"Le rapt des moines a nécessité le regroupement de 150 terroristes"

Le GIA a terrifié plusieurs zones reculées de l'Algérie.
Le GIA a terrifié plusieurs zones reculées de l'Algérie.

Illettré mais connaissant les montagnes de Guerouaou et de Msennou (Médéa) comme sa poche, Abdelkader Allali servait de guide au sein du GIA, à l’époque où les moines ont été enlevés. Dans cet entretien, il nous donne des détails sur cet enlèvement, qu’il dit avoir eus de ses anciens chefs.

Comment vous êtes-vous retrouvé au maquis comme guide et agent de liaison du GIA ?

Je suis natif de Msennou, où je cultivais la terre. Dans mon village, il n’y a rien. Ni école, ni administration publique, ni même une épicerie. C’est le bout du monde. Les terroristes venaient de jour comme de nuit. Ils prenaient ce dont ils avaient besoin et personne ne pouvait refuser. Au début, ils me demandaient de leur acheter des choses, de leur montrer un chemin et après, je ne pouvais plus échapper à leur emprise. Je n’avais pas d’autre solution. Leur résister voulait dire mettre en danger toute ma famille. C’était en 1994. Ma mission était de les guider à travers les montagnes de Guerouaou, Msennou, parfois jusqu’à celles de Chréa que je connais comme ma poche. Je leur achetais des provisions alimentaires et j’accompagnais les passagers qui ne connaissaient pas les lieux. Ma présence était devenue indispensable pour la katiba Tala Feth, dépendant de Djamel Messaoudi dit Djamel, et Abou al Hareth, de son vrai nom Maïzi Mohamed. Cette katiba était composée de quelque 150 éléments qui activaient entre Guerouaou, Msennou, Bouhandas, El Merdja, Kahwat Essamar, Ouezra. En fait, nous faisions tous partie de la katiba Etabaria dirigée par Amir El Djound Abou Al Haret. L’émir national de l’époque était Djamel Zitouni.

Vous étiez en activité dans la région lorsque les moines ont été enlevés. Que saviez-vous sur cette opération ?

Je sais que ceux qui ont mené l’opération se sont regroupés à Ksar El Bey, à Guerouaou. Je ne sais pas si c’est le jour même ou un jour ou deux avant. Plusieurs groupes de Médéa y ont pris part. Il y avait quelque 150 éléments au moins sous la direction de Missoum et de Chahba-Mouna Djamel, dit El Bosni, répartis à travers plusieurs seriat (sections) et leurs chefs. Parmi elles seriat Ouezra dirigée par Abou Hilal, seriat Guerouaou qui coiffe aussi Guarzi, dirigée par Djamel El Bosni (El Bosni), Chahba-Mouna Djamel et beaucoup d’autres comme Ghermezli Benyekhlef. Celui-ci, tout comme Missoum, activait en ville. Tous deux étaient présents au regroupement de Guerouaou. L’endroit est perché sur une montagne qui domine tout le massif de Médéa et de Blida. On peut même voir, de loin, le monastère. Les terroristes utilisaient de vieilles maisons appartenant à Yekhlef Cherati, un ancien du parti dissous. Une femme, membre de cette famille, a vécu longtemps avec les terroristes ; elle leur faisait la cuisine. Mais je sais qu’elle a fini par leur échapper. Si je me rappelle bien, le regroupement a eu lieu un lundi ou un mardi. Il y avait tous les chefs de groupe de la région ainsi que leurs éléments. Nous ne savions pas ce qui allait se passer. Pour nous, ils devaient préparer une opération contre les forces de sécurité ou contre Ali Benhadjar. Après, chaque chef est parti avec ses éléments.

Si ma mémoire est bonne, mercredi matin les moines étaient à Ksar El Bey, à Guerouaou. Ils les avaient transférés à bord d’un 4x4 et d’une Mazda. Bien après, Chahba-Mouna m’a fait état des détails. Il m’a dit qu’ils avaient marché à pied jusqu’à l’oued Sidi Ali avant de prendre les véhicules. Il était peut-être 4 ou 5 h du matin lorsqu’ils sont arrivés à Guerouaou. J’y étais, mais je ne savais pas ce qui se tramait. Ils ne nous ont rien dit. Les moines ont été installés dans la maison de Yekhlef Cherati. Ils y sont restés quelques heures avant d’être descendus vers Taghlalt, un hameau d’anciennes maisons abandonnées par leur propriétaire, Moha M’barek, et squattées par une vingtaine de femmes de terroristes. L’endroit était totalement sous le contrôle du GIA ; la population l’avait déserté dès le début des années 1990.

Larbi Benmouloud, son cousin et son frère avaient été ramenés les yeux bandés dans une Daewoo. Eux aussi ont transité par Ksar El Bey avant d’être transférés, la matinée, vers Taghlalt. En fin de journée, ces derniers tentent de s’échapper. Deux d’entre eux ont été tués et Larbi a réussi à fuir. Le lendemain matin, il a ramené l’armée, appuyée par des hélicoptères, qui a entamé un ratissage. Les militaires venaient de Omaria et de Sidi Ali. Les moines ont vite été transférés vers une casemate non loin de là.

En fin de journée, El Para et quelques membres de la katiba El Khadra, dont Antar Zouabri et Abou Loubaba, ont monté une embuscade contre les militaires au niveau de Kahwet Essamar (café Semmar), au sud de Msennou. Le but : desserrer l’étau sur le groupe. Les moines ont tout de suite été transférés vers une casemate, à quelques encablures de là, sur le lit de l’oued qui longe Taghlalt. Durant cette nuit, nous étions regroupés dans les maisons qu’on appelait Khiam El Hanachi, à Guerouaou, non loin de la casemate où étaient séquestrés les moines. Nous étions très nombreux, au moins une centaine. C’est alors qu’El Para et Abou El Hareth sont entrés au camp avec une centaine d’éléments. Ils étaient fiers des armes récupérées dans l’embuscade. Abou El Hareth nous avait dit : "Regardez, vous vous plaignez toujours de ne pas être dotés de bonnes armes, alors que celui-là, avec un simple fusil de chasse, il a ramené une kalachnikov." Ils exhibaient les jumelles à infrarouge et les kalachnikovs pris sur les militaires.

Si je me rappelle bien, ils ont quitté les lieux deux jours après. Les moines ont été transportés à bord d’une Mercedes appartenant à un avocat de Médéa qu’ils avaient enlevé et tué, ainsi qu’un 4x4, le même que celui avec lequel Abderrazak El Para roulait. Je ne dis pas que c’est lui qui conduisait, mais c’était le même. Le convoi est parti vers Sbitar (l’hôpital) à Bouhandas en passant par Takrina et Msennou.

Qui était l’émir de Bouhandas ?

L’émir était Messaoudi Abdelmadjid, mais deux infirmiers étaient chargés de "l’hôpital". Il s’agit de Houdeifa, de son vrai nom Tayeb Bensouna, et Billal, de son vrai nom Mohamed Abakrima. Ces derniers nous avaient parlé des moines qu’ils surveillaient. Nous savions tous qu’ils étaient là-bas. Même l’épouse d’un des infirmiers, qui est une parente à moi, m’en a fait état. Nous étions au piémont et l’infirmerie était au sommet de la montagne. Ceux qui y accédaient devaient se faire bander les yeux. Seuls les chefs ou les membres de la katiba El Khadra avaient le droit d’y aller.

Y a-t-il eu d’autres chefs du GIA qui sont venus voir les moines à Bouhandas ?

Lorsque j’étais là-bas, Chahba-Mouna m’a dit que Zitouni était venu voir les moines. Il est arrivé le matin, les a rencontrés, puis il est reparti l’après-midi. Deux ou trois jours après, ils les ont transférés vers Bougara.

Y avait-il des habitants dans ces lieux ?

Sbitar se résumait à quelques vieilles maisons abandonnées, appartenant à la famille Haoudji. Le lieu est très discret. Rares sont ceux qui le connaissent ; il surplombe une merdja (sorte de marécage). Les deux infirmiers qui le gardaient ont été tués par leurs pairs l’été 1996. J’avais vu l’un d’eux, Billal, se faire torturer par El Bosni et Abou El Hareth. Ils le soupçonnaient de servir d’indicateur, tout comme Houdeifa, qui avait été exécuté.

Combien de jours les moines sont-ils restés à Bouhandas ?

Exactement 11 jours, puis ils ont été transférés vers Bougara. Le convoi est passé par Takrina, Aissaouïa et Sbagnia, avant d’arriver au QG de Zitouni. La route était bonne, ils pouvaient arriver à destination en 3 heures. A l’époque, on nous avait dit que Zitouni était en train de négocier leur libération en contrepartie de celle de Abdelhak Layada et que dans le cas où l’échange ne réussissait pas, ils seraient exécutés. Après 53 jours de détention, les moines ont été tués.

Comment êtes-vous aussi sûr et précis sur le nombre de jours de captivité ?

Bien après cette affaire, Chahba-Mouna Djamel et Djamel Messaoudi, les principaux chefs de l’opération d’enlèvement, me l’ont affirmé. Comme je vous l’ai dit, ils avaient confiance en moi et, de ce fait, ils me faisaient certaines confidences. J’ai posé la question, j’ai eu la réponse.

Que sont devenus ces deux émirs ?

Les deux ont été exécutés par le groupe de Zouabri. Chahba-Mouna a été tué d’une manière atroce ; ils l’ont enterré vivant, laissant juste sa tête à découvert ; ensuite ils lui ont asséné des coups de hache pour provoquer des plaies sur lesquelles ils ont mis des détritus pour accélérer la décomposition. Ils voulaient en faire un exemple parce qu’il avait refusé de participer au massacre de Haouch Messaoudi. Onze de ses compagnons ont été tués avec lui, après avoir été jugés et condamnés.

Et les deux infirmiers ?

Billal a été tué sur place, après avoir été accusé de donner des informations sur le groupe. Il a été torturé par El Bosni et El Hareth. Houdeifa a subi le même sort pour les mêmes motifs. Les exécutions ont commencé à se répandre dans les rangs dès l’arrivée de Antar Zouabri à la tête du GIA.

Salima Tlemçani

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Commentaires (3) | Réagir ?

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chafik morsli

C'est plus juste de dire que le rapt des moines a nécessité le regroupement de 150 agents du DRS.

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laid baiid

On dirait que les terroristes se promenaient avec des badges!!!Nom de famille, prénom, pseudo, fonction? Cette fois le DRS nous prend pour des canards sauvages. "leur" journaliste Salima Tlemçani devrait en faire un roman..

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