Le commerce informel prend le contrôle de la ville d’El-Bahia

La marchandise arriverait par les frontières ouest
La marchandise arriverait par les frontières ouest

Le phénomène du commerce informel s’est implanté dans la wilaya d’Oran à la manière d’une métastase qui ronge peu à peu l’économie locale.

Chaque coin de rue est squatté par des vendeurs ambulants, sans qu’ils ne soient inquiétés. Ahmed est un jeune squatteur et figure incontournable de l’informel à Oran. Il a accepté de nous servir de guide dans le monde du commerce underground. Tout au long de notre périple à travers les différentes places de l’informel à l’échelle de la wilaya, notre interlocuteur révélera les raisons qui l’ont poussé à devenir un trabendiste, les différentes méthodes d’approvisionnement et d’acheminement de la marchandise et surtout comment ne pas se faire prendre par la police !

Un cercle vicieux

Au niveau de la place de Sidi Blel Medina Djeddida, située en plein cœur du chef-lieu de la wilaya d’Oran, Ahmed nous donnera rendez-vous à l’intérieur d’une Mazda bâchée : "Ici, c’est plus discret !", lancera-t-il. Ensuite, il enchaînera en expliquant les motivations qui l’ont amené à entrer dans ce cercle vicieux, selon lui : "Vous savez, quand on sort du système éducatif très jeune, il est extrêmement difficile de trouver un emploi. Je me suis fait exclure du collège sans avoir atteint le BEM, de ce fait, j’ai dû me débrouiller comme je le pouvais, en faisant de petits boulots par ci, par là !", expliquera-t-il avec un brin de nostalgie. Tout en poursuivant la chronologie des événements qui l’ont conduit dans ce qu’il qualifie de milieu des affaires : "Après plusieurs entretiens d’embauche, qui se sont soldés par des échecs, un ami m’a proposé de m’associer avec lui pour se lancer dans le commerce !". Et de préciser : "A ce moment là, je n’ai pas trop cherché à comprendre de quel commerce il s’agissait ! Je n’avais que 23 ans. C’est au fil du temps que j’ai compris dans quel pétrin je me suis fourré. Toutefois, je ne regrette rien, c’était ça ou bien mourir de faim ! Je suis orphelin de père et ma mère ne pouvait pas, à elle seule, nourrir et habiller 7 enfants !».

Concernant son évolution et son ascension dans "le milieu", Ahmed racontera d’un ton enthousiaste : "Au début, j’effectuais des livraisons entre les différents marchands et je prenais des commissions, par la suite, les choses ont changé ! Je ne me contentais plus de jouer au livreur, j’achetais et je revendais toute sorte de marchandises, tout en essayant de les avoir au meilleur prix et aussi, avoir une certaine marge de bénéfices, bref, les règles de base d’un bon commerçant ! (...) Cependant, quand on active dans l’illégalité, cela ne suffit pas, il faut être vif et flairer les coups tordus et autres pièges tendus par les policiers ! Et sans vouloir me vanter, je suis plutôt bon à ce petit jeu", dira-t-il, avec une pointe d’humour. A propos des mécanismes qui régissent la ‘’profession’’, notre interlocuteur se révélera peu prolixe, voir évasif… "C’est un milieu un peu fermé, du fait qu’on agit dans l’illégalité la plus totale, on risque de se faire alpaguer à chaque coup !".

Des filets parfaitement ... perméables

Devant notre insistance à vouloire comprendre la mécanique du trabendo à Oran, Ahmed concéda à se "livrer", néanmoins, il prendra soin de contacter son associé et l’informer de la situation. Après plusieurs heures d’attente, ce jeune trabendiste reprendra contact et nous donnera rendez-vous prés de l’USTO, dans la commune de Bir El Djir, à 4 km au Sud-est d’Oran. Au point du rendez-vous, nous retrouvons Ahmed vêtu d’un burnous gris : "Vous voulez voir comment ça fonctionne ? Montez, on va à Choupôt exactement à Cuvelier !". Tout au long du trajet, notre guide nous révéla les grandes lignes de son business : "A Medina Djdida il n’y a presque pas de marchandises, ce qui nous oblige à nous déplacer jusqu’à Alger, pour nous approvisionner. D’ailleurs, le type que nous allons voir est un important client, spécialisé dans les chaussures de sport", et d’ajouter : "Mon travail consiste à vérifier la qualité et les prix des produits, tout en m’assurant de la discrétion de la transaction".

Une fois sur Alger et plus précisément à Meissonnier "il faut faire très attention, ça grouille de policiers !". Ensuite, rendez-vous est pris dans une ruelle peu fréquentée de ce quartier de la capitale, le jeune homme plein d’assurance ira vers son contact, tout en nous demandant de nous faire le plus discret possible, car selon lui, l’individu en question serait potentiellement agressif : "Ce type (son client, ndlr), pourrait ne pas apprécier votre présence, donc, je vous demande de rester sur vos gardes", nous préviendra-t-il. Vers 11 heures, un homme à l’allure peu enviable, balafrée au niveau du cou, sort d’un véhicule de marque Toyota Hilux. S’ensuivirent d’âpres tractations au sujet de la marchandise, cette dernière, est composée de diverses marques de chaussures de sport (Nike, Reebok, Adidas…etc.). Deux heures plus tard, le marché est conclu et Ahmed nous rejoint à l’intérieur de son véhicule : "ça y est ! L’affaire est dans le sac !", s’exclame-t-il. Concernant le montant de cette marchandise, cet homme d’affaires d’à peine 27 ans l’estimera à 150 millions de centimes. "C’est un très bon prix, sur le marché local, on pourra la revendre avec une marge bénéficiaire assez confortable", indiquera-t-il.

Sur le chemin du retour à Oran, Ahmed prend de Blida pour des "mesures de sécurité", selon lui. : "Sur cette route, les barrages filtrants sont moins nombreux. Prendre l’autoroute avec un tel chargement, c’est quasi suicidaire !", a-t-il précisé. Au sujet de la provenance de sa cargaison et du fait qu’elle a pu passer entre les mailles du filet douanier, notre intrépide accompagnateur soulignera : "Pour ce qui est de l’origine, je ne peux pas vous dire, mais je sais une seule chose, elle a transité par les frontières marocaines, j’en suis certain. Cependant, en ma qualité de vendeur, ce genre de détails ne m’intéressent nullement. En revanche, la qualité et le prix, c’est sur ces deux points que j’axe toute mon intention !", assurera-t-il. : "Concernant votre seconde question, il ne faut pas être Einstein pour comprendre que ces ‘’filets’’ comme vous dites, sont parfaitement perméables, sans cela, on serait grillés depuis longtemps !", "Il y a de cela trois ans, j’ai connu un haut responsable des douanes et je peux vous affirmer qu’en échange d’une contrepartie conséquente, toutes les portes peuvent s’ouvrir ! D’ailleurs, ce monsieur, dont je tairai le nom a été épinglé ! Que voulez-vous… C’est la vie !". "Dans ce métier, il faut couvrir ses arrières, et pour l’instant Dieu merci, je ne m’en suis pas trop mal sorti !", conclura-t-il.

Police - squatteurs : le jeu du chat et la souris

Une fois la marchandise arrivée à bon port, il faut l’écouler… Sans se faire prendre bien entendu ! Pour ce faire, Ahmed a une technique quasi-imparable, ne jamais rester statique et dans un seul endroit. "C’est là que le plus dur commence !", "Toutefois, au fil du temps, j’ai su comment m’adapter, je ne reste jamais plus d’une semaine dans un endroit bien précis, je bouge continuellement, Medina Djdida, Usto, Haï Yasmine Bir El Djir… Ce qui rend la tâche des policiers plus ardue", confiera-t-il. Par ailleurs, il ne cache pas son plaisir à ‘’jouer’’ au chat et à la souris avec les agents de police : "A la longue, on s’habitue ! Ils me connaissent, moi aussi, et le but du jeu, c’est de le faire durer le plus longtemps possible ! Cela peut paraître enfantin, mais c’est la vérité !". Cette déclaration aussi étonnante soit elle, laisse transparaître une certaine décontraction chez notre interlocuteur, qui ajoutera avec un grand sourire : "Vous savez, les policiers ne font qu’obéir aux ordres, c’est leur travail, j’ai le mien…". Dans le même sillage, ce commerçant notera que les services de l’ordre, à une période bien précise avaient ‘’levé le pied’’ : "Vous n’êtes pas sans savoir qu’après les émeutes de janvier dernier, les autorités et notamment la police ont observé une certaine retenue à notre égard… C’était une époque faste pour notre business", avant de signaler : "Cependant, ces derniers temps, j’ai remarqué un resserrement du diapositif policier, ce qui nous pousse à faire davantage attention".

En conclusion, cette immersion dans l’univers du commerce informel apporte quelques éléments de réponse sur ce phénomène qui gangrène notre société et son économie. D’une part, des brèches dans le système de contrôle et de surveillance aux frontières, ce qui permet aux différents commerçants de faire entrer illégalement moult marchandises sur notre sol et aussi, un certain laxisme de la part des autorités concernés, qui semblent fermer les yeux sur ce genre de pratique, selon les propos de notre interlocuteur.

Medjadji H.

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Commentaires (1) | Réagir ?

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yves pezilla

Bonjour,

Je m'excuse Mr Medjadji mais ce soit disant trabendiste vous a mené en bateau. La marchandise (Nike, Adidas......) vient du Maroc. Il n'y a pas de frontière réelle comme l'a dit le Président de la République. Vous payez et vous passez point à la ligne. Que ce soit des vêtements ou de la drogue