A propos du film de Jean-Pierre Lledo

A propos du film de Jean-Pierre Lledo
Une polémique tartuffienne sur un film tortueux. C’est, en résumé, à cette fausse querelle pour jobards que nous convient la ministre Khalida Toumi et le cinéaste Jean-Pierre Lledo, à propos de l’interdiction du film « Algérie, histoires à ne pas dire ». L’origine du différend serait donc d’un banal ordre procédurier : la ministre de la Culture tient au visionnage préalable du documentaire au format de 52 minutes, Lledo refusant pour sa part de soumettre son œuvre à la commission de lecture et d’en réduire la durée. Ainsi présentée, la controverse prend l’allure d’une de ces futiles algarades qui nourrit avec bonheur le côté cancanier du monde de la culture et où chacun se donne raison : Khalida Toumi crie au « non-respect du contrat », Jean-Pierre Lledo à « la censure », et tout est parfait. Il n’y aurait donc rien à redire sur la polémique si elle n’était factice et, disons-le, un peu chafouine. La ministre comme le cinéaste s’accordent à se déchirer avec brio sur un faux prétexte pour masquer, avec le même brio, le vrai motif du différend : le contenu du film lui-même. Car le débat autour du documentaire de Lledo est seulement d’ordre politique et mémoriel. Qu’est-ce que « Algérie, histoires à ne pas dire » sinon une relecture à la fois audacieuse et pernicieuse, originale et discutable, de l’occupation coloniale et de la guerre de libération. Ce que n’ose pas avouer Mme Toumi c’est que les autorités algériennes ont déjà décidé de ne pas diffuser ce long-métrage jugé « révisionniste » et suspecté de louer « les bienfaits du colonialisme. » Ce que n’ose pas avouer Lledo c’est que ce film, comme tous les films propagandistes, n’a de raison d’être que s’il arrive au public algérien, ce qu’il s’emploie à faire, fut-ce au moyen de la contrebande.
Au final, une belle scène à « La vérité si je mens », Lledo refusant de soumettre son film au « visionnage préalable » pour les mêmes raisons qu’a Mme Toumi à vouloir le « visionner »
Qu’en est-il au juste ? Pour avoir vu le film, je dois dire que j’en suis sorti perplexe et, sans succomber aux pulsions cocardières ni partager le chauvinisme de certains confrères arabophones, assez choqué. « Algérie, histoires à ne pas dire » prend des libertés révoltantes avec une page sanglante de notre passé. Le film repose sur une chimère, un sournois raccourci et un dangereux amalgame. La chimère est racontée de façon récurrente : indigènes et pieds-noirs vivaient en excellent voisinage. Le raccourci est soufflé à l’oreille : cette convivialité fraternelle a été brisée par la guerre de libération au moyen de méthodes terroristes (pose de bombes, attentats…), retrouvées trente ans plus tard chez le GIA. L’amalgame devient ainsi suggéré : l’ALN, à bien y regarder, est la génitrice du GIA. La conclusion vient d’elle-même : l’indépendance arrachée au moyen de « procédés génocidaires », en brisant l’harmonie fraternelle entre indigènes et pieds-noirs, a installé une haine tenace qui fait s’entretuer, trente ans après, « les indigènes entre eux ». D’où le titre initial du film, « Ne restent dans l’oued que ses galets.»

Pas une image sur les humiliations subies par les populations indigènes, sur la nature barbare du colonialisme ni sur l’injustice qui les a fait se soulever. Le film de Lledo privilégie une vue de l’esprit (j’ignore dans quelle Algérie l’auteur a vu cohabiter pieds-noirs et arabes dans la félicité), des omissions et des anathèmes pour regretter qu’en 1962 nous n’ayons pas épousé le modèle sud-africain sur la cohabitation.
Sans vouloir jeter quelque opprobre que ce soit sur le cinéaste, je dirais que l’œuvre de Lledo est une offense à la mémoire d’un peuple et dont il aurait pu faire l’économie. Elle rejoint, consciemment ou inconsciemment, ces créations qui fleurissent dans l’Hexagone et qui se résument en des entreprises de « déligitimation » et de dévalorisation de la résistance algérienne, soumise à un ignoble parallèle avec la « décennie noire.» Voudrait-on sublimer la colonisation que l’on ne s’y prendrait pas autrement.

Bien sûr l’écriture de l’histoire est faite de passions et de controverses et rien n’interdit ce que les historiens appellent la « déconstruction. »Il reste que cela doit obéir à l’exactitude pas aux émotions ni encore moins aux arrière-pensées.

Voilà, à mon sens, le véritable enjeu de l’empoignade Toumi-Lledo Cela justifie-t-il la censure ? Non. Plutôt que d’interdire le film de Lledo, Mme Toumi devrait favoriser la diversité créatrice qui, seule, peut aider à la vérité. Mais cela est une autre histoire…

Mohamed Benchicou

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Commentaires (3) | Réagir ?

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mohammed chami

Non ! Non ! M. Lleido. Ni ABDELHAMID BENZINE, Ni BACHIR HADJ ALI, NI GEORGES RAFFINI, Ni HENRI ALLEG Ni… Ni…. n’auraient rejoint la guerre d’indépendance si ce que vous dites dans votre film avait seulement l’air d’être vrai.

Dans certaine région en Algérie, les colons recrutaient de jeunes indigènes pour faire des travaux durs, très durs et ces jeunes étaient accusés de vol et de brigandage et recevaient des coups de bâton comme seul salaire. Lisez ou relisez MOSTEFA LACHERAF POUR COMPRENDRE le colonialisme.

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halim bari

Il est devenu de bon ton, et surtout ""In"" de faire ce que les Maitres d'hier et d'aujourd'hui et de demain, helas, exigent des indigenes (mais refusent de se l'appliquer chez eux, allant jusqu'à exiler et faire pleurer l'Abbe PIERRE) de faire dans le revisionisme. Et on ose se draper du qualificatif d'intelligensia.... Toz..

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