Vers la dilution de l’arabité dans le monde

Le réveil de la jeunesse arabe a balayé les pouvoirs autoritaires et redonné un nouvel espoir à plusieurs pays.
Le réveil de la jeunesse arabe a balayé les pouvoirs autoritaires et redonné un nouvel espoir à plusieurs pays.

Il faut admettre que l’Etat hébreu craint plus l’Arabe que le musulman, tous schismes confondus. Les communistes du Liban, par exemple, ne sont pas plus tendres envers Israël que le Hizbollah.

Il n’y a pas longtemps, c’est-à-dire pendant une période récente où la puissance dans le monde était partagée entre les tenants du marxisme et les régis par l’économie politique du libre-échange, avant la révolution populaire en Iran, l’Islam en tant que manifestation anthropologique ne dépassait pas le cadre de la spiritualité maintenu au niveau des vecteurs culturels n’accomplissant aucune fonction idéologique susceptibles de menacer les équilibres des systèmes mondiaux : tout gravitait encore autour de la Qâaba très près de laquelle les Etats-Unis contrôlent les faramineux gisements hydrocarbures de la péninsule arabique.

La création en 1969 de l’Organisation de la conférence islamique, un mois après l’incendie criminel de la Moquée El-Aqsa de Jérusalem par un illuminé chrétien d’Australie, regroupant 45 pays dont tous les Etats arabes, ne change rien à l’influence statutaire de la religion musulmane dans les forces en présence dans les relations d’hégémonie planétaire sauf, ici et là, à travers des rapports de prédominance interne entre Etats-membres, l’Arabie saoudite – pays de l’obédience culturale et siège de la Conférence – l’Indonésie, la Libye, puissances pétrolières, parfois le Maroc parce que la dynastie chérifienne dit être de la descendance du Prophète et la Turquie, héritière de la Sublime Porte et de loin la plus forte économiquement.

Mais le concours fulgurant de la CIA, du MI6 et du Sdec dans l’idée de saloper l’Union soviétique par ses frontières silencieusement musulmanes, où Baïkonour, la perle scientifique du Kremlin, joue de mauvais tours aux milliards de dollars de Washington investis à Cap Canaveral, entreprennent en douceur l’installation des mollahs à la place de l’empereur à Téhéran. Avec évidemment dans l’esprit de la manœuvre la consommation de tous les armements sortis de leurs usines fournis au chah déposé et au dictateur nouvellement arrivé en Mésopotamie – depuis l’invention industriel de l’outil de la mort, il faut nécessairement quelque part contre quelque chose une guerre pour l’utiliser et le renouveler.

Selon beaucoup d’estimations qui se recoupent, la guerre irako-iranienne a englouti une centaine de milliards de dollars de matériel et de savoir-faire militaire. Et presque l’équivalent en reconstruction et en réapprovisionnement, la bombe atomique persane n’entrant pas en ligne de compte. L’Iran ne s’endettant pratiquement jamais, on chuchote depuis quelque temps qu’un immense crédit chinois ouvert au profit de grands équipements militaires stratégiques destinés à "protéger les territoires iraniens" aurait été accordé aux mollahs en contrepartie d’un couloir permanent vers les ressources énergétiques.

L’invasion de l’Afghanistan des talibans par l’Union soviétique - déjà bien bluffée par la guerre des étoiles de Ronald Reagan et donc obligée de pourrir encore plus son économie pour des budgets de défense - et la guerre dévastatrice à l’intérieur de ce pays coïncide en bonne partie avec la guerre des villes entre l’Iran et l’Irak pendant que Gorbatchev finissait de faire admettre au monde mais surtout à ses pairs du Politburo l’indispensable ouverture de l’empire soviétique à l’irrémédiable mouvement de la pensée humaine vers le libre marché.

La mort de l’endiguement classique

Et c’est exactement durant la dislocation des quinze républiques, constituant cet empire communiste aux économies respectives exsangues, voire déliquescente pour la Russie incapable alors de rémunérer ses fonctionnaires à l’entame des années quatre-vingt-dix, que les Etats-Unis à la tête desquels des mandatés de gros consortiums pétroliers décident de faire concocter l’annexion du Koweït afin de programmer à très moyen terme le contrôle des gisements irakiens dont il est inutile de revenir sur la démarche hollywoodienne de l’entreprise. L’Europe la plus industrialisée fera de même en Libye, dans la forme et dans le fond.

Mais dans le passage de l’Islam en tant qu’idéologie ayant prouvé ses capacités de diriger une nation dans le schéma du péril contre d’autres nations, après les discours bellicistes et provocateurs des mollahs contre les Etats-Unis mais surtout au lendemain de l’attaque aérienne sur leur territoire causant la mort sur des milliers de civiles, il fallait aux théoriciens yankees du containment de réinventer une fixation légitime sur un ennemi commun au monde libre et démocratique dès lors que l’ex-bloc communiste s’incruste désormais dans les grands processus de la mondialisation. Donc haro sur l’Islam que l’Occident dans la plupart du temps ne se prive pas de confondre avec l’islamisme violent capable d’attentats contre les ordres établis.

Cependant, il y a, curieusement, depuis très peu, quelque chose qui a tendance à nous échapper dans les habitudes de voir venir par le passé, que les analystes devinent d’une manière ou d’une autre en interprétant rationnellement les avatars des actions d’intéressement dans le monde, et qui semble subitement prendre à contre-pied aussi bien les islamologues du monde entier que les musulmans de toutes les sensibilités spirituelles qui soient : un regain d’intérêt occidental pour favoriser la mise en place du régime islamiste dans l’ensemble du monde arabe. D’où se pose-t-il ainsi donc la question de savoir pourquoi, du moment que l’Islam pourrait, depuis l’Asie centrale jusqu’à l’Océan atlantique, contrecarrer l’hégémonie de la civilisation industrialo-chrétienne qui régente l’univers, les régimes de ces pays sont-ils sciemment poussés à choisir entre toutes autres définitions des voix démocratiques modernes cette option idéologique assimilée par les défenseurs internationaux de la pensée politique laïque comme une barrière au dialogue constructif entre les individus, les groupes et les nations ?

La première réponse qui vient à l’esprit est toute simple qui veut dire que finalement une islamité régionale disciplinée aux ordres de Riad sous surveillance des relais militaro-diplomatiques occidentaux est intéressante pour le confort de la mondialisation dans la mesure où le monde arabe est dilué, pour ne pas dire, effiloqué en tant que civilisation particulière capable de remettre en cause les puissances actives dans la réalisation d’un monde du troisième millénaire réfléchi pour des perspectives pérennes axées sur un modèle de libéralisme sans limites.

Ainsi y seront liquéfiées aussi les identités nationales pour chaque pays se réclamant de l’unité arabe – c’est sous cet angle surtout qu’il faut admettre que l’Etat hébreu craint plus l’Arabe que le musulman, tous schismes confondus. Les communistes du Liban, par exemple, ne sont pas plus tendres envers Israël que le Hizbollah.

Obnubilés par la menace islamiste, dans le sens du discours d’Al-Qaïda, au demeurant une appellation d’origine contrôlée, les dirigeants occidentaux n’ont pas vu venir cette nouvelle forme du panarabisme émanant de la jeunesse, un panarabisme moderne qui ne vient pas de leaders ou de grands idéologues mais de la société juvénile de la vie courante. La révolte en Egypte et en Tunisie a été menée à bout par cette catégorie de citoyens arabes, les islamistes sont arrivés par la suite, une espèce de remake en plus concluant du 5 octobre en Algérie lorsque les chefs de la contestation islamiste récupèrent à leur profit politique la jeunesse sortie dans la rue sans encadrement associatif capable de canaliser leur prodigieuse force de frappe sur le régime du parti unique, le FLN, une usurpation dans l’épopée, qui aujourd’hui caresse dans le sens du poil ses acolytes islamiques dans le gang présidentiel parce qu’ils ont compris que la tendance électorale up to date dans la région ne veut pas rentrer dans la logique séculière contredisant les velléités wahabbites de domination.

La Chine, cet extraordinaire ennemi silencieux

La seconde, étant que la réalité du vingt et unième siècle ne peut pas se prononcer sans lui adjoindre la vérité de l’extraordinaire avancée de la Chine vers la suprématie dans le monde, les Etats-Unis, bien plus que l’Europe, ont aujourd’hui face à eux des communistes qui savent avec excellence manier le fleuret de l’économie politique et de la technologie de pointe à ce point de l’ironie de l’Histoire où Washington doit une colossale dette à Pékin. Et que celui-ci "envahit" la planète uniquement avec ses travailleurs et leur savoir-faire. Comment alors faire, ici, agir le "containment", l’endiguement contre le péril chinois allègre dans les continents ?

Lui opposer une résistance de type traditionnel de la guerre froide ne peut avoir aucun sens parce que contrairement à l’"ennemi" d’hier le Soviet, ce va-t-en-guerre avec une fausse superpuissance de stratégie sur le monde, le Chinois ne dessine pas sur le sable, le descendant des bâtisseurs de la Grande Muraille, il est sûr de ses arpentements sur les territoires terrestres, maritimes et aériens quels que puissent être les états d’âme des communautés qui l’accueillent ; il peut casser la croûte à l’aide d’un sandwich au filet de chien mais il est en mesure de nous bâtir un hlm au moins de temps que nous faisons pour viabiliser le plan de masse d’un marché populaire.

La Chine parle moins de l’économie qu’elle agit sur elle et le capitalisme tel que le protège le monde occidental en s’y confinant réjouit le communisme des descendants de Confucius qui sont aptes à restituer, du jour au lendemain, toutes les technologies de la planète sur le terrain sans battage médiatique et sans besoin de la force militaire capable, au demeurant, de ripostes apocalyptiques. Son seul point faible sur lequel pourrait donc jouer les Américains ce sont les gisements de pétrole et de gaz que l’Empire du Milieu ne possède pas. Et ce sont les pays musulmans qui détiennent les plus grandes réserves de la planète et c’est ici paradoxalement que va-t-il s’essayer de jouer le containment yankee dernière version : faire opposer au communisme ouvrages et industrieux qui sait compter les sous une doctrine religieuse qui n’admet pas le refus de la croyance divine.

Mais la jeunesse de ces pays qu’on tente de mettre au garde-à-vous des desiderata postindustriels, du capitalisme de la spéculation, cette fraîche population du troisième millénaire, dont les livres de chevet sont les sites web, qu’elle sorte de la mosquée ou de la discothèque, elle croit beaucoup plus aux entraîneurs des équipes de foot et aux leaders des groupes rap qu’aux dirigeants charismatiques sauveurs de l’humanité.

Regardez dans nos rues comment un jeune imberbe en qamis, jeans et Convers, traite-t-il avec une jeune Chinoise en coupe de cheveux à la Lady Gaga une transaction de strings. Oyez son accent quand il parle algérois et voyez le sourire sous la mèche collée sur le sourcil de ce jeune homme originaire de la Manchourie qui présente ses carpettes de prière devant la porte de la mosquée Ben Badis à Alger entouré par des prieurs qui se bousculent.

Sur ce coup-là de l’endiguement les Etats-Unis n’ont aucune chance. Parce que les générations sur lesquelles ils espèrent compter le réaliser, cette frange de la population du monde arabe ou musulman – peu importe – elle possède la mémoire d’une séculaire expérience de mépris, elle a beaucoup de chance de ne plus confondre dans les proximités étrangères, entre celles qui donnent les ordres à ses dirigeants et l’autre qui montre le bon sens de la relation au travail, sans panique et sans fanfares.

Nadir Bacha

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