L'école algérienne : la fuite en arrière !

Boubekeur Benbouzid, éternel ministre de l'Education nationale.
Boubekeur Benbouzid, éternel ministre de l'Education nationale.

"On n’enseigne pas ce que l’on veut ; je dirai même que l’on n’enseigne pas ce que l’on sait ou ce qu’on croit savoir : on n’enseigne et on ne peut enseigner que ce que l’on est." (1)

Nos dirigeants ont veillé dès l’Indépendance à arracher toutes les racines du système scolaire colonial. Seuls deux pays arabes ont osé suivre notre exemple : le Soudan et la Libye. De l’Arabie Saoudite berceau de l’Islam à l’Egypte pharaonique, nos frères, qui souvent ont débuté à partir de rien, un simple taleb dans un coin de la mosquée avec pour unique programme l’apprentissage du Coran, ont évolué avec prudence, audace même. L’éducation française jouissait d’un tel prestige que l’Egypte dès 1844 avait importé des écoles bleu-blanc-rouge et ça n’a rien à voir avec les Coptes, c’est Mohamed Aly (Méhémet Ali) (2) qui fut l’initiateur. On ne peut reprocher à Misr d’avoir saboté la langue arabe ni d’avoir trahi la religion, puisqu’elle détient le seul prix Nobel de littérature arabe tout en étant le fief des frères musulmans. Au pays des pharaons, il n’existe pas de système scolaire uniforme, l’Etat n’a aucun monopole, il y a plus d’écoles libres qu’officielles. On estime que les établissements étrangers possèdent 4 fois plus d’élèves que les autres. Avec cette fluidité cette diversité du savoir, on comprend mieux le leadership du bled de Nasser en ce qui concerne la culture et l’entêtante énergie de la jeunesse de la place Tahrir.

La très rigoureuse Arabie Saoudite s’est ouverte au savoir universel depuis les années 1980 avec ses écoles mixtes manarat (phare) lancées par le prince Mohamed Al Faisal Al Saoud. Dans ces manarat, les enfants de la famille royale côtoient les autres sans distinction de race de classe de fortune, une ex élève de ces "phares" est même parvenue à devenir la plus proche conseillère d’Hillary Clinton (3). Aux Emirats Arabes, la majorité des établissements scolaires suivent le programme anglais ou américain, pour le reste c’est le multinational (indien allemand français...) Dans les pays du Golfe, la coopération internationale va jusqu’à la formation des enseignants mettant en péril les instituts nationaux. En Turquie où l’enseignement est laïc supervisé et contrôlé par l’Etat qui veille à englober toutes les catégories allant des lycées scientifiques pour surdoués aux écoles pour malades mentaux sans oublier les lycées anatoliens, les lycées des beaux-arts, les lycées de langue étrangère, etc.

Certes, tout n’est pas parfait mais les progrès sont là si on se réfère au dernier classement international des universités. Grosso-modo, nos frères arabes ont pris la direction contraire à la notre. Les enfants de la nomenklatura ont cessé depuis longtemps de partir à l’étranger pour s’instruire, maintenant ils restent sur place et c’est les meilleures écoles au monde qui viennent vers eux. Le temps des medersas des kouttabs où on enseignait exclusivement le Coran est bien révolu, les écoles-phares se sont ouvertes à proximité de la sainte Kaaba sans nuire à l’Islam dont la première sourate commence par "Lis au nom de ton Dieu..." Après les attentats de 2001, les USA se sont intéressés au système éducatif arabe jugé responsable de la dérive intégriste des jeunes. En 2005, leur aide pour le "Grand-Moyen-Orient" pour réformer l’Education s’élevait à 270 millions de dollars. Pendant ce temps là, notre école continuait et continue à suivre son exceptionnel itinéraire où miraculeusement les grèves à répétition semblent doper le pourcentage de ses "réussites".

Le "butin de guerre" de Kateb Yacine a viré au boulet de guerre. Ce génie a beau donné à la littérature algérienne son chef-d’œuvre Nedjma, il restera out même au-delà de la mort à l’image de ses confrères, contrairement à Mouloud Feraoun qui a eu le bon reflexe de mourir à temps, Mohamed Dib, Rachid Mimouni et tant d’autres encore dont le retour au bled ne peut se faire que dans un cercueil si la permission officielle suit. On a jeté l’eau du bain le bébé la bassine couper les mains et assécher le ventre pour rayer toute contamination. Il y a quelques années de cela, à la télévision française, un ex-responsable exprimait ses regrets de n’avoir pas été encouragé quand il a voulu faire de Riad el Feth une attraction pour les jeunes. Il a ajouté que si on l’avait écouté à l’époque, la fougue de la jeunesse algéroise aurait été canalisée positivement au lieu de sombrer dans le terrorisme. Si le fait de se distraire c'est-à-dire d’écouter du raï, du chaâbi, de regarder un film, d’assister à un spectacle constituait un danger que dire si on ambitionnait de s’intéresser aux choses plus sérieuses ?

"Réussite de l'échec"

L’école est née dans le but de remplacer une élite basée sur la naissance par une élite basée sur le mérite, qu’on soit né avec une cuillère en or ou d’argile, c’est kif-kif. Apprendre est un droit pour tout enfant âgé de 6ans apte pour sacrifier ses meilleures années dans une classe face à un tableau noir dans l’espoir d’un bel avenir. Certes, ces dernières décennies, cette noble institution montre des signes d’essoufflements on parle même de "réussite de l’échec" (4). Tous les pays savent que l’économie est liée à l’école et c’est pour cela que les budgets alloués à cette dernière sont aussi importants que ceux de l’armée, la santé, la police, le trio sacré : protection-santé-éducation.

Dans son livre Libérer l’Avenir paru dans les années 1970 à la belle époque, Ivan Illich affirmait que même les Etats-Unis n’étaient pas assez riches pour réussir ce pari. Il fallait pour cela qu’ils sacrifient le budget de l’armée. Mais l’histoire nous enseigne que les plus grandes civilisations se sont effondrées face à l’invasion des "barbares" dont le cerveau était greffé aux muscles de leurs bras. Bien qu’aujourd’hui avec les progrès de la science, un chercheur souffreteux dans un modeste laboratoire peut être plus efficace que toutes les armées du monde réunies. Conscients de cela, en 2002, les USA ont signé la loi : "No Child Left Behind" (pas d’enfant laissé sur le bord du chemin) qui évalue les capacités de lecture et de calcul de tous les élèves (12 à 15 ans) des écoles publiques qui seront sanctionnées selon leurs résultats. Obama n’a pas osé la remettre en question malgré les milliards de dollars qu’elle coûte à l’Amérique endettée.

La Finlande possède le meilleur système au monde, les petits Finlandais ont même le privilège du choix de cursus, c’est les profs et le directeur qui organisent tout jusqu’au contenu des programmes, la hiérarchie est inexistante. Certains affirment que c’est parce que la Finlande a très peu d’émigrés d’où son homogénéité. L’ex-ministre de l’Intérieur français Claude Guéant a déclaré que les 2/3 des échecs scolaires c’est l’échec des enfants d’émigrés (5). L’OCDE (organisation de coopération et de développement économiques) avec son enquête internationale PISA a classé la France tout juste moyenne pour les performances de son école jugée à deux vitesses. Or le Canada, pays à forte immigration, s’en sort beaucoup mieux en laissant libre chaque province de choisir son propre système éducatif.

En Allemagne, l’éducation repose sur le concept de la Bildung qui lie l’acquisition du savoir au bien-être corporel d’où la fin des cours au plus tard à 13h au grand bonheur des associations sportives. Quant aux Japonais, il leur a fallu moins de deux générations pour copier le modèle anglo-saxon et s’arracher à l’enfer de l’après Seconde guerre mondiale en s’imposant sur la sphère internationale aux premières loges. C’est un vrai miracle quand on sait que le Japon a la réputation d’avoir été le premier bled au monde à utiliser des techniques totalitaires pour faire de l’école un instrument de Pouvoir. Maintenant les petits Japonais choisissent de passer le concours d’un tel lycée, d’une telle fac en fonction de leurs goûts et aptitudes avec des universités publiques plus prestigieuses que celles du privé.

Apprendre est un acte naturel chez l’enfant qui possède des capacités surprenantes, l’exemple le plus frappant est son don à apprendre les langues étrangères sans connaître l’alphabet encore moins les règles de la grammaire. C’est pour cela que dans ces systèmes qui marchent l’école est adapté à l’enfant pas l’inverse. Aucune méthode n’est applicable si elle n’a pas donné ses preuves sur un terrain-laboratoire avec l’enfant-cobaye. On n’a pas interdit les coups par compassion mais parce que des expériences ont prouvé qu’ils sont non seulement improductifs mais dangereux. Livrés à eux-mêmes sans contrôle, les petits Finlandais réussissent leurs examens, interpellent les profs et le directeur par leur prénom, jouent en dehors de toute surveillance sans saccager leurs locaux sans avoir besoin d’user de violence pour s’affirmer. On leur a tout simplement fait confiance. Dans certaines sociétés primitives ou chez certaines mères même analphabètes on trouve cet instinct du bon filon éducatif pour guider en douceur un enfant qui se serait transformé en monstre à la moindre contrainte. Mais le meilleur système au monde ne tiendra pas face à l’immoralité de ses exécutants. Les enfants ont une excellente mémoire quand il s’agit de juger les adultes. En Angleterre même Newton, suspecté d’avoir bénéficié d’une fuite, a été sommé de recommencer son examen dare-dare surveillé par une armada de profs jusqu’à ce qu’il démontre que s’il a fini en 10 minutes ce qui devait se faire au minimum en 3 heures c’est parce qu’il venait d’inventer des règles plus pratiques.

Ce qui a nui le plus à notre école c’est que n’importe qui pouvait accéder à n’importe quel poste à condition de bénéficier de la bonne "sahba". Tout est supervisé d’en haut jusqu’à transformer enseignants et élèves en coquilles vides, une totale soumission est exigée, un respect quasi religieux aux règles établies, des salamalecs verticaux à tout-va sans oublier la baraka de la "souna el-hamida" du piston. Il n’existe chez nous aucun débat émanant de la société sur une vision éducative, sur le pourquoi de ces diplômes qui perdent de leur valeur d’année en année malgré les reformes à répétition, des enseignants de plus en plus licenciés et ces cours de soutien à soutenir le félicité et le blâmé qui pèsent de tout leur poids sur le budget familial. Pourquoi toute décision relative à l’entretien de l’équipement, à la moindre nomination du personnel à tout ce qui concerne nos établissements éducatifs en plus des programmes des livres de la couleur de la blouse... doit impérativement émaner de la tutelle ? Pourquoi la hiérarchie s’autorise chaque année à jongler avec les dates de l’année scolaire des examens à sa guise alors que partout ailleurs c’est ce qui bouge le moins ? Goethe affirmait : "En réalité on sait seulement quand on sait peu. Avec le savoir augmente le doute".

Que dire quand le peu ou le trop que les autres savent ne nous concernent pas, qu’à force de reculer vers l’arrière on a sombré dans le nulle part. Que dire quand ceux qui décident de A à Z pour l’école algérienne ne lui ont jamais fait confiance au point d’en faire profiter leurs rejetons ? Le plus simple le plus logique c’est de faire revenir ces "exilés de papa" en important le vrai savoir de A à Z comme l’ont fait nos frères comme l’a fait le Japon sans ressources naturelles pourvu d’un sol miné par les séismes et les volcans en misant sur sa seule richesse : le facteur humain. Copier à défaut d’inventer à moins que le but soit justement de mutiler l’intelligence des enfants de la populace. En parlant de l’Enseignement, Victor Hugo affirmait qu’abrutir est un art et c’est tout le problème de l’école algérienne : la perfection dans l’échec.

Mimi Massiva

(1) Jean Jaurès

(2) Le pacha (1805-1848)

(3) Habiba Hamid- CGNEWS 14/8/2010

(4) Jean-Pierre Lepri

(5) Europe1 (25 mai 2011)

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Commentaires (24) | Réagir ?

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mustapha ouahadda

Nous, algeriens de très bonne foi, devons faire quelque chose avant que cela soit trop tard! Ces énergumènes venus d'ailleurs juste après l'indépendance n'ont aucune pitié, aucun sens, aucun sentiment, aucun civisme veulent détruire notre numédie, notre algérie. Il est grand tant qu'on réagisse! De quoi avons-nous peur? Matoub lounès est mort, mais il est mort en héros, en homme et non en femmelette, je ne pardonnerai jamais ceux qui l'ont assassiné et ceux qui sont complices aussi même au delà, la haine me colle encore et encore, il a emporté avec lui son combat, son identité, sa langue, sa culture. Cela dit, suis loin de son courage!! Que dieu ait son âme!

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Yen Yen

C'est voulu par le gouvernement algérien pour encore endormir le peuple algérien avec le poison de la langue Arabe, alors que les enfants de ceux qui gouverne l'Algérie font leur études dès le primaire en langue Française, par la suite ils finissent ici en France, en Suisse, à Londre leur études universitaire.

En Arabie ils ont gardés l' Anglais comme langue de savoir sauf chez nous en Algérie.

J'ai rien contre la langue arabe. mais aujourd'hui le monde est dominé par d'autres langues

la langue arabe à passé son temps en Andalousie. c'est fini pour la langue d'Ibn Khaldoun et autres.

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