Tunisie : l'an un après la chute du dictateur Ben Ali

Après la révolte, les Tunisiens apprennent à réapproprier et à construire leur pays.
Après la révolte, les Tunisiens apprennent à réapproprier et à construire leur pays.

Le 14 janvier 2011, l'indéboulonnable Zine El Abidine Ben Ali fuyait la Tunisie après 23 ans de règne, premier despote arabe chassé par son peuple. Etat des lieux.

Un an plus tard, il fait partie du passé pour un pays confronté à l'urgence sociale et à des défis démocratiques majeurs. "Ben Ali ? Il est entré dans l'histoire par la petite porte et la page est tournée, il faut regarder l'avenir". A l'instar de Souha, une comptable de 48 ans, la plupart des Tunisiens haussent désormais les épaules à l'évocation du nom du président qui terrifia et mit la Tunisie en coupe réglée pendant deux décennies.

Enfui piteusement du pays le 14 janvier, dans des circonstances encore mal déterminées, le président déchu a trouvé refuge en Arabie saoudite avec son épouse Leïla. Ils vivent à Jeddah, sont de "plus en plus religieux" et Ben Ali écrit ses mémoires, selon des sources proches du couple. Riyad a ignoré par deux fois une demande d'extradition, a précisé la justice militaire tunisienne le 3 janvier.

Ben Ali, "un dégoût politique"

Les Tunisiens n'en ont cure. Et même s'ils voudraient un jour voir les membres du clan jugés sur leur sol, plus personne ne parle d'eux aujourd'hui. "Ben Ali, ça a été un traumatisme, un dégoût politique. Il ne représente plus de danger. Mais en ce qui concerne le système, la page n'est pas tournée, loin de là", analyse Yadh Ben Achour.

Pour ce juriste et ex-président de l'instance qui pilota les réformes entre la Révolution et les élections d'octobre dernier, remportées par les islamistes, "les vices" qui caractérisaient et ont entraîné la chute de l'ancien régime sont toujours là : corruption, chômage, manque d'expérience démocratique. Le chômage, dissimulé sous le "miracle économique" de Ben Ali, a explosé au grand jour et ravage des régions entières. La moyenne nationale est de 19%, mais le taux peut atteindre les 50% dans les zones de l'intérieur du pays, laissées en déshérence pendant des décennies.

Une série récente de tentatives d'immolations en Tunisie, geste ô combien symbolique dans un pays où la révolution a été déclenchée par un suicide par le feu, "montre la profondeur de la détresse des gens", souligne l'économiste Mahmoud Ben Romdhane. L'accueil houleux réservé il y a quelques jours au président Moncef Marzouki et au Premier ministre islamiste Hamadi Jebali à Kasserine, une ville symbole de la révolution, illustre la colère des régions de l'intérieur et l'absence d'état de grâce pour les nouvelles autorités.

Le fléau de la corruption

Autre fléau, la corruption continue à gangrener l'économie tunisienne. Selon le classement "Indice de perception de la corruption", établi par l'organisation spécialisée Transparency International, la Tunisie a régressé entre 2010 et 2011 de la 59e à la 73e place sur 183 pays. "La corruption se poursuit avec une ampleur extraordinaire", accuse le Dr Sami Remadi, président d'une association créée après la révolution, dénonçant "l'inertie" des autorités tunisiennes depuis un an.

Il évoque la difficulté d'obtenir des informations sur les appels d'offre dans l'administration, ou encore les dizaines de plaintes reçues par son association concernant la corruption dans les douanes. Le dernier facteur de risque pour la Tunisie réside dans le manque d'expérience démocratique. "Ben Ali est parti, mais le reste de la meute est toujours là", selon la formule d'un jeune cadre commercial.

"Le nouveau gouvernement manque d'expérience"

La plupart des RCDistes, caciques de l'ancien parti au pouvoir, "se sont recyclés dans les autres formations politiques, sauf dans les partis d'extrême gauche et nationalistes arabes", constate Salem Labiadh, professeur de sociologie politique à Tunis. "C'est inévitable, mais cela entretient le doute sur l'enracinement du régime démocratique, crucial pour le développement et l'avenir du pays".

"A côté de ça, l'élite de gauche n'a pas digéré sa défaite aux élections, et le nouveau gouvernement manque d'expérience", poursuit Salem Labiadh.

Les islamistes "ont l'expérience de la résistance mais pas du gouvernement", souligne le juriste Ben Achour, qui pointe "l'improvisation et les mauvais débuts" du gouvernement de Hamadi Jebali, et s'inquiète des réticences de son parti Ennahda à se démarquer d'une base intégriste et radicale qui donne de la voix ces derniers mois. "Le succès d'Ennahda a libéré beaucoup de forces dormantes, des forces de régression, d'ignorance", met-il en garde. La plupart des Tunisiens estiment cependant qu'il sera difficile de revenir sur une liberté d'expression chèrement acquise. Et pour Salem Labiadh, le nombre de médias, de partis politiques et d'associations constitue "un bon indicateur" de la vitalité démocratique en Tunisie.

Le clan Ben Ali en exil

A l'issue des premiers procès qui ont eu lieu, l'ancien dictateur Ben Ali cumule déjà 75 ans de prison. Actuellement il est jugé par contumace par deux tribunaux, celui de Tunis et celui du Kef, pour son rôle dans la mort de dizaines de manifestants durant la contestation. Leila Trabelsi son épouse, détestée par de nombreux Tunisiens, a déjà au moins écopé de 50 ans d’emprisonnement pour détournement de fonds publics. Le gendre de Ben Ali Sakhr el Materi, exilé au Qatar, a lui aussi été déjà durement condamné, tout en restant comme les autres en liberté.

Le clan resté en Tunisie

Une quarantaine de proches de l'ex-président sont en revanche eux sous les verrous à Tunis. Ceux qui sont les mieux protégés, car potentiellement menacés de représailles, sont incarcérés dans la caserne militaire de l'Aouina. Parmi eux figure le neveu de l'ex-première dame, Imed Trabelsi. Recherché dans une affaire de yacht volé en Corse, département du sud de la France, il a déjà été condamné à plus de 40 ans de prison pour émission de chèque sans provision, détention de pièces archéologiques et consommation de stupéfiant. Chaque audience où il comparaît, déchaîne les passions.

La Commission d'investigation sur la corruption

Durant ses 23 années passées au pouvoir, les familles Ben Ali et Trabelsi ont fait main basse sur des pans entiers de l’économie tunisienne et détourné de nombreux biens publics à leur profit. Après la fuite du dictateur, une Commission d'investigation sur la corruption a été mise en place afin d’enquêter sur ces affaires de corruption et de malversations pendant la période du 7 novembre 1987 au 14 janvier 2011. Dès l’ouverture de ses bureaux, la Commission a reçu des milliers de dossiers.

Y. K avec agences

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Commentaires (4) | Réagir ?

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kamel benzine

savoir mr ali foughali. L' Algérie a un système corrupteur et corrompu. Il sera difficile de le faire tomber ; j'aurais aime savoir si tes parents touchent une pension des anciens moudjahidine comme énormément d'Algériens, moudjahidines, enfants de moudjahidines, les fils de chahid les veuves chahids que je respecte mais dommage sont devenus des clients du système. Très difficile de changer, il faut une déchirure au sein du pouvoir entre les clans.

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Afifa Ismail

C'est sûr que l'apprentissage de la démocratie est un exercice difficile et long mais cela en vaut la peine; Ben Machin Ali et son clan de mafieux Trabelsi ont dépouillé la Tunisie, ils se sont servis dans les caisses de l'Etat comme de leur compte en banque (la cupidité de l'arabe de bas étage au pouvoir). Ce qu'il faudrait maintenant c'est que tous les pays qui détiennent les comptes de cette famille mafieuse restituent ces biens à l'Etat tunisien pour qu'il puisse continuer de se développer et surtout récupérer ce qui lui appartient. Je ne fais pas confiance à ce nouveau gouvernement mais au peuple tunisien grâce à qui un espoir est possible, qu'il continue de veiller à ses libertés et ses droits jusqu'aux prochaines élections.

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