Pour un demi-siècle de bravoure, le prix Nobel pour la femme algérienne !

La condition féminine, c'est un peu comme Sisyphe dans le mythe.
La condition féminine, c'est un peu comme Sisyphe dans le mythe.

"Quand tout se fait petit, femmes vous restez grandes." Victor Hugo

Cinquante ans au féminin en Algérie est une véritable révolution si l’on entreprend un instant une barrière dans ses synapses à contingence machiste. Voir comment les mères, les sœurs, les épouses, les filles, les brus, les tantes et leurs filles, ont-elles évolué dans un pays qui ne les a pas tellement aidées à la faire, incite à mettre chapeau bien bas.

De la femme qui mettait le voile avant de regarder la télévision chez les voisins nantis – elles n’étaient des oies pour croire que le présentateur du JT dans le petit écran les regardait pour de vrai, mais le "vivant" des personnages cathodiques introduits dans les intimités ne pouvaient d’un coup, à l’époque où le mâle toussait pour se faire un chemin dans la demeure, éclater les convenances de la promiscuité femelle - à celle qui réalise la trémie du Premier mai, échappée à l’attentat de la rue des Aberrames, aujourd’hui, Hassiba Benbouali aurait joui d’un bonheur incomparable.

Une histoire de courage et de patience

La moitié de l’humanité nationale a pratiquement navigué à contre-courant son devenir depuis l’indépendance. Doublement colonisée, pour reprendre les mots du constat de Mustapha Lacheraf, asservie par la France et par le mâle autochtone, le père, le beau-père, l’oncle, le frère, l’époux, le cousin, souvent le voisin, le contremaître, la gent féminine en Algérie a réalisé dans l’ombre un cheminement anthropologique qui mérite plus que le respect, le droit de cité dans le salut de la nation.

On ne célèbre pas le "septième" jour de sa venue au monde mais lorsqu’elle sort du même lycée, voire de la même classe, que son frère, une fois à la maison, elle a juste le temps de reprendre son souffle avant d’aller à la corvée coutumière, souvent les chaussettes et les slips aussi de son camarade de cours qui fait ce qu’il veut à la maison, y compris de ne pas réviser. C’est lui qui choisit la chaîne et l’intéressant pour lui dans le programme ; il peut demander quelles filles elle fréquente, s’il elle fait de même toute la famille se retourne contre elle. Parce qu’elle aurait projeté.

Il a appris en ouvrant les yeux à disposer de la meilleur part à la maison, à défaut la part même de sa sœur. De tous les avantages, le confort de la maison est beaucoup plus pour lui que pour elle ; c’est lui le maître d’internet ; il a un droit de regard sur le facebook de sa sœur en même tant du gros de l’argent de poche. Il appelle sa copine dans le fixe pour économiser son crédit dans le portable, mais sa frangine le fait à la sauvette en chuchotant dans un coin discret pour ne pas éveiller les remous virils du gâté de la famille. Si l’appartement n’est pas grand pour tout le monde, en tout cas c’est le garçon qui peut jouir de l’aubaine d’une chambre pour lui tout seul quitte à caser la fille dans le séjour ou carrément dans la chambre des parents.

L’extraordinaire force du paradoxe

Mais anecdote. Une jeune fille est assise à coté de moi juste derrière le conducteur d’un Isuzu flambant neuf. La trentaine, complet jeans et casquette, il discute avec le receveur, le véhicule bondé, je tais la manière dont il conduisait pour l’économie au profit du sujet, le bouchon était atroce et la circulation fort nerveuse, puis il s’emporte sans raison et dit à son partenaire : "C’est dommage que la France ait quitté le pays !"

Le receveur, la vingtaine quant à lui rétorque : "Elle ne reviendra même pas dans le rêve pour vivre avec ce peuple pourri !"

La fille se retourne vers moi, serre son gros sac sur ses genoux, ses muscles maxillaires vibrant, elle me dit : « j’ai étudié cinq ans après le bac et je travaille à vingt-cinq kilomètres avec un salaire minable et voilà ce que j’écoute, monsieur, ces deux inconscients ne me sont pas étrangers, je connais leur famille à laquelle ils ont fait vivre l’enfer, ils ont obtenu ce bus par l’Ansej, c’est-à-dire gratuitement sans aucun effort ni souci. »

Il s’agissait d’une bibliothécaire d’une grande école dans la banlieue est algéroise, en retard pour son travail. Elle appela une responsable pour s’en excuser.

N’ayant pas de contrainte particulière, je descends au prochain arrêt pour continuer à pieds jusqu’à Ben Aknoun. Mais sur mon chemin vers la fac de Droit je vois les filles de son âge qui pressent le pas, seules ou en groupe, et désormais je ne les vois plus, subitement, comme j’avais coutume de les voir chaque fois que je passe en leur proximité, la jeune bibliothécaire a dû à coup sûr m’avoir endoctriné par la force de quelques phrases. Je lorgne le jeune homme au loin qui accompagne certainement une condisciple sous les palmiers et je me dis que sans doute avant de le rencontrer elle avait probablement préparé le petit déjeuner de ses frères après avoir passé dans le lavabo la vaisselle de la veille. Je scrute donc philosophiquement le gaillard qui a sans doute pris dans le semainier une paire de chaussette neuve lavée par sa frangine qui étudie la biologie chez Farid Cherbal à Bab Ezzouar. Bref.

Puisqu’il faut revenir à la pauvre fille du bus et les ex empoisonneurs de leur famille, bénéficiant des largesses de la gouvernance de Bouteflika – un chef de parc de l’Epeal doit aligner sur le tapis trois ou quatre retraites cotisées pour espérer se permettre un minicar s’il compte terminer ses vieux jours sans angoisse de la pension périmée, c’est en quelque sorte la reconduction de la sagesse de Boumediene qui offrait au jeunes fellahs une coopérative agricole comme sortie du paradis avant le premier coup de pelle acquiescé - le dégoût de soi du conducteur et de son jeune frère traduit par la nausée de leur pays commencée dans la famille qui les abrutit au lieu de leur donner les forces nécessaires pour être responsable des dons de la vie. Contrairement à la sœur éprouvée à longueur de journée, qui reprend paradoxalement la part de l’énergie du mâle qui s’effiloque.

Le double asservissement de la famille et du régime

Ce sont les mille corvées imposées dès l’enfance à la fille qui font qu’elle apprend la force par l’accomplissement de la tâche malgré sa faiblesse physique par rapport à la fratrie masculine qui joue au foot, va à la piscine, mange mieux et demeure libre de tous ses mouvements gratificateurs à la maison, qu’il ne reportera pas toujours avec bonheur dehors.

Le frère est résolument l’élu, pendant tout le temps nécessaire au leurre où il va se rendre compte, la gouvernance de l’assistanat aidant – pour la paix sociale dirait-on, on s’en fout pour l’instant – que c’est sa sœur qui s’apprête à lui remettre l’argent pour son gel et pour la facture du net et accessoirement pour ses cigarettes ou sa chique. Et que c’est elle qui va l’aider pour le trousseau de la promise l’attendant chez ses parents qu’il commence à travailler. Des statistiques démontrent que la majorité des mariages chez les jeunes craquent par manque de maturité chez l’époux qui retrouve difficilement chez son épouse les permissivités maternelles parce qu’elle n’a pas été élevée dans une famille où elle ne s’occupait des chaussettes et des slips de son frère.

Ceux qui sacrifient pour les études et les apprentissages sont parmi les tirés d’affaires dans les relations sociales qui déterminent en gros ce que les psychologues appellent l’estime de soi. Rares sont les frères vraiment responsables qui, sachant que les filles ont des besoins physiologiques, s’occupent-ils des besoins de leurs sœurs pour cela quand elles n’ont pas de ressources. C’est courant que les démunies utilisent les chutes de vieux tissus pendant le cycle alors que le chouchou de la maison entretenu par le revenu parental gaspille pour juste son plaisir de quoi entretenir dix périodes menstruelles à la fois. Je vois déjà des lecteurs qui se demandent s’il n’y aurait pas de ma part une tentative de dramatisation par l’intime humain biologique. C’est parce que justement je suis de cette catégorie d’hommes qui considère la femme à disposition de délicatesse naturelle sur le plan purement physique. Qu’on ne me rétorque pas que madame Curie n’a pas fait des calculs sur une expérience ou une autre par rapport à des menstrues problématiques, ailleurs aussi chez les comédiennes, les chirurgiennes, les politiques, les policières, et cetera. Combien de femmes ne provoquent-elles pas la panique dans le lieu du travail par le fait qu’elles tombent enceintes ? Comme si elles le font exprès dans un objectif malsain. La fonction de la perpétuation de l’espèce devient aussitôt chez les collègues imbus de leur virilité "qui ne laisse pas de trace visible" un sujet de plaisanterie qui sanctionne par projection tout le personnel féminin.

Au-delà des désirs

Dans toute relation de travail en promiscuité mixte la part des désirs charnels est inévitable. De part et d’autre. Aucune religion, aucun dogme, ne peut empêcher l’intéressement physique pour l’autre ; ce n’est pas de croire ou de ne pas croire que les hommes et les femmes s’interdisent les impairs mais c’est dans l’éducation et le respect mutuel, le refus d’aller au mépris. J’ai vécu durant mon service militaire des harcèlements tragiques sur des veuves de chahid dans les ménages à l’hôpital Maillot.

J’ai la chair de poule en y pensant aujourd’hui. Elles allaient dans les buanderies pour tirer la porte et pleurer. Aujourd’hui c’est l’étudiante qui est à son tour harcelée par son docent ou carrément par le prof. Mais dans la plupart des cas elle réagit et le harceleur retourne à sa place. Dieu merci, nos filles aujourd’hui ne sont pas seules ; elles ne se taisent pas, elles nous racontent sur nos épaules. Qui plus est, elles ne se cachent plus entre elles les faiblesses de l’homme qu’elles côtoient à longueur de journée, jusqu’à dans le bus ou le taxi, quand elles se disputent un passage sur la chaussée ou chez le marchand qui par le passé faisait la loi parce qu’elle achetait les yeux baissés et la voix réprimée.

D’aucuns remarquent et n’hésitent pas de le dire que la "redjla", aujourd’hui, elle se heurte entre les sexes ; ce n’est plus désormais du ressort du seul trophée masculin. L’expression "pleurer comme une femme" devient caduque par au moins la preuve que ce sont exclusivement nos braves garçons qui s’installent dans la philosophie de la victimisation avant de prendre les esquifs pour foutre le camp n’importe où. Du radotage aussi. Oyez discrètement dans le bureau ou par le balcon qui donne sur votre coin de rue. Si l’on ne parle pas Mouloudia ou Barça, c’est le châssis de la lointaine riveraine qui est à l’ordre du jour.

Par ailleurs il se trouve rare qu’une travailleuse laisse manquer dans son sac un peu de monnaie les derniers jours avant la paye. Beaucoup de familles ont pu réussir une meilleure qualité de vie grâce à l’apport des filles qui turbinent en alimentant les budgets sans compter. Innombrables sont nos filles qui font des miracles de comptabilité sur le salaire pour des projets précis, le trousseau, la part familiale, les besoins personnels, les remboursements, les anniversaires – que l’on n’invente pas pas que c’est le garçon qui veut avoir l’exclusivité de la tarte et du cadeau pour l’anniversaire de maman.

Dans le psychique du voile

J’ai observé, entre autres durant mes longues années de reportage, dans les villes, les campagnes, les villages, les bourgades, les lieux-dits, cet extraordinaire syndrome social qui tourne autour du vêtement féminin. Les psychosociologues ont dû certainement pioché sur le domaine mais pour mon compte j’ai remarqué l’habit de la gent féminine est avant tout dans la tête du mâle. Lorsque une sœur achète un effet, son frère avant de lui dire mabrouk âalik il se l’imagine d’abord sur elle pour voir s’il ne va pas lui créer un problème psychique. Car l’habit pourrait tracter des appétits sensuels sur la sœur qui sort travailler mais qui est en même temps garante de l’"honneur" de la famille, au cas où le chemisier ou le veston, pour reprendre la formidable image de Kamel Daoud, ne couvre pas entièrement le "balcon", si vous voyez combien cela chagrine le frangin qui a, en revanche, bien le droit d’exhiber la moitié de son slip grâce à son pantalon taille basse, froissé et déchiré. Le vêtement dans l’hypophyse des hommes de la famille, et par glissement dans le charnel social, le voile, au final, c’est l’homme qui le porte. C’est plus sa question à lui que le problème de la fille. Il n’y a pas de hidjab innocent, parce qu’il est porteur de discours. La pratique génitale serait certainement anodine si elle n’était pas accompagnée de rhétorique. Du verbe au masculin pluriel.

Mais là c’est tout une autre histoire que l’on approchera sans aucun doute un jour pour dire la tragédie du coût de la vie en Algérie par la faute duquel le concept de la virginité, chez la fille comme chez le garçon, hélas, n’est plus du ressort de la nature mais de la faculté des pouvoirs qui régentent les besoins biologiques de la nation.

Pour quelle saloperie de député la bibliothécaire du bus qui exècre son pays va-t-elle voter en mai ? Pour celui de la bande des flibustiers de la rente qui lui donnera peut-être la chance d’avoir son logement bien après sa ménopause ?

En tout cas la femme dans notre pays, sur le plan des valeurs certaines sur le genre et sur la nation, elle n’a pas chômé durant ce demi siècle. A la place de n’importe qui je la proposerai pour le prix Nobel.

Nadir Bacha

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Commentaires (2) | Réagir ?

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Khalida targui

Monsieur Bacha, vous avez un côté féminin puisque vous savez parler à la place des femmes. Dans la revue scientifique Sciences et Avenir j'ai lu que les hommes qui réussissent ont une nature moitie masculine moitie féminine, les femmes aussi d'ailleurs. On voit pourquoi on restera toujours les derniers et nous n'aurons jamais le Nobel

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Daamghar .

La dualité heureuse ou mesquine entre la Femme et l'Homme existe depuis la création du monde selon les genèses des livres saints. Il faut juste trouver les forces pour faire les parts des choses et s'astreindre à être plus positif comme les femmes et les hommes de bonne volonté que rétrograde comme les musulmans actuellement ou bien comme tous les êtres qui forcissent encore dans les croyances ou coutumes ancestrales.

Et pour l'annotation de la photo, je vois plutôt la femme comme Atlas portant le monde mais pas comme Sisyphe avec son rocher. Sisyphe était pour les Dieux Grecs un grand "voyou".