De Gaulle pouvait-il réellement négocier dès son arrivée au pouvoir ?

Des dirigeants du FLN.
Des dirigeants du FLN.

A l’occasion du cinquantième anniversaire des accords de cessez-le-feu, la presse française consacre des numéros entiers à la guerre d’Algérie.

Ainsi, les rôles des uns et des autres sont, du coup, passés au crible. Celui du général de Gaulle présente indubitablement un intérêt particulier. Car son rôle est surtout différemment apprécié. Si pour les partisans de l’Algérie française, de Gaulle a trahi, pour les partisans d’une Algérie indépendante, la reconnaissance se mêle à des regrets. Bien qu’on le sache a posteriori que de Gaulle fut acquis au processus de décolonisation, dans la deuxième catégorie déjà évoquée, les interrogations sur les atermoiements du général sont décortiqués. Pour le conseiller pour la sécurité et le renseignement du premier ministre Michel Debré de 1959 à 1962, Constantin Melnik, "De Gaulle aurait dû commencer à négocier avec le FLN dès son arrivée au pouvoir." Bien que le conseiller de Matignon soit bien placé pour en parler de ce sujet, il n’en reste pas que la problématique mérite un examen plus profond pour que le lecteur se fasse une idée peu ou prou objective de la conduite de la politique gaullienne de 1958 à 1962.

D’une façon générale, le climat politique de l’époque ne s’y prêtait pas, dès son installation à la tête du Conseil, à une initiative de paix. Quelques jours plus tôt, le régime de la quatrième République ne fut-il pas tombé à cause, bien entendu en partie, de l’éventualité d’une négociation prononcée par le prédécesseur du général de Gaulle, Pierre Pflimlin ? Ensuite, porté au pouvoir par un coup de force militaire suite aux événements du 13 mai 1958, le général de Gaulle n’a pas d’emblée les coudées franches. Car ses principaux soutiens attendaient de lui une politique sans ambages en faveur du maintien de l’Algérie française. Naturellement, après son investiture, de Gaulle mise sur une victoire militaire. Pour reprendre l’expression de Constantin Melnik, "il a utilisé des idées du XIXe siècle apprises à l’école de guerre, c’est-à-dire prendre l’ennemi en tenaille afin qu’il vienne se trainer à vos pieds." Partant, aussitôt investi par le parlement [d’après certains, des députés ont voté afin d’éviter la guerre civile en France], le général de Gaulle réserve sa première visite à la ville qui lui a permis de revenir au pouvoir, Alger. Le 4 juin 1958, il prononce un discours dont la phrase mémorable reste : "je vous ai compris". En réalité, ce discours ne satisfait personne, ni les pieds-noirs, ni les Algériens. Mais pour l’heure, il essaie de ne pas mécontenter les ultras. Bien qu’il ait son propre plan, à Alger, il reconnait le pouvoir de l’armée en désignant un des leurs, le général Raoul Salan, gouverneur général.

D’une certaine façon, puisque son plan ne peut pas être mis en œuvre, autant satisfaire les personnes qui ont permis son retour au pouvoir. Selon Constantin Melnik, "L’autre aspect de la tenaille, c’est la destruction des forces armées du FLN par le plan Challe. Certes, de Gaulle a interdit la torture, mais elle a continué sur le terrain." Incontestablement, son jeu consiste à gagner du temps. Le 23 octobre 1958, il s’adresse directement "aux rebelles" leur demandant de déposer leurs armes. C’est la fameuse "paix des braves". Bien entendu, la fin de non-recevoir est réservée par le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) naissant à cette offre. Deux mois plus tard, il effectue un changement de taille à la tête de l’armée en Algérie. Il nomme le général Challe à la place de Salan, jugé trop "politique". Pour réduire un tant soit peu l’influence de l’armée –celle-ci a reçu en 1956 des socialistes les pleins pouvoirs –, le général nomme un civil comme gouverneur général. Avant de rejoindre son poste à Alger, de Gaulle a précisé les attributions au nouveau gouverneur Paul Delouvrier : "Vous êtes la France en Algérie et non le représentant des Algériens en France."

Mais une République peut-elle se reposer sur un seul homme ? Aucun pays n’a accompli cet exploit irréaliste. Toutefois, les erreurs du général de Gaulle, selon Constantin Melnik, se multiplient à foison. En effet, bien qu’elles ne soient pas toutes imputables au général, il n’en demeure pas moins que son entourage porte une responsabilité pour ne pas avoir accompagné fidèlement la politique gaullienne. "La Ve République naissante n’avait pas beaucoup d’hommes valables et de Gaulle était entouré de courtisans qui ne s’intéressaient pas du tout à l’Algérie. On ne peut pas dire que Michel Debré s’en soit beaucoup occupé car c’était un nostalgique de l’Algérie française, bien qu’obéissant en dernier recours à De Gaulle" déclare Melnik au journal le Monde, un hors série de février-mars 2012, consacré à la guerre d’Algérie. Ainsi, malgré le lancement du plan Challe en février 1959, de Gaulle ne songe pas à la seule victoire militaire. D’ailleurs, ne dit-il pas le jour de la passation de pouvoir à l’Élysée, le 8 janvier 1959, devant son prédécesseur René Coty : "Une place de choix est destinée à l’Algérie de demain, pacifiée et transformée, développant elle-même sa personnalité et étroitement liée à la France."

Cette ligne politique est respectée jusqu’à l’ultime round de négociation avec le GPRA dont la devise se résume pas la formule laconique : pas de tutelle quelle que soit sa forme. Cela dit, bien que le GPRA ait vécu, à la même période, de multiples crises, dont la plus longue a duré presque six mois, les dirigeants algériens ont attendu que de Gaulle règle d’abord le problème au niveau français. Les épisodes des barricades de janvier 1960 et le putsch raté d’avril 1961montrent, si besoin est, que le pouvoir gaullien comporte des faiblesses. Par conséquent, la thèse de Melnik selon laquelle "le vrai problème, c’est que de Gaulle n’a pas commencé à négocier avec le FLN dès son arrivée au pouvoir" ne tient pas la route. Par contre, après l’échec du putsch d’avril 1961 côté français et la mise en minorité au CNRA (Conseil national de la révolution algérienne) des membres de l’EMG (Etat-major général) commandé par Boumediene côté Algérie, la négociation peut commencer. En mars 1962, bien que la négociation ait été rude, l’accord de paix entre les deux pays est signé. En tout cas, ça ne pouvait pas être plus tôt ou du moins très tôt.

Aït Benali Boubekeur

Plus d'articles de : Opinion

Commentaires (4) | Réagir ?

avatar
oziris dzeus

Y a un point commun entre boutef et digoule, ils sont tous deux des planqués aux delà des frontières ouest Maroc et la Grande Bretagne. et c'est pour cela que digoule a aidé boutef et ses amis a prendre le pouvoir en Algérie. entre planqués on se comprend. Une fois les planqués rentrés les résistants à colonisateurs sont devenus des indésirables. L'histoire commune entre l'Algérie et la France se résume à ça.

avatar
moncef alaoui

... ""Mais une République peut-elle se reposer sur un seul homme ? Aucun pays n’a accompli cet exploit irréaliste.. """, nous dit Aït Benali Boubekeur qui fait une lecture partielle des événements qu'il décrit. Car De Gaulle a tout fait pour être le maître absolu ; s'arroger les pleins pouvoirs, faire de la politique extérieure une chasse gardée, mettre la justice sous tutelle avec des lois sur mesure, contrôler la presse, se présenter comme le sauveur de la République en éliminant très vite ceux qui l'avaient fait roi, imposer ses hommes à tous les niveaux de l'administration... ça ressemble beaucoup à la dictature! (n'est ce pas une de ses fameuses phrases, "pourquoi voulez vous qu'à 67 ans je commence une carrière de dictateur"!)... De Gaulle est arrivé au pouvoir, ce n'est pas un secret, par un coup d'état en trahissant ses propres amis (Salan en a fait les frais!!). et quand on fait un coup d'état on doit absolument tout contrôler sinon on perd tout. alors dire qu'il ne pouvait pas est une erreur historique grossière qu'il faut corriger au plus vite. l'Indépendance de l'Algérie aurait pu être obtenue beaucoup plus tôt mais De Gaulle s'y opposait. Il n'a d'ailleurs jamais changé d'avis mais a décidé de placer une bombe à retardement qui en provoquant la"décolonisation" n'a pas fini d'exploser. A bien réfléchir, De Gaulle, voulait garder l'Algérie mais il a préféré traiter avec ceux qu'il savait qu'il détruirait leur pays. Pourquoi a-t-il fait ça? Par mégalomanie mais surtout par vengeance, On ne désobéit pas au Général!!!!. (Bouteflika a agi exactement de la même manière.).

visualisation: 2 / 4