Abdou B., le seigneur de la plume

Abdou B.
Abdou B.

Abdou B. est parti sur pointe des pieds au dernier jour de cette année 2011, l’année des révoltés arabes et des indignés occidentaux, comme il vous plaira de les appeler. Il l’aura accompagnée jusqu’au bout avec ses analyses pertinentes et ses opinions tranchées.

Abdou B. est parti à la veille du premier jour de l’année 2012, l’année qui s’ouvre sur toutes les incertitudes et tous les espoirs dans ce monde où la brutalité a pris le dessus sur la tendresse, où la haine a supplanté l’amour, où la voracité, la cupidité, l’avidité, la rapine ont détrôné le partage et la solidarité.

Abdou B. : Un prénom et une initiale qui auront marqué à jamais l’univers de la presse algérienne et de nombreuses générations de journalistes dont j’ai fait partie.

Je ne dirai pas son itinéraire, connu de tous dans ses grandes étapes, mais si riche et si complexe que seule une biographie pourrait rendre, et encore !

Je dirai juste comment, jeune journaliste frais émoulu de la Faculté des lettres d’Alger, il me pris sous son aile protectrice de 1985 à 1989 à Révolution Africaine dont je venais de rejoindre la nouvelle équipe des grands parmi les grands comme feu Bachir Rezzoug, feu Kheireddine Ameyar, feue Mouny Berrah, feu Ahmed Hamdi, feu Farah Ziane (assassiné par balles le 19 octobre 1994, près de son domicile à Ouled Yaïch, Blida), feu Ahmed Belaid ainsi que l’inénarrable Zoubir Souissi, l’inébranlable Zoubir Zemzoum, l’historique Mimi Maziz et le splendide Abdelmadjid Kaouah.

En "pro" incontesté et incontestable qu’il était, Abdou B. fit appel à ses amis proches – Mouny Berrah, Bachir Rezzoug et Slim notamment – afin de faire retrouver à Révolution Africaine son lustre d’antan. Le grand hebdomadaire africain qu’avaient dirigé de 1963 à 1965 Jacques Vergès et Mohamed Harbi et dans lequel signaient régulièrement ou épisodiquement d’autres grands parmi les grands : Bachir Hadj-Ali, Georges Arnaud, Nazim Hikmet, Mohammed Khadda, Che Guevara, Kateb Yacine, Frantz et Josie Fanon, Abdelkader Safir, Anna Greki, Bertrand Russel, Hô Chi Minh, Mostefa Lacheraf, Jean Sénac, Olivier Tambo, Denis Martinez, Siné, Charles Bettelheim et j’en passe. C’était avant que le coup de force du colonel Boumediene ne vienne interrompre brutalement ce printemps de la parole libre dans l’Algérie nouvellement indépendante…

En quelques mois, grâce à l’apport professionnel des "anciens" et à l’intelligence de Abdou B., qui sut faire travailler les nouveaux venus en leur confiant des postes de responsabilité, Révaf se métamorphosa et réussit à s’imposer en quelques mois comme un hebdomadaire d’une grande tenue esthétique et journalistique. Durant les années 1986, 87 et 88, Révolution Africaine s’enrichit d’Afric-Eco, Afric-Sports, Afric Arts, Boa, etc.

Quelques mois à peine après mon arrivée à Révaf où j’animais hebdomadairement une chronique TV, il me confia la responsabilité de la rubrique "Culture, Société et Signe des temps" où "sévissaient" les belles et talentueuses plumes de Samia Khorsi, Keltoum Staali, Nasima Djaidir, feue Mounira Dridi, Ahmed Cheniki, Nacer Izza et Ali Hadj Tahar.

Il nous faisait une confiance totale et je n’ai pas souvenance qu’il ait un jour « censuré » un papier de journaliste. Son maître mot était la qualité de l’article.

Je n’oublierai jamais ce jour de l’année 1986 à Annaba où il fit déplacer toute l’équipe de la Culturelle » pour couvrir un festival international du cinéma. Nous logions tous à l’hôtel Seybousse, cinéastes algériens et étrangers invités ou journalistes. Il n’y avait alors ni internet ni portable, ni fax, juste le téléphone fixe et le télex. Alors qu’on avait rendez-vous, lui et moi, tard le soir, avec le cinéaste Ahmed Rachedi, pour un entretien autour de son film Le Moulin de Monsieur Fabre qui venait de sortir, je m’étais oublié avec des copains plus que gais pour utiliser un euphémisme. Abdou B. vint me chercher à 3h du matin dans le hall de l’hôtel enfumé et bruyant. Nous fîmes l’entretien dans la chambre du cinéaste et l’envoyèrent à la rédaction le lendemain matin tôt.

"Tu vois, Lazhari, me dit-il, compréhensif et paternel, imagine que tu sois invité un jour à Cannes qui n’a rien à voir avec Annaba. Quelle que soit la situation dans laquelle tu te trouves, tu dois rester et te comporter en pro. Le journalisme et la fête peuvent aller ensemble mais dans le journalisme, le professionnalisme prime toujours." Je n’ai jamais oublié cette leçon.

Abdou B. est parti dans la nuit d’une année 2011 qui s’achève et à l’aube d’une année 2012 qui commence. Il est parti alors que l’Algérie, son Algérie pour laquelle il a tout donné sans rien demander en retour, s’apprête à entrer dans son 50ème anniversaire de son indépendance. Il l’aura accompagnée en rebelle et en indigné avant l’heure avec ses "coups de gueule" légendaires et sa plume trempée dans le feu volé au Ciel où désormais il élit domicile, Seigneur de la Plume parmi les Seigneurs.

Lazhari Labter

Plus d'articles de : Opinion

Commentaires (0) | Réagir ?