El Gusto : un conte crépuscule sur le chaâbi et la Casbah

L'affiche du film documentaire.
L'affiche du film documentaire.

Ce film documentaire plein de chaleur sur le chaabi est pour le moment interdit par Khalida Toumi, la ministre de la culture.

Dans l'Algérie des années 1950 s’est réinventé dans la Casbah d'Alger une musique populaire, mélange de chants berbères, de mélodies andalouses et de refrains religieux. On l'appela le medh, puis le chaâbi. Ceux qui la jouaient étaient Algériens ou indigènes comme on disait à l’époque et juifs... L'indépendance en 1962 les a séparés les uns et les autres. Depuis ils se sont établis de part et d'autre de la Méditerranée. Cinquante ans plus tard, une jeune femme, Safinez Bousbia, a eu l'idée folle de rassembler une quarantaine de ces "papis du chaâbi", d'abord pour un concert, puis pour un film où ces éternels garnements nous font redécouvrir cette musique joyeuse, poétique et profondément humaine. Mais il s'agit de quelque chose d'encore plus profond, comme une histoire d'amour interrompue par la guerre qui reprend de plus belle une fois la paix venue. Il suffit d'entendre un seul de ces morceaux pour ressentir ce bonheur qu'ils nomment entre eux "el gusto".

El Gusto est également un documentaire qui adopte la structure du conte. Dans une échoppe de la Casbah d’Alger, une jeune femme rencontre un vieux miroitier qui lui raconte sa vie de musicien. Le pouvoir des mots fait ressurgir un passé oublié, que la réalisatrice va découvrir au fil d’un enchaînement de rencontres. Comme Alice, elle traverse le miroir pour entrer dans un univers inconnu, chaque personnage lui livrant un fragment de l’histoire. Une histoire que l’Algérie indépendante a niée et enfouie sous terre, mais que les témoins font ressurgir : dans ce dédale de ruelles, il a existé une société où musulmans et juifs vivaient en harmonie, au point qu’une musique est née de leur rencontre, le chaabi.

Comme dans tout conte, les héros poursuivent un but, vers lequel convergent tous leurs efforts : ici, un concert qui réunirait, après un demi-siècle de séparation, les musiciens jadis complices. Le déchirement de l’exil, le sentiment du paradis perdu, la nostalgie d’un âge d’or sont autant de motifs universels sur lesquels brode El Gusto. La chaleur, l’émotion et l’humour président à cette galerie de personnages dont l’importance dans l’histoire culturelle (et affective) du pays est passée sous silence. Leur chaabi est aussi délaissé par les autorités que cette Casbah sale et en ruines, magnifiquement filmée par Safinez Bousbia, architecte de formation. Dans ce labyrinthe, qui est aussi celui de la mémoire, ses guides lui montrent ce qu’il reste de la maison d’enfance, le café des sports aujourd’hui muré, ou la synagogue qui n’en est plus une.

Au-delà de l’émotion, il y a dans El Gusto quelques leçons à retenir sur ce fameux «vivre ensemble» qui est devenu un thème du discours politique.

El Gusto, un film documentaire de Safinez Bousnia, sortie en France prévue mercredi.

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Commentaires (3) | Réagir ?

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M B

Le patriotisme militaire des dirigeants algériens excommunie et intelligemment fait table rase sur tout ce que cette terre a apporté à la culture universelle. Ils réinventent le desert. La destruction du beau que les siècles d'histoire ont produit sera toujours entrenue par les discours sectaires, le feu, le sang et la violence. Albert Camus, Taos Amrouche, Mouloud Feraoun et plusieurs autres lumières brûlent sur la place publique comme des hérétiques léchés par les hautes flammes du bûcher de l'expiation religieuse.

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elvez Elbaz

Le FLN et l"armée algérienne ont commis un génocide humain et culturel contre l'algérie algérienne.

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