Arezki Abboute : "Oui je crois que l'explosion populaire est inéluctable si..."

Arezki Abboute, militant des droits de l'Homme.
Arezki Abboute, militant des droits de l'Homme.

Arezki Abboute est un militant des droits humains et de la cause amazighe. Il est un des acteurs du mouvement pour la démocratie et tamazight durant les années 1980 et un des 24 détenus d’avril 80 et membre fondateur de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH). Il est aussi membre du comité directeur de la LADDH et coordinateur de la Maison des Droits de l’Homme et du citoyen Tizi-Ouzou.

Le Matin : La population a beaucoup souffert des intempéries qui s’étaient abattues sur presque l’ensemble du pays au cours du mois de février. A votre avis, est-ce dû à l’incompétence des pouvoirs publics qui n’ont pas su évaluer la gravité de la situation, ou c'est de la néglidence ?

Abboute Arezki : C’est vrai que de nombreuses régions du pays n’ont pas été épargnées par les intempéries et les populations de ces régions ont effectivement beaucoup souffert. Etait-ce dû à l’Incompétence de nos dirigeants qui n’ont pas su évaluer la gravité de la situation ? A la négligence ? Au manque de moyens ? Je pense qu’il y a un peu de tout cela. Mais, pour ma part, ce n’était pas vraiment ce qui m’avait le plus choqué. Ce qui m’avait sérieusement révolté, c’était le fait de voir qu’aux cris de détresse et autres SOS lancés par des villages entiers qui manquaient presque de tout (gaz, nourriture, eau potable...), le ministère de l’Intérieur et des collectivités locales n’avait rien trouvé de mieux à faire que d’envoyer des Sms nous rappelant que "voter est un acte de citoyenneté et de responsabilité". Ainsi, à ce qu’il est permis de qualifier de cynisme, s’était ajouté le mépris des plus hautes autorités du pays ; un mépris que le silence a parfaitement su traduire et exprimer. C’est, en tout cas, le sens que moi j’avais donné et à l’envoi des sms du ministère de l’intérieur et au silence du président de la république et de son premier ministre car, si l’on peut comprendre la colère de Dame Nature et donc de s’organiser pour mieux l’affronter, ce que les populations avaient d’ailleurs fait avec dignité et courage, il ne saurait en être de même pour ceux dont le cynisme et le mépris n’avaient d’égal que l’obsession de sauver un système qu’ils savent ne tenir que par le mensonge et l’intrigue, la répression et la corruption.

Pensez-vous que la façon avec laquelle les autorités du pays avaient réagi devant les intempéries de février va influer sur la participation des citoyens aux élections de mai 2012 ?

Je ne suis pas quelqu’un qui lit dans les oracles pour prédire ce que sera le taux de participation aux élections législatives du 10 mai prochain mais à voir le manque d’engouement de la part de la population pour ce rendez-vous et à entendre les différentes réflexions de nombreux citoyens, je crois pouvoir dire que cette élection connaîtra un très fort taux d’abstention. La fraude, le système des quotas, le bourrage des urnes, l’intrusion, en force, de l’argent dans la confection des listes... risquent sérieusement d’avoir raison de la patience des citoyens qui ne voudraient plus cautionner cette énième mascarade. "A force de tirer sur la corde, celle-ci finit par se casser" dit l’adage. Je pense que cette fois la corde est belle et bien cassée et ce ne seront ni les sms émanant du ministère de l’intérieur et des collectivités locales ni les appels répétés des partis politiques, en lice, pour une participation massive ne changeront quelque chose. Ma réponse à ta question donc est que la gestion catastrophique des intempéries du mois de février passé, par les pouvoirs publics, ne viendra que renforcer la tendance à une forte abstention à moins qu’on fasse vôter les morts comme cela se faisait dans le passé.

Serait-il possible de voir une explosion populaire après ces élections ?

Je ne sais pas si l’on assistera à une explosion populaire après ces élections législatives, mais je peux affirmer que le risque ne peut malheureusement pas être écarté définitivement au vu des nombreuses émeutes qui éclatent un peu partout dans le pays. Et s’il l’on se rappelle la célérité avec laquelle le pouvoir avait réagi à la suite de celles qui ont secoué la capitale en janvier 2011, il y a fort à parier que même lui sait que la contestation peut reprendre à tout moment et avec elle toutes les incertitudes. Jusqu’à maintenant grâce à la rente pétrolière, les autorités ont réussi tant bien que mal à contenir les nombreux mécontentements qui continuent encore de s’exprimer sur presque l’ensemble du territoire, mais pour combien de temps encore ? Ceci sur le plan interne. Sur le plan régional, les choses sont tout aussi incertaines et, pour s’en convaincre, il suffit simplement de voir ce qui s’est passé en Libye, en Tunisie, en Egypte ou encore ce qui se passe en Syrie et au Mali.

Oui, je crois vraiment que l’explosion populaire risque d’être inéluctable si le pouvoir continue de tergiverser et de louvoyer au lieu d’engager des réformes en profondeur et le plus rapidement possible.

Le président Bouteflika a invité des observateurs étrangers pour la surveillance des élections de mai 2012. D’après vous, est-ce suffisant pour empêcher la fraude ?

Ma réponse sera brêve. Quand on a organisé des élections à la Naegelen pendant presqu’un demi-siècle, je ne peux vraiment pas croire que quelques dizaines d’observateurs étrangers, fussent-ils les plus chevronnés, puissent empêcher la fraude. Et d’ailleurs, comment le croire lorsqu’on sait qu’à peine la date des élections fixée que des quotidiens nationaux ont rapporté des velléités de fraude dans certaines wilayas.

Beaucoup de formations politiques ont été créées au cours de l’année 2011. Croyez-vous que celles-ci seront prêtes pour participer aux élections législatives de mai 2012 ?

Effectivement, après avoir gelé, au mépris de la loi et pendant de très longues années, les agréments pour de nouvelles formations politiques, le ministère de l’intérieur et des collectivités locales avait finalement décidé de reconnaître une vingtaine d’entre elles, dont certaines avaient tenu leurs assises et leur premier congrès constitutif depuis un bon moment déjà. C’est le cas notamment de l’UDR (aujourd’hui MPA) que je connais particulièrement pour avoir été un des membres fondateurs avant de claquer la porte quand celui-ci s’était tout bonnement transformé en comité de soutien du président Bouteflika.

Est-ce que ces partis seront prêts pour participer aux élections ? La réponse est évidemment oui puisque l’un des objectifs du pouvoir est justement que ces derniers y participent. D’abord pour conjurer l’abstention, ensuite, pour espérer saucissonner l’électorat de façon à ce qu’aucune de ces formations ne puisse obtenir la majorité absolue et donc avoir la main-mise sur l’assemblée nationale.

Propos recueillis par Madjid Serrah

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Commentaires (4) | Réagir ?

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Abdelaziz EL HADJ MOUSSA

L'explosion sociale est ineluctable, tôt ou tard, et le pays ne se redressera que si tous les dirigeant de 1962 à ce jour sont mis au placard ainsi que les partis fantôches qu'ils représentent.

Le temps est venu ou tous les dinosaures devront disparaitre pour laisser au jeunes la possibilité de décider de leur avenir et celui de leurs enfants.

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Holà! Cher frère!Ne vous trompez pas de cible!Les "vrais" révolutionnaires ont soit été "neutralisés" soit mis au placard!Hier, dans une "Djema3a", j'ai entendu un avis qui laisse à réfléchir!Selon l'avis d'un "simple" citoyen, tous nos maux seraient dus au fait qu'avant de quitter l'Algérie, De Gaulle y aurait placé ses élèves aux commandes!Quant à moi, je ne regrette qu'une chose, que les "vrais Moujahids"aient déposés leurs armes en 1962;et qu'à l'heure actuelle, on achète leur silence par des pensions de retraîte (certes méritées) qui s'apparentent plus à du "mercenariat"!

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madjid ali

Le système ne disparaitera avec le FLN qu'avec une révolution populaire

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