelles têtes, d’algériens célèbres.

Renaud Leblond et Yves Stavridès écrivent encore : "Sachant que tous ces crânes ou presque ont été récupérés par des médecins militaires, et que leurs familles en ont fait cadeau au muséum, en droit, le don est synonyme de patrimoine imprescriptible"...

Aucune famille n’a jamais fait don de ces restes mortuaires à un quelconque médecin militaire, comme nous l’avons vu dans le cas du Dr V. Reboud.

"Mais si l'Algérie réclame le rapatriement des 37 décapités, dont les supplétifs «morts pour la France», les discussions dans l'Hémicycle promettent d'être intéressantes"...

C’est du verbiage délirant. Les deux journalistes ne se retiennent plus, on est en pleine énurésie verbale. Parmi les 37 décapités ne figure aucun supplétif. Le tri effectué par moi-même au MNHN fut pointilleux. Les supplétifs morts pour la France ne figurent pas dans mes préoccupations. Les supplétifs et les harkis, ce n’est pas le genre de la maison".

Ali Farid Belkadi

Cette mise au point a été adressée au journal Marianne le 26 mars 2012. Non parue dans ce journal, elle a été publiée le 12 juin 2012 sur mon blog consacré à l’Algérie à l’époque coloniale :

http://restesmortuairesderesistantsalgeriensaumuseumdeparis.blogs.nouvelobs.com

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