Egypte: les révolutionnaires redescendent dans la rue

Les révolutionnaires sont sortis dans la rue, les islamistes sont rentrés chez eux.
Les révolutionnaires sont sortis dans la rue, les islamistes sont rentrés chez eux.

Malgré la condamnation à la prison à vie de Hosni Moubarak et de son ministre de l’Intérieur, les Egyptiens dénoncent un verdict qui absout la haute hiérarchie policière dans la mort des manifestants de la place Tahrir. Des manifestations sont organisées dans tout le pays alors que les islamistes se sont retirés des rassemblements.

L’ancien président égyptien, Hosni Moubarak, 84 ans, a donc été condamné à la prison à vie pour la mort de manifestants durant la révolte contre son régime en janvier-février 2011, au terme de dix mois d'un procès qui se voulait historique. Il a été le premier des dirigeants emportés par le « Printemps arabe » à comparaître en personne devant un juge. Son ancien ministre de l'Intérieur Habib el-Adli, jugé lui aussi pour la mort de plus de près de 850 a également été condamné à la prison à vie. En revanche, six anciens hauts responsables des services de sécurité ont été acquittés. Et les deux fils de Moubarak, Alaa et Gamal, qui comparaissaient également, n'ont pas été condamnés, les faits de corruption qui leur étaient reprochés étant prescrits, selon le président de la cour, le juge Ahmed Rifaat.

Acquittements et mesure de clémence

Même si un autre procès les concernant doit toutefois s'ouvrir prochainement, pour une affaire de corruption boursière, ces acquittements de fait ont jeté le trouble dans l’opinion publique égyptienne. Au point que la condamnation à perpétuité de l’ancien raïs est apparue comme une mesure de clémence. Devant le tribunal, une vingtaine de membres des familles de victimes, brandissaient des portraits de leurs proches. « Exécution pour le fils de chien! », « Trente ans de torture et de meurtre de la jeunesse, il faut que le déchu soit exécuté », scandaient-ils.

Manifestation place Tahrir et partout dans le pays

La page Facebook "Nous sommes tous Khaled Said", (du nom d’un jeune Egyptien mort sous les coups de la police en juin 2010 et qui est devenu le symbole de la lutte anti-Moubarak) a appelé les Egyptiens à envahir les rues et les places du pays pour protester contre le verdict. L’ancien opposant Ayman Nour, candidat malheureux à la présidentielle contre Moubarak puis emprisonné trois ans, a annoncé, lui aussi sur Facebook, qu’il soutiendrait le candidat des Frères musulmans Mohammed Morsi, lors du second tour de la présidentielle. A Alexandrie, des centaines de manifestants ont lancé des slogans contre le juge qui a prononcé le verdict : "Ahmed Rifaat, lâche, combien as-tu vendu le sang des martyrs ?"

Sur la place Tahrir, la foule grossissait également d’heure en heure, certains tentant même de se diriger vers le ministère de l’Intérieur. Mais la palme revient sans doute au rédacteur-en-chef de « Al-Ahram online », Hani Shukrallah, qui assistait au procès. Sur son compte tweeter il a écrit : "Enquête sur le dossier criminel historique de Moubarak par les coupables, poursuivi par la défense, jugé par le régime Moubarak".

Les fins électoralistes des islamistes

Les Frères musulmans estiment qu’il faut faire appel, utilisant la colère populaire à des fins électoralistes. Ils laissent ainsi entendre qu’en cas de victoire d’Ahmed Chafik (dernier Premier ministre de Moubarak) au second tour de la présidentielle, celui-ci gracierait l’ancien raïs. Mais sur la page Facebook de la campagne de Chafik on peut lire : "Le jugement prononcé aujourd’hui favorise Morsi (le candidat des Frères musulmans, ndlr) donc vous n’avez pas à lier le verdict à Chafik. Au contraire, si ce verdict avait été plus dur, nous nous serions félicités et Chafik serait élu président" ! Bref, le sentiment dominant est que le procès a été une parodie.

Pourtant, le juge Rifaat a dit avoir pris sa décision en ayant "la conscience tranquille". Il a eu a des mots très durs pour la situation de l'Egypte pendant les trente années de règne d’Hosni Moubarak, en faisant notamment référence à la pauvreté de la population et à ceux qui vivaient dans "la pourriture des bidonvilles". Il a également rendu hommage aux manifestants qui s'étaient soulevés contre le régime au début de l'année dernière. "Ils se dirigeaient vers la place Tahrir pacifiques, demandant seulement justice, liberté, démocratie", a-t-il lancé.

Le verdict soulève des questions 

L'avocat et militant reconnu des droits de l'Homme Hossam Bahgat a de son côté estimé que "le verdict soulève plus de questions qu'il n'apporte de réponses. Les Egyptiens se sentent vengés de voir Moubarak et son ministre de l'Intérieur condamnés à la prison à vie, mais (...) la cour semble ne pas avoir trouvé de preuves que les meurtres aient été commis par des policiers. Il semble que la cour ait condamné Moubarak et Adli pour avoir échoué à empêcher les meurtres", a-t-il ajouté. Et si le Conseil suprême des forces armées (CSFA) se fait plutôt silencieux, nul doute que son ombre a plané sur la salle d’audience, tout au long du procès comme au moment du verdict. Moubarak et Adli ont été sacrifiés sur l’autel de la préservation de l’ordre policier et militaire.

Ce faisant, il donne au candidat islamiste le coup de pouce nécessaire pour l’emporter dans deux semaines. Après tout, les Frères musulmans et l’armée ont su s’entendre au lendemain de la chute de Moubarak. Les tensions de ces derniers mois pourraient tout aussi bien s’estomper, paradoxalement avec le même liant : Moubarak qui dort maintenant dans l’aile médicalisée de la prison de Tora, dans la banlieue sud du Caire. Une première pour un ancien despote.

Avec Agences

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