La neige du Mawlid, Smaïn Khabatou et Abderahmane Mahmoudi

Les rues d'Alger sous les flocons.
Les rues d'Alger sous les flocons.

La neige dans la cité de Mezghana, c’est un peu comme une canicule à Vladivostok.

C’est merveilleux pour les âmes sensibles dont n’en manque pas cette capitale rendue infecte par ses dirigeants depuis la première prière de l’aube de l’indépendance et le premier discours de Ben Bella perché sur une balustrade improvisée à placette El Oud – Place du Gouvernement, actuelle place des Martyrs, par allusion à la statue équestre du duc d’Orléans – il disait, je me rappelle, c’était la veille de la rentrée scolaire : "Ma nmoutouch bel djouâ ou manaklouch belouche" - nous n’allons pas mourir de fin mais nous ne mangerons pas à la louche, ndlr. Les Algériens, les Algérois pour ce qui concerne ce papier, savent dans le temps qui a crevé de faim, et de beaucoup d’autres pernicieuses prophéties, et qui ne se fut pas gavé de louche.

Et puis jaillit le mage du Doyen

Depuis qu’on se rappelle, il neige sur les hauteurs d’Alger au moins une fois toutes les dix années. Celle de 2005 a été pour moi d’un surprenant enrichissement. Voire d’une sorte de resourcement dont je ne m’attendais nullement en me réveillant très tôt le matin pour intercepter un ami qui devait arriver de loin et qui ne connaissait pas Bouzaréah. Je vois par la fenêtre de la cuisine la neige qui tombait sur ma courette.

C’étai le mercredi, le 26 janvier. Je dévale vers quatre heures et demie vers Air de France, dévaler est un bien grand mot, car avant d’atteindre les Deux Piliers, j’avais par trois fois buté. Tant bien que mal, j’arrive quand même à hauteur de l’Ecole normale où je suis heureux de voir que le café de H’mida était ouvert ; c’était l’endroit fixé comme repère pour l’ami.

Il n’était pas encore cinq heures et il y avait un seul client à l’intérieur. Bonjour et je le regarde, souriant et droit, une tasse de verveine en face de lui sur le comptoir. Je commande un café bien serré en allumant une cigarette. Dès la première taffe, le monsieur se retira vers le fond et j’ai failli tomber à la renverse en le reconnaissant alors. C’était Smaïn Khabatou, en chair et en os. Oui, le cher âmi Smaïn. Et c’était la première que je le voyais ainsi en face de moi depuis le temps où il entraînait l’équipe senior du Mouloudia d’Alger dans laquelle – eh, ouais ! hélas ! – je jouais en minimes avec Ali Bencheikh, que je salue au passage. Et je suis sûr que Alilou se rappelle que ce fut bien âmi Smaïn qui assura l’organisation des "disputements" de place, en été 68.

Je n’ai pas essayé de faire rappeler le vénérable entraîneur mais j’ai osé quand même lui parler de notre coach de l’époque que je savais son ami de toujours, en l’occurrence le regretté Mustapha el Kamal, architecte de son état, aussi. Il avait les larmes aux yeux en se le rappelant en citant aussi beaucoup de disparus parmi les grands du mouvement sportif algérien, tel les Kader Firoud, le docteur Mouche, Mustapha Zitouni et tant d’autres.

Il avait 85 ans mais paraissait mon aîné de quelques années. Mais je me demandais alors quelle importante affaire le ramenait-il si tôt dans les parages. "Je viens de la régler l’affaire déjà", me dit-il avec les traits de l’homme sûr de lui. Extraordinaire pour un octogénaire : il était venu en marchant depuis El Biar sous la neige, avec juste une parka et un bonnet sur la tête afin de prendre un rendez-vous chez une guérisseuse connue dans les maladies de rhumatisme, de la sciatique et autres hernies discales et arthrites. "Une ancienne qasbaouïa qui connaît bien son métier !" me dit-il. Sans ajouter pour qui il sollicitait ses prodiges.

La dernière neige de Abderrahmane Mahmoudi

Nous avons discuté de l’avenir du foot en Algérie qu’il ne perdait jamais de vue par la voie des médias ou des rencontres avec les gens du milieu, parmi lesquelles surtout les amateurs du yoga dont il faisait une activité de prédilection. Selon Smaïn Khabatou, deux choses ruinent le foot en Algérie. D’abord les nouveaux responsables qui considèrent l’argent comme une fin et non comme un moyen, mais ensuite et surtout le manque d’investissement dans les écoles et dans les instituts de formation. Il cessa de neiger vers les coups de sept heures

Nous nous sommes échangés nos fixes mais l’indélicatesse des vicissitudes de la vie courante a fait que je n’appelle chez lui que le jour où l’incongru Butteur annonce sa mort en décembre 2010. Un petit-fils me répond en rigolant pour me dire que djedou Smaïn était en train de faire ses ablutions.

Mon ami arrive une demi-heure après le départ de âmi Smaïn, qui a insisté pour payer les consommations. En chemin vers le retour à la maison j’achète des croissants, un paquet de cigarette, de la chique pour mon invité et la presse du matin ; mais un petit choc aussitôt. Les Débats de notre cher regretté Dahmane Mahmoudi annonce à la une "De la neige à Alger."

Mon ami resta perplexe. Comment un hebdomadaire bouclant en fin d’après-midi du mardi pouvait-il savoir qu’il allait neiger le lendemain ? C’était en vérité une enquête, ou plutôt une sérieuse observation, sur la prolifération de la drogue dure dans la capitale que j’avais remise à mon ami une semaine auparavant, et par coïncidence le titre que j’avais donné à l’article, et dans un hebdomadaire, s’il vous plaît, était à point nommé porteur de forte interrogation : plus rapide que le quotidien, aussi prompt que l’agence !

Mais la neige de cette année à Bouzaréah, ya el khaoua, elle a le goût glacial et tragique de la mondialisation : maintenant désormais même de la neige en fête dans notre "nativité" !

Nadir Bacha

Plus d'articles de : Mémoire

Commentaires (3) | Réagir ?

avatar
algerie

nice article thanks for your information

avatar
algerie

merci

visualisation: 2 / 3