L’agonie du despotisme plonge l’Algérie dans une tension insurrectionnelle

Le président Bouteflika et Belkhadem, SG du FLN.
Le président Bouteflika et Belkhadem, SG du FLN.

Quand une société est dominée par un système politique despotique, qui a atteint le paroxysme dans ses contradictions, quand les effets contraignants sur la population arrivent à saturation et deviennent insupportables par leur exacerbation, se produit alors sur la place publique l’extériorisation de l’insoutenable sentiment de l’humiliation, qui ne peut que la précipiter vers son inévitable implosion.

Le système politique algérien, caractérisé par le despotisme et l’arbitraire de son fonctionnement, exercé par une classe militaro-bureaucratique, constamment en renouvellement, qui ne doit sa survie qu’à sa capacité d’adaptation aux aléas des conjonctures, semble avoir épuisé à ce jour tous ses moyens et présente tous les signes d’une fin de processus d’érosion, dont l’issue ne peut être qu’une agonie certaine aux effets dévastateurs.

Le discours sur lequel était bâtie sa force d’autoconservation, qui était une combinaison hybride à mi-chemin entre un conservatisme patriarcal structurel, qui affectait la société tout entière et un alibi de légitimation historique : l’appropriation du mythe libérateur de la patrie, ne trouve plus d’écho auprès d’une population, aujourd’hui à majorité jeune et animée du désir de vivre en phase avec son époque.

Le paradoxe était que l’on s’attendait au renouvellement de génération au pouvoir pour normaliser le système politique, vers la consécration de la démocratie et l’entrée dans la modernité ! Ce fut le renouvellement de la population qui en devient le leitmotiv. Car, le système de domination a trouvé en lui-même sa force d’autoconservation, par la reproduction indéfinie de son fonctionnement, indifféremment des hommes et des coalitions qui le prenaient en charge. Ce fut donc la population à majorité jeune, qui, désirant s’émanciper des archaïsmes de la culture et en particulier de la culture politique qui l’a vue naître, et ne se sentant pas tributaire de la dette de légitimation historique, qui impulsa le processus de demande de changement par différentes manifestations de contestation. Les injustices sociales et économiques ont précipité cette prise de conscience, malgré la reproduction intentionnelle de ces archaïsmes par l’école et les campagnes de dépolitisation de masse orchestrées sournoisement par le pouvoir. L’exacerbation des injustices, la contamination par les révoltes des peuples voisins et le développement accéléré des technologies de communication ont eu raison sur l’acceptation par la population du principe de stabilité par l’argument faussement nationaliste et patriotique de l’unité par le statu quo.

La dynamique de rupture et de demande de changement fut progressivement intériorisée par la population, surtout après avoir dépassé le tabou de la légitimité historique et pris conscience de l’instrumentalisation de celle-ci à des fins politiques par la falsification de l’histoire. La sacralité de l’image de ces historiques au pouvoir sera perçue à partir de ce moment-là comme une gérontocratie cynique, hypocrite et perverse, croulant sous la répétition du mensonge et d’innombrables promesses non tenues. Ce rejet de la chose publique est allé en se généralisant, jusqu'à inclure tout individu ou groupe d’individus vassalisés et clientélisés au profit du pouvoir central. Auxquels on a apposé le qualificatif de larbins, adeptes de la mangeoire générée par la rente des richesses naturelles, et chargés de la déshonorante mission d’accomplissement du rôle de figurants dans une assemblée d’enregistrement, pour la légitimation d’un pluralisme stratégique de façade. Le rejet sera élargi et généralisé par la suite, surtout après la reddition du FFS, à toute forme d’organisation politique structurée. Bien que, de tout temps, l’opposition formelle, que l’on ne puisse qualifier de classe politique, du fait qu’elle n’est jamais parvenue à jouer ce rôle et de peser sur les décisions ou assurer une quelconque alternance du pouvoir, n’eût jamais bénéficié d’une authentique crédibilité de la part de l’opinion publique. À souligner que le peuple n’a jamais été dupe devant cette question, les personnalités politiques de l’opposition ont toujours été perçues comme des clients et les partis comme des satellites du pouvoir central. Car, les vrais opposants au système ont été soit assassinés, soit neutralisés d’une manière ou d’une autre. Boudiaf et Mecili et beaucoup d’autres, du fait qu’ils représentaient un véritable danger pour le système, ont été assassinés sans aucun ménagement.

Les législatives du 10 mai 2012, avec une abstention de près de 75% et une représentativité du parti du pouvoir effectif de près de 6%, ont été pour le peuple l’occasion d’exprimer avec détermination sa rupture avec le système de pouvoir et sa radicalisation dans la contestation, dont il ne lui faudra encore qu’un pas pour basculer dans l’insurrection. Une question de temps. La rupture étant consommée, on peut considérer que le compte à rebours a déjà commencé. La rupture avec le système n’a pas également épargné une partie de l’opposition, qui menace de boycotter l’assemblée nationale et de créer une assemblée populaire parallèle et indépendante et d’appeler à une constituante. Au sein du FFS même, le parti, qui active le plus intensément pour le sauvetage du système, s’exprime une dissidence importante dans les rangs de ses cadres, appelant à leur tour à la rupture. La radicalisation s’est immiscée jusqu’à l’intérieur même des instances exécutives du système, par la grève de la faim du personnel de la justice. La rupture et la radicalisation sont aujourd’hui, plus que jamais, ce qui occupe le plus l’inconscient collectif et qui est brandi comme ultime moyen de contestation.

Dans son agonie, le pouvoir, après avoir épuisé ses arguments de légitimation, dans lesquelles il puisait ses rhétoriques populistes pour exercer sa pression aliénante sur la population, ne trouve plus que le chantage et la menace, dans sa fuite en avant, comme moyens de coercition. Cela avait déjà commencé avec les boycotteurs et tous ceux qui appelaient au boycott pour les législatives, allant jusqu'à crier, dans un geste désespéré, à la trahison. Délire caractéristique de la réaction de tout dictateur pendant sa chute. C’était le cas pour Nicolai Ceaucescu, Saddam Hussein, Mouammar Kadhafi, etc. Devant l’évidence de la rupture et du rejet par le peuple de la légitimité de son autorité, après la débâcle des législatives, pris tel un voleur la main dans le sac, la violence de son langage s’est accentuée et la menace devenue plus précise. Usant du cynisme qui le caractérise, avec mépris et arrogance, jusqu’au défi de la population, de ne pouvoir se révolter par crainte de la répression.

À ce propos, Ould Kablia avait affirmé dans un entretien accordé à l’APS : "Nous n’avons vu nulle part le peuple protester pour clamer qu’on lui a volé ou dénaturé son choix". Évidemment, le peuple n’a que faire des résultats d’un vote auquel il a refusé de participer et dont il a refusé de cautionner jusqu’aux conditions même de son organisation. Sa protestation est celle-là même qui consiste à destituer le système lui-même, qui s’arroge le droit de définir les règles de la vie politique, unilatéralement, sans le consentement et la participation souveraine du peuple. Mais les propos de Ould Kablia ont une autre signification, que celle adressée à la contestation des résultats du vote. Il s’agit d’une mise en garde et d’une menace explicite contre toute tentative de rébellion.

Désemparé, devant cette situation sans précédent, le pouvoir, après avoir épuisé tous ses moyens de coercition, ne dispose plus que de la violence pour sauvegarder ses intérêts et ses privilèges. C’est là un signe que son agonie est arrivée en phase terminale. Car la violence est l’ultime recours qui caractérise tout prédateur, qui prend conscience que ses moyens de survie sont en danger. L’affronter avec détermination et abnégation est le prix à payer pour la liberté. Mais ce prix-là n’en sera que très lourd. Plus lourd encore que la barbarie qui s’est abattue sur le peuple de la part des deux antagonistes du conflit des années FIS, qui avait marqué à jamais de son empreinte l’histoire contemporaine de la nation algérienne. Plus lourd encore, d’autant que le prix de l’impunité de la barbarie a été acheté à coups de pétrodollars aux puissances impérialistes, très boulimiques en monnaie en provenance des différentes dictatures de la planète, comme une aubaine pour venir à bout de leur embourbement dans une crise financière qui n’en finie plus. Or, la rupture entre le peuple et le pouvoir étant consommée, l’affrontement devrait se traduire par une généralisation du boycott et son glissement progressif vers la désobéissance civile, jusqu'à l’épuisement du monstre et son inévitable anéantissement.

En attendant, les médias s’arrogent le droit de prendre leur part de la rente, en échange d’une passivité à la limite de la complicité. Quant aux sophistes, leur seul souci est le triomphe narcissique primaire. Faisant odieusement commerce avec la douleur des autres, et par impuissance, ne rien trouver à redire sur leurs mécènes, amateurs de bonne chaire, qu’ils relèguent à un statut infra humain et servi par une horde d’un nouveau genre d’esclaves, à qui on dénie jusqu'à leur humanité.

Youcef Benzatat

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Commentaires (3) | Réagir ?

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saci abdelaziz

Mr. Youcef Benzatat, vous parlez d'insurection que de poules se sont faites écrasées sur la route en quittant l'espace réduit de leur poullailler... ! ! !

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Notproud

Du despotisme à la Russe ! Poutine est de nouveau président et Melvedef est de nouveau premier ministre, ils risquent d’utiliser leurs droit de VETO si implosion il y’a en Algérie !!!

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