Une périlleuse crise morale en France et la nostalgie du bougnoul

Claude Guéant, le ministre de l'Intérieur français.
Claude Guéant, le ministre de l'Intérieur français.

"S’occuper des choses les plus sérieuses n’est possible qu’à la condition de comprendre aussi les choses les plus dérisoires." Winston Churchill

Est-il apte à l’entendement, aujourd’hui, de se poser la question sur les équivalences en matière de civilisation ? Ni même de pouvoir définir celle-ci ? Qu’est-ce que l’on pourrait en dire, vingt-six siècle après l’invention de la démocratie, presque en même temps que la naissance de la philosophie, deux cents ans après le déclenchement de la Révolution industrielle, un siècle depuis le chamboulement dans les approches de la science physique et la pratique rationnelle de la médecine, et tout dernièrement vers la fin du deuxième millénaire, les miracles dans la communication mondiale au bout des espaces humains réunis, dans les temps réels mais surtout dans une économie mondiale quasi unifiée, qui ne soit donc non seulement une perte de temps, dans le sens proverbiale rapporté à la valeur de l’argent et dans l’autre, celui des repères anthropologiques où l’homme ne doit-il s’arrêter sur ses pas qu’en se pensant évoluant, c’est-à-dire plus compétent et performant, sans renier ses origines, aussi approximatives eussent-elles été mais aussi et surtout une déperdition en confiance sur l’espèce dans le reniement des valeurs non garanties par les pouvoirs qui régentent ?

Les individus et les groupes pour leurs valeurs

Quelle différence peut-il y avoir, avec toutes les conditions psychologiques et matérielles réunies, entre un médecin malien de Bamako qui parle à son épouse dans le portable en swahili avant de soigner un touriste venu de Montréal causant français et un lointain confrère qu’il ne connaît pas de Rouen en train de blaguer en breton avec la secrétaire médicale qui va lui faire rentrer un patient chinois en visite d’affaires causant plusieurs langues, sur le plan civilisationnel qui pourrait "concrètement" nuire à la profession ? Et dans le premier cas comme dans le second c’est donc quoi la civilisation en ce février 2012 ?

De même sur la surface de la Terre pour l’architecte, le comptable, le régisseur de cirque, le concessionnaire automobile, le metteur en scène de théâtre ou de cinéma, la ménagère qui sort acheter sa revue ou accompagner sa progéniture vers son école en croisant en chemin une amie immigrée du Mato Grosso qui dessine chez un groupe designer sous-traitant pour une transnationale d’industrie, pour le bosco qui revient de Brême en attendant d’embarquer pour Alger, pour aussi, le stewart burundais qui fait escale à Rome pour boire un coup rapidement avec une hôtesse belge de la Sabena, flamande, mais qui châtie la langue de Gide, ou enfin, le touriste saoudien sapé en complet panaché prospectant une intéressante discothèque ou un très cool lupanar mondain dans le septième arrondissement parisien, le groom dans le gratte-ciel new-yorkais qui grimpe sur la terrasse du sommet pour prier Bouddha ou Brahmâ vite fait avant de rejoindre cent étages plus bas la porte principale d’accès.

La civilisation du respect

Tout le monde y est quasiment un peu chez soi sans la contrainte du langage, à la condition de remplir les conditions d’obtempérer à celle de la loi qui régit l’environnement humain accueillant. Faisant la fête à Bombay, un groupe de riches étudiants touristes n’embrochent pas un veau dans le jardin au vu des voisins autochtones, Prince à fond la caisse. De même qu’un Francfortois en mission à Sousse ne casse pas la croûte dans un banc public à midi printanier en plein ramadan, un Tunisois une soirée d’halloween en banlieue de Boston a le droit de ne pas s’empêcher d’offrir des bonbons aux enfants venus dans le bas de son hôtel. Bref, il faut être exprès masochiste pour ne pas s’avouer quelque part ce joli morceau de triomphe devant la formidable synthèse de tous les comportements rationnels humains qui se donnent à lire dans la majeure partie de l’existence en groupe au travers des relations dans le travail, dans l’apprentissage ou dans les distractions. Que faudrait-il de spécial, à part la langue – qu’on peut apprendre dans l’année – lorsque l’on est assis face à sa télé au bord du Mékong à suivre un évènement qui se passe à Benghazi en bordure de la Méditerranée ?

C’est à ce point de symbiose, qui dépasse depuis longtemps le stade de la convention, qui fait, par exemple, que les êtres humains dans la planète n’apprennent plus l’anglais pour être dans l’air du temps ou pour voyager mais dans le but de carrément communiquer, d’apprendre, de se remettre en question, de dénouer les obstacles de la solitude cultuelle, au point où presque n’importe quel homo sapiens peut du jour au lendemain changer de nationalité pour des pays à l’autre bout du monde sans que sa vie dans son ensemble ne se soit sensiblement bouleversée.

Les dénominateurs inébranlables

Dans tous les continents, les gens s’habillent de la même façon ; on peut mettre un kefief, une kippa, un foulard, un béret basque, un sarouel en taffetas de chez Yasmina, un tailleur en satin sorti de chez Karl Lagerfeld ou un fez au-dessus d’un bleu de Shanghai, tous les accoutrements que l’on s’imagine, mais nous portons, à des labels et des textiles près, accessoirement le même slip et le même soutien. Nous utilisons les mêmes préservatifs et contraceptifs, les mêmes produits épilatoires, les mêmes denrées aphrodisiaques, s’il en est, et cetera. Soit.

Mais c’est dans la tête des politiques que ça ne doit pas se passer ainsi. Je ne me rappelle pas lequel parmi Kateb Yacine, Ali Zamoum, M’hammed Issiakhem, Saïd Ziad ou docteur Belkacem Bouchek, quand nous étions jeunes aux aguets de leur regroupement pour nous immiscer dans leur concert, qui nous disait que l’homme politique est, en vérité, une racaille sacrée qui ne déclare ce qu’il y a dans sa tête - même si c’est une profonde addiction à la contre nature - que lorsque il sait que ça l’aide à l’augmenter dans le pouvoir.

Un ministre français dit que les civilisations ne s’égalent pas. Sans être dans le secret de ce qu’il en pense vraiment ni certain dans les emprises avouées ou devinées de ce grand commis dans son pays, quoique je ne cracherais pas sur une bonne coteau de Mascara, je dirais que je partage cinq sur cinq ce qu’il avance.

La culture du monde pour le bien du monde

Au sein du prodige de la même civilisation dans le même espace temps, je porte un respect sans limite à Bertolt Brecht en exécrant du plus profond de moi-même l’ingénieur en chef de l’usine Heinkel qui fabriquait les panzers. Dans les mêmes considérations générales, je lierais volontiers des amitiés pleines d’affection pour le commandant Cousteau tout en faisant tout ce qui est dans mes possibilités pour dénoncer mes compatriotes qui pillent la barrière de corail dans les côtes orientales algériennes pour la revendre en pièces à des artisans bijoutiers dans les Bouches-du-Rhône dont l’un des principaux associés fait la prière du vendredi dans la mosquée d’Aix-en-Provence où la cadette en fuseau et tresses multicolores travaille dans le Centre des archives d’outre-mer.

Quand j’étais enfant je blasphémais toute la race de de Gaulle lorsqu’on nous disait qu’il bombardait les villages en Kabylie et dans les Aurès mais ensuite je l’ai applaudi lorsqu’il a donné l’ordre de pratiquer le double référendum en 1962 pour décider de l’avenir de mon pays. Et j’ai continué par la suite à apprendre à M’cid Fatah les fables de la Fontaine et lire les Lettres de mon moulin en continuant à réciter les anachid chez raïs Mustapha dans les scouts de Bab Djdid au boulevard de la Victoire.

Je suis de concert avec Claude Guéant, le ministre de l’Intérieur français, qui dit que les civilisations ne s’équivalent pas. Parce qu’il ne compare pas des civilisations, car faudrait-il qu’il y en est pour qu’il puisse le faire – je suis certainement parmi les derniers à écrire ici que les civilisations, dans le sens des Lettres persanes de Montesquieu ou de la description de la société chinoise par Ibn Batouta ou par Marco Polo, ont péri dans la mort des idéologies. Même celle de la mafia à l’origine romantique de la vieille Sicile, après l’avènement à ciel ouvert de ses multiples versions, la mafia russe, l’ukrainienne, l’azérie, même la serbe ou la slovaque, qui possède désormais, aujourd’hui, les caractéristiques criminelles dans un unique modèle universel.

La civilisation "électorale"

Il raconte, pour le compte d’une campagne électorale dont il n’a aucune compétence dans l’art d’impliquer les grands arguments rassembleurs, une histoire de l’adolescent qui cherche à impressionner des partenaires craquant pour la même camarade de classe ou voisine de quartier, qui vante les mérites de la famille, bonne catholique pétrie dans la culture bourgeoise, charitable et capable d’alliance de patente race. Contre la racaille musulmane dans son pays qui s’intègre dans les rouages de l’économie politique et de la culture d’une manière fulgurante, dans la mondialisation, parce que déjà forte d’une extraordinaire expérience de transhumance, s’installant sans peine dans le nouveau modèle de l’habitus international qui fait peur aux dirigeants de la droite française parce qu’ils n’ignorent pas que les Français qui "ne sont pas de souche", en général, ils possèdent un patrimoine supplémentaire qui pèse dans les rapports de force, individuellement et communautairement. Que la civilisation de cette fraction politique permet d’être, sans problème de morale particulier, sous les ordres d’un leader et chef d’Etat condamné pour larcin.

Je le comprends quand il le dit sachant, lui le grand énarque, qu’il n’y a pas de mémoire française, un citoyen de l’Hexagone capable de se targuer avoir surpris Yvonne de Gaulle en demi-manche seulement. Qui a rempli son regard sur le film de la femme nue jouant de la guitare et chantonnant lorsqu’il ne savait pas qu’elle va devenir, ressortissante italienne, la première dame de France dont l’époux français de justesse le nommera dans le poste le plus important de son gouvernement. Je ne perds pas de vue qu’il le déclare parce qu’il sait d’avance que ses contradicteurs tomberont dans le piège tendu, prévoyant l’implication des intellectuels maghrébins francophones qui ne résistent pas de tomber dans le complexe de la défensive.

Je saisis parfaitement le risque encouru par un ami chroniqueur, et admirable poète aussi, lorsqu’il profite de l’occasion d’une valorisation de l’œuvre de Mouloud Feraoun dans une adaptation d’un texte à l’Odéon pour sauter dans la gueule de Claude Guéant en revenant à l’OAS qui assassina froidement l’écrivain, en expliquant aussi dans la foulée, récriminant le ministre, que l’auteur du Fils du pauvre ne pouvait en tant que colonisé qu’être de l’école française et qu’ainsi aujourd’hui parce qu’il a été à l’école française on se souvient de lui à Paris. Dans le même ordre d’idée, on cite en France Ahlam Mostaghenemi, qui écrit en arabe, parce qu’elle y établie et qu’elle a soutenu une thèse sous la direction de Jacques Berque, le célèbre orientaliste. Sinon la très perspicace romancière, elle resterait cloîtrée dans sa civilisation appartenant à l’indigence intellectuelle.

De la pensée cultuelle, morale et politique en France

Il resterait, finalement, de connaître la religiosité des Français de souche. Combien sont-ils de chrétiens ? Un chiffre de 40 millions est avancé justement par le ministère de l’Intérieur, mais il n’ajoute pas que toutes les églises sont pratiquement désertées ou abandonnées. Il dit plutôt que les musulmans ne se suffisent-ils pas de leur mosquées et salles de prière pour se prosterner dans les trottoirs ; mais ces musulmans dans la grande majorité n’enfreignent pas la convention de la laïcité dans le commun de leur existence en promiscuité. Est-ce que de jeunes silhouettes en canon de beauté, mini-galbé et le nombril apparent, mais dans une sorte de secte à la mode se voilant la face, attireraient-elles les foudres de guerre de Claude Guéant et de sa bande de garants de leur civilisation qu’ils n’ont même pas dans la tête ?

Quel est le bien-fondé de la civilisation de l’UMP qui défend le mariage homosexuel tout en bannissant l’union polygamique ? Quelle est-elle dans l’engagement rationnel postsartrien cette civilisation incomparable où le petit-fils d’un commissionnaire auprès de dictateurs austro-hongrois, devenu président du pays de Clemenceau, pour organiser en direct à la télévision planétaire le massacre jusqu‘à la mort d’un chef d’Etat qu’il a reçu chez lui avec les honneurs d’un ami sincère quelques mois auparavant ?

Le traquenard dans l’Histoire politique

En tout cas, ce ne sont pas les socialistes qui nous en diraient moins, déjà par la faute de leur premier pressenti candidat à la présidentielle, l’ex-patron du FMI, et les médias planétaires, l’humanité entière était pendant des mois suspendue au bout de son organe génital. Ses camarades de Solferino (1), qui aujourd’hui prennent-ils au col l’UMP par les déclarations qu’ils jugent racistes et contre le sacré de l’humanité, n’ont-ils pas laissé Anne Sinclair cracher sur toute la gent féminine du monde en ne condamnant pas au moins l’adultère de son mari, dans la loi française considéré comme faute civile selon l’article 212 du code civil qui stipule que les conjoints se doivent fidélité mutuelle ? D’ores et déjà, l’on pourrait estimer que l’électorat d’avril prochain pour le compte de François Hollande soit boudé par les Françaises.

Quoi qu’il en soit, le ministre français de l’Intérieur, de l’immigration aussi, est de cette génération qui avait vingt ans à cette époque du bougnoul corvéable et méprisable à souhait, expédié par les Bureaux de mains-d’œuvre d’Alger, de Rabat et de Tunis, qui faisait la prière et le ramadan en cachette mais dont la descendance aujourd’hui, barbue, en hidjab, athée ou gay, joue des rôles de première importance dans l’évolution de la société française. Ce qui désarçonne dangereusement dans la tête naïve de beaucoup d’hommes politiques qui continuent de croire que quelque part en bluffant fort un esprit gaulois renaîtra.

Nadir Bacha

(1) Rue de Solférino, siège du Parti socialiste à Paris

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Commentaires (1) | Réagir ?

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khelaf hellal

On ne peut pas se comprendre soi-même si on ne comprend pas les autres et ça je crois que le général De Gaulle l'a compris avant tout le monde avec son célèbre : " Je vous ai compris !" en réponse à ceux et celles auxquels il a fait offense et qu'il a fait souffrir et martyrisé à domicile pendant plus d'un siècle. C'est d'autant plus frappant et désarmant lorsque c'est votre ennemi intime qui vous le dit.