Sonatrach et les dangereux choix de ses premiers responsables

Sonatrach et les dangereux choix de ses premiers responsables

"Ce n’est pas le pétrole qui ruine notre dignité, ce sont les hommes qui le contrôlent sans faire attention à leur dignité". Saïd Zyad

"Nous agissons pour une forme de partenariat intégré qui a pour corollaire des prises d’intérêts croisés, synthèse en définitive entre objectifs d’accès aux réserves de la part des compagnies internationales et de nos objectifs d’internationalisation ; c’est déjà l’ébauche d’alliances, forme de coopération stratégique motivée par des convergences d’objectifs, une forme de coopération à l’évidence plus indiquée et plus adaptée aux opportunités d’affaires élargies et aux exigences des compétitivités accrues par la mondialisation de l’économie. Le partenariat sera le moteur de l’internalisation de nos activités…"

Ce n’est pas un message d’un chef d’une petite entreprise pétrolière du Texas ou de l’Alaska soucieux de s’ouvrir sur le monde, non il s’agit de l’allocution de Abdelhak Bouhafs, alors P-dg de Sonatrach, la première compagnie africaine qui fait vivre l’Algérie et permet le fonctionnement de son Etat.

C’était le 30 janvier 2001 à l’hôtel Sheraton du Club-des-Pins à Alger où il discourait à une pléthore de racailles internationales venues prendre le champagne après le buffet avec dans l’idée d’avoir une part de gâteau de notre vache laitière, applaudie par les députés et les sénateurs venus en masse pour profiter du confort luxueux des infrastructures flambant neuf.

Le colloque "Energing investisment opportunities in Algeria’s energie and minings sectoirs", financé par Sonatrach, était un prétexte de mondanité communicationnelle pour ancrer dans l’esprit "global" de l’imaginaire collectif le concept du partenariat en vérité décidé dans les coulisses ténébreuses de la guerre civile. Comme la plupart des décrets anéantissant le pouvoir d’achat des Algériens alors contents de ne pas avoir péris égorgés dans une chambre, dans les éclats d’une bombe ou dans un accotement de sous-bois sous les balles assassines d’un faux barrage.

Bien avant l’irruption inattendue d’Abdelaziz Bouteflika, une dizaine d’entreprises étrangères nouvelles avaient déjà ses habitudes managériales bien assises dans l’amont de Sonatrach. Après son avènement par le contrôleur en chef des zaouïas que Khaled Nezzar voue encore aujourd’hui, malgré sa disparition, à toutes les gémonies, Larbi Bekheir, faiseur et défaiseur de sérails névralgiques, qui a fait le nécessairement suffisant afin de sophistiquer les contours d’un Etat lâche et flou dont il tire les ficelles par des jeux de rôles sordides où pour l’exemple tiré au hasard un ancien administratif de lycée perdu dans les Hauts plateaux de l’ouest se transforme du jour au lendemain en ministre des Affaires étrangères puis carrément en Chef du gouvernement. Bref.

Deux années plus tard, pendant qu’il est à la mobilisation pour la réconciliation nationale dans le but inavoué de lorgner vers le prestige international qu’il croyait plus important qu’un rassemblement populaire autour de l’indispensable besoin de juger les auteurs du massacre national d’un côté de la barrière comme de l’autre, Bouteflika investit toute son énergie pour mettre en péril le principal outil nécessaire à la survie du pays. Relisons-le :

"M. Meziane a eu une longue carrière à Sonatrach et au ministère, occupé différents postes de management couvrant les différentes activités du secteur des hydrocarbures tant à l’amont qu’à l’aval où il a eu à traiter et superviser des dossiers importants. Il a eu aussi à représenter l’Algérie en tant que gouverneur de l’OPEP et il était membre de plusieurs Conseils d’administration dont celui de la Sonatrach. M. Meziane est reconnu pour ses qualités humaines, celles d’un manager serein et plein d’écoute, un rassembleur de toutes les sensibilités, un facilitateur de résolution de problèmes, et un bon joueur d’équipe. II a une très lourde tâche devant lui. Je suis convaincu sans aucun doute de ma part qu’avec l’aide, l’appui et la coopération du management et des travailleurs, il saura mener la Sonatrach vers de nouveaux succès dans l’atteinte des objectifs adoptés par vous même. Il a tout mon appui, soutien et confiance dans sa nouvelle fonction."

Un coup de poignard dans le dos de la nation

C’est Chakib Khelil, en tant que ministre de l’Energie imposé ou désigné porteur d’une subtile épée de Damoclès traitée sur le fil de quelque secret oujdou-tlemcénien, qui parle aux cadres de Sonatrach le 9 septembre 2003 pour installer Mohamed Meziane comme patron de l’entreprise, condamné aujourd’hui à une peine infamante pour divers crimes et forfaits contre son pays. Un voisin ancien chauffeur dans la boîte me signale : "Si l’on me surprenait dérobant deux carnets de bons de carburant je me sentirais bien réglé avec une peine d’une année d’emprisonnement", la peine dont écope l’ancien P-dg, tandis que Chakib Khelil s’en sort indemne. Mais dont sa famille au New Jersey est en maille avec la justice américaine pour occultation de comptes à propos d’une société (Clearlogic) de droit américain ayant obtenu beaucoup de contrats de gré à gré avec Sonatrach par le biais de marchés intermédiaires avec la Brown and Root Condor impliquée jusqu’au nauséabond dans quasiment le vol qualifié dans les avoirs de Sonatrach.

Voilà donc comment il désigne son chef du cabinet alors pendant assez longtemps éloigné des affaires concrètes du pétrole et du gaz, comment il place celui qui a commencé sa carrière dans la boîte à l’âge de dix-huit ans, en débutant en même temps des études d’ingénieurs dans la première promotion du fameux IAP de Boumerdès avant de gravir des échelons avec fulgurance pour atteindre – à 32 ans déjà, directeur de toutes les raffineries du pays – le sommet clanique du domaine pétrogazier.

En 2005, le président de la République, réélu avec une hargne «tous corps d’Etat » mobilisant tous les biens et toute l’énergie dont dispose l’Administration, depuis le colleur d’affiche recruté dans le cadre de l’emploi jeune jusqu’au nouveau chef de daïra entre les mains duquel un décret met le logement social, initie-t-il alors ouvertement un bradage de notre ressource vitale de retour de Tizi Ouzou où il venait de dire à la majorité locale qui ne parle pas arabe que l’amazigh ne serait jamais une langue officielle en Algérie. Là, les députés étonnent même les observateurs étrangers en entérinant avec enthousiasme – une part de 70 % dans toute résolution contractuelle avec Sonatrach - la proposition du chef de l’Etat d’ouvrir portes et fenêtres aux truands de l’investissement pétroliers couverts politiquement et militairement, du genre Bush, Rumsfeld et Cheney, pourtant sur un texte de loi soigneusement ficelé en solo par Chakib Khelil qui, d’après des témoignages, ne décrochait pas son Ferrari Vertu pour appeler régulièrement ses amis et demi compatriotes du Texas de la Hydrocarbures Exchange Corp, basée à Dallas avec des succursales dans les quatre coins du globe pour se rassurer non pas sur les cours intéressant les dividendes nationaux mais pour vérifier les placements de sa famille ici et là dans les opérations sur le brent. Certains affirment qu’il possède un bureau dans la Shatha Tower à Dubaï, quelques étages au-dessous de la Hec employant un personnel international.

L’Arabie Saoudite et le Venezuela, géants de l’Opep reçoivent un choc le jour même de la nouvelle. Cette décision était pensée comme une sorte de trahison par l’ensemble de l’organisation exportatrice, pour les deux seuls pays et pour le seul client américain les prélèvements en 2005 étaient respectivement de 13 et de 14 pour cent. Le troisième jour, Hugo Chavez le volubile est dépêché à Alger – les Saoudiens évitant de devoir rendre plus tard des comptes à leurs grands alliés stratégiques américains. Dans la semaine même la saloperie est remise dans le placard, le temps de voir comment la faire passer pendant une présidence algérienne de l’organisation qui a eu lieu par deux fois mais rejetée par les pairs à l’unanimité. Bouteflika est discrédité partout et il fallait faire quelque chose pour recouvrer un visage et c’est une femme qui lui envoie alors le fond de teint, en l’occurrence Malika Mentouri avec l’idée géniale, certes un peu empruntée aux Russes, des remboursements anticipés. Les joues réempourprées, le président réussit à faire oublier l’agent spécial Khelil. Qui va désormais faire de Sonatrach son bien personnel qu’il dirige à partir de la côte Est américaine.

Mais les mois qui ont succédé à la crise de la Lehman Brothers à partir de septembre 2008, un malaise financier s’empare alors de la famille installée dans le New Jersey qui, selon des sources proches de notre ambassade à Washington, ne s’est pas relevée de l’acquisition de biens immobiliers dépassant la valeur de 2 millions de dollars opérée entre 2007 et 2008 dans les Etats du Maryland, de la Virginie, du New Jersey et dans la capitale fédérale même.

Le retour impératif de Sonatrach à son propriétaire : le peuple

Khelil tentait d’expliquer qu’il n’avait rien à voir avec la société mixte algéro américaine créée en 1990, omettant d’ajouter que la racine de l’entreprise, la Brown and Root appartenait à Halliburton depuis 1962 et que lorsque le joint venture a été officialisé en 1990 sous l’intitulé du groupe Brown and Root Condor il s’occupait d’un bureau d’études de placements pétroliers en Afrique pour le compte de la Banque mondiale.

Et rien n’indique que ce n’est pas lui-même qui se fût alors occupé de la formulation théorique de la transaction entre le groupe texan et le gouvernement algérien dans la nébuleuse de la montée intégriste et de l’ouverture pluraliste dans une Algérie suffoquant sous la pression tous azimuts de la part des grandes instances financières mondiales.

Ce n’est pas le procès de Chakib Khelil ou de Mohamed Meziane dont il y a tentative ici de vouloir réactiver mais de dire quelque chose de plus gravement fondamental qui relève de l’existence même de notre pays. Dans lequel des responsables de la justice condamnent un chapardeur de portables à trois ans de prison ferme en laissant libre comme le vent quelqu’un qui est allé plus que tout autre Algérien – même de double nationalité – rompu dans le forfait et la trahison. Les dictionnaires ont fort à faire pour inventer une entrée d’acceptation considérant un acte volontaire d’hypothéquer la vie d’une nation, qui, pour dire vrai, ne mérite pas les geôles mais l’asile psychiatrique, ceux qui ont voté pour aussi.

Allez expliquer cela aux étudiants du droit à Ben Aknoun, demandez-leur de bien s’appliquer pour devenir demain de sérieux magistrats, d’excellents défendeurs, d’honnêtes notaires ou huissiers. Faites un tour juste pour voir de vos yeux dans quel état est l’enceinte dans laquelle ils apprennent la justice. Mettez vos mobiles aux aguets des discussions de leurs professeurs dans les kiosques à bouffe en face et répondez par courrier à l’administrateur, chut.

Aujourd’hui Youcef Yousfi, excellent scientifique, réputé de grande sagesse, de l’espèce auressienne qui ne négocie pas la probité, du genre de Zeroual ou Benflis, il ne nous explique pas, lui dont j’ai vécu personnellement son franc parlé, le fond de sa personnalité, quand il s’agit de l’intérêt essentiel de l’Algérie, ce qui se passe réellement entre lui et Nordine Cherouati, qu’il nous réconforte ya cidi, sur le choix de Abdelhamid Zerguine, qu’il ne nous fasse pas le coup de son prédécesseur présentant Mohamed Meziane.

Sonatrach, sans des structures de production créatrices d’emplois et de richesses au moins égales à son ressort économique et commercial, demeure dans notre pays beaucoup plus importante que la présidence de la République, tous les cabinets des départements ministériels réunis, le Bureau central du commandement général des armées. On n’accepte pas le poste de ministre de l’Energie dans un pays qui tourne par la seule grâce d’une entreprise avec le même état d’âme d’un responsable mandaté pour tenir n’importe quel autre département fût-il celui de la guerre que Dieu nous en préserve.

Le censé pour ce qui nous concerne, en toute urgence, doit être que la démocratie doit commencer sur ce chapitre. Le libre choix dans la nomination des responsables doit passer d’abord par la prise en charge populaire du patrimoine naturel du pays, dans le relief et au-dessous.

Dans le cas d’un référendum en vue d’un directoire populaire pour la gestion et le contrôle populaire direct des gisements miniers en général et pétrogaziers en particulier, les Algériens feraient voter jusqu’à leurs animaux de compagnie, y compris leurs chardonnerets.

Nadir Bacha

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