La Turquie menace la France de sa colère

Tayyep Erdogan, premier ministre turc
Tayyep Erdogan, premier ministre turc

Comme souvent en France avant une échéance électorale, les relations avec la Turquie connaissent un coup de froid.

Une proposition de loi pénalisant la négation de tout génocide, et donc de celui de 1915 perpétré contre les Arméniens dans l'Empire ottoman, doit être examinée, jeudi 22 décembre, par les députés français. Ce nouvel épisode de loi "mémorielle" provoque la fureur de la Turquie, avec laquelle la France avait, ces derniers mois, tenté des ouvertures diplomatiques, pour mieux se coordonner sur des enjeux majeurs au Moyen-Orient, en particulier sur le dossier de la Syrie. L'affaire est perçue, côté turc, mais aussi au sein de la diplomatie française, comme le résultat d'une surenchère pour capter le vote arménien en France, à l'approche de la présidentielle.

Avec l'aval de l'Elysée, la proposition de loi a été présentée par une élue UMP, dans une stratégie consistant à prendre de vitesse l'opposition de gauche, qui contrôle depuis septembre le Sénat. Il s'agit, pour Nicolas Sarkozy, de ne pas se laisser doubler par les socialistes, qui avaient déjà signalé leur intention de faire voter à la Chambre haute une loi antérieure sur le génocide arménien, votée à l'Assemblée nationale en 2006 mais qui avait été bloquée, en mai, par la majorité. Le prix de ces calculs électoraux est que le dialogue établi par Paris ces derniers temps avec l'"émergent" turc risque de connaître un coup d'arrêt. La France pourrait se retrouver "hors jeu" auprès d'un partenaire turc stratégique, amplement courtisé par les Etats-Unis, et dont le soutien est nécessaire pourcontraindre le régime syrien de cesser les massacres d'opposants, ou encore, pour accroître la pression économique sur le pouvoir iranien dans sa course à l'arme atomique - deux dossiers où la France a voulu se positionner en pointe.

"Graves conséquences"

Alain Juppé, le ministre français des Affaires étrangères, artisan de l'effort de rapprochement avec Ankara, où il s'était rendu en novembre, pourrait ainsi voirses efforts réduits à néant. Les dirigeants turcs, en effet, n'y sont pas allés par quatre chemins pour signifier - comme l'a fait le premier ministre Recep Tayyip Erdogan, la semaine dernière, dans une lettre adressée à Nicolas Sarkozy - que le vote de la loi en question aurait "de graves conséquences" sur la relation bilatérale.

Mais Nicolas Sarkozy a manifestement décidé de pousser les feux, en mettant à exécution la menace qu'il avait proférée, en octobre, lors d'un déplacement en Arménie : la Turquie était alors sommée de "revisiter son histoire" dans des "délais assez brefs", faute de quoi la France modifierait sa législation. Les considérations de politique intérieure l'ont emporté sur la stratégie géopolitique, provoquant, au passage, une montée de tension entre le chef de l'Etat et Alain Juppé, qui ne sont pas sur la même longueur d'onde sur ce dossier. Le ministre s'emploie à contenir les dégâts avec les Turcs.

Le passé colonial français

En matière de mémoire, les dirigeants turcs renvoient la France à son passé colonial en Algérie, et brandissent des menaces, si la loi est votée : le rappel de leur ambassadeur à Paris, l'expulsion de l'ambassadeur de France à Ankara, et le rejet des entreprises française pour de nombreux contrats. La France est le 3e investisseur étranger en Turquie. Cette flambée verbale est accueillie, côté français, comme un chantage inadmissible. La Turquie a été rappelée au respect d'engagements internationaux qui proscrivent tout "traitement discriminatoire" : l'appartenance à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et l'union douanière qui la lie à l'Union européenne.

Mardi, tandis que M. Sarkozy refusait apparemment de prendre au téléphone son homologue turc Abdullah Gül, M. Juppé recevait au Quai d'Orsay une délégation de parlementaires venus d'Ankara. Le communiqué diffusé à l'issue de cette entrevue en disait long sur les préoccupations du ministre : "Nos intérêts stratégiques, notre coopération pour la paix et la liberté en Syrie, en Afghanistan, notre appartenance commune à l'OTAN ou au G20 (...) sont suffisamment forts pour surmonter les épreuves que peuvent traverser nos relations." Le mot était lâché : "épreuves".

En 2006, après le vote par les députés français de la précédente loi criminalisant la négation du génocide arménien, Ankara avait répliqué en barrant les entreprises françaises du projet de gazoduc Nabucco vers l'Europe, et en interdisant aux avions militaires français de survoler le territoire turc vers l'Afghanistan.

L'ampleur de la crise qui se profile dépendra des choix de représailles d'Ankara. On essayait de se rassurer, mardi soir, de source diplomatique française, en soulignant qu'une loi ne saurait annihiler les "fondamentaux" de la relation avec la Turquie : en premier lieu, la volonté commune de venir à bout du régime de Bachar Al-Assad en Syrie.

Avant cette flambée de discorde bilatérale, Alain Juppé avait invité son homologue turc, Ahmet Davutoglu, à participer à une réunion de ministres européens à Bruxelles, sur la Syrie. Le rendez-vous est prévu en janvier. Mais, maintenant, la Turquie se prêtera-t-elle à l'exercice ?

Natalie Nougayrède

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Commentaires (1) | Réagir ?

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Broubate

C'est que j'appelle : avoir les moyens de sa politiques.