Abdelwahab Meddeb : l’islam malade de ses prêches

Abdelwahab Meddeb
Abdelwahab Meddeb

Ancrées dans les faits et les événements majeurs, culturels, politiques et artistiques qui ont marqué ces années 2000 au Maghreb, dans le monde arabe et en Occident, ces chroniques, fruits de voyages à travers le monde, analysent, commentent avec clarté et vigueur dans le ton la relation problématique et toujours vive entre l’Islam et l’Europe, entre la démocratie occidentale et les dangers du terrorisme islamiste qui met en péril l’islam lui-même, la laïcité et la liberté de l’individu.

Le fil rouge de ces chroniques est marqué par un mot récurrent : la maladie. Il s’agit de « la maladie » de l’Islam et de ses nouveaux prêches inquisiteurs aux antipodes du paradis perdu de la civilisation architecturale, scientifique, intellectuelle de la civilisation arabo-musulmane. D’où vient ce mal ? Comment s’en défaire ? Quels en sont les remèdes possibles, urgents, immédiats et à long terme ? L’auteur n’a pas de solutions miracles ni ne dresse un inventaire de recettes applicables. Au contraire, il met le doigt sur la complexité des phénomènes à la base de toutes les dérives en interrogeant les blocages et les ratés, les promesses et les inepties des deux camps soumises à une critique élaborée : le monde arabo-musulman avec son passé glorieux, à la pointe des civilisations et l’Europe du siècle des Lumières, dans leurs complémentarités anciennes, leurs frictions et leurs antagonismes.

La position de l’auteur est claire et s’énonce dans la négation du prêche : Contre- prêches. Ce mot est à saisir non pas dans son acception littérale – religieuse – mais comme renvoyant aux idées reçues, aux schématismes, aux dogmes. Car, Abdelwahab Meddeb, en affirmant que c’est à l’Islam de s’adapter à l’Europe, à ses principes républicains, de laïcité, de la liberté de l’individu et non l’inverse, ne fait pas pour autant allégeance aux attitudes sectaires et aux analyse biaisées de l’intelligentsia européenne sur la confusion délibérée, voire entretenue entre l’Islam et l’Islamisme, entre la tradition – rites et coutumes- des pays musulmans et une modernité abusive, sectaire et de mauvais aloi qui a ses consommateurs effrénés dans ces pays même, qui tournent le dos à leur ancestralité qu’il réclament pourtant à cor et à cri.

Contre-prêches se veut un sévère pamphlet sur des événements récents qui secouent présentement le Maghreb et le Monde arabe. Plusieurs chroniques sont consacrées à la chute de Saddam Hussein, au règne du charismatique Yasser Arafat, à la démission du gouvernement libanais sous la pression populaire et à la politique du pardon initié par le Président algérien en faveur des terroristes islamistes, en passant par la manifestation de citoyens de l’ex-empire soviétique qui refuse le retour au bloc et à l’unanimisme du parti unique. L’auteur se réjouit de la chute du dictateur Saddam Hussein, considère Arafat comme "un despote sans Etat", même s’il a réussi à devenir l’emblème de la cause palestinienne, soulignant qu’il a dilapidé les deniers de l’Etat revendiqué. L’auteur ne mâche pas ses mots, ni n’observe une quelconque complaisance "affective" par son appartenance à la communauté musulmane. Il se réjouit de la capture de Saddam Hussein, de son procès expéditif.

Mais, en dépit de cette fin acclamée du dictateur, l’auteur passe au crible l’ingérence américaine en Irak, et fonde ses arguments sur une critique du concept de « l’interventionnisme », proche, dans ses pratiques et méthodes, des politiques des conquêtes coloniales de pénétration. Dans la 104ème chronique intitulée Le pardon, la seule entièrement consacrée à l’Algérie, le chroniqueur analyse la politique de réconciliation initiée par le Président algérien. Il écrit : "Les raisons qui ont conduit à la crise et à la guerre civile des années 1990 sont encore actives. Aucun travail critique n’a abouti à la réélaboration des faits dans les consciences. Les criminels qui vont être amnistiés se retrouvent libres dans des villes et villages qui restent soumis au modèle et aux contre-valeurs au nom desquels le crime a été commis (…) Si le FIS a appelé à voter oui pour cette amnistie, c’est qu’il sait que la situation continue de lui être favorable… " Il résume cette politique du "pardon" en parlant d’une "paix" piégée. Il n’omet pas, sur ce sujet, de replacer à leurs justes propos, les déclarations du philosophe, d’origine algérienne, Jacques Derrida qui s’est exprimé sur cette politique du "pardon".

Les chroniques événementielles sont intercalées par des réflexions qui viennent donner un soubassement théorique aux événements ayant dominé la scène politique en ces années 2000. L’antisémitisme et l’antijudaïsme, islam et fascisme, hétérogénéité contre démocratie, etc.

Le lecteur trouvera matière à délectations dans les chroniques, nombreuses, consacrées aux villes marocaines, à la Tunisie natale pour laquelle Meddeb n’avance aucun Contre-Prêches sur le musellement des libertés démocratiques dans ce pays. Le lecteur retrouvera, dans ses chroniques impressionnistes le poète et le quêteur de sens dans une approche linguistique d’un ensemble de notions, termes arabes polysémiques. Dans ce recueil de chroniques, Abdelwahab Meddeb fructifie une pensée moderne, à la croisée des engagements rarement énoncés avec une telle lucidité et pertinence et d’un esprit encyclopédique qui préserve avec talent le poétique…

R.M.

Contre-Prêches, chroniques de Abdelwahab Meddeb (Seui, 2006)

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Commentaires (3) | Réagir ?

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ali Foughali

Dieu quand il veut punir un pays, il lui donne l'Islam et des bandes d'ignards pour chercher à le traduire. En 15 siècles l'Islam est passé de la lumière à l'obscurité et là en se politisant il va disparaitre et la lumière réapparaitra sur l'Humanité. Moi je veux vivre sans religion et pleinement avec ma culture maison : le thamazight et personne ne m'empêchera. Advienne que pourra.

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akli ath laarat

Les intellectuels nord africains, à l'image de A; Meddeb, ont beau mener une résisatnce héroique contre l'islam politique, tant qu'il ne s'appuient pas sur des référents culturels et identitaires typiquement nord africains, leur combat risque fort malheureusemnt d'être vain.

N'est ce pas que c'est A. Meddeb, au plus fort de la révolte tunisienne, qui se réferait à une tradition tunisienne laico-musulmane pour asséner ses vérités. N'est ce pas lui qui affirmait, mordicus, que la Tunisie est l'abri de l'islamisme. N'est-ce pas que c'est ce même Meddeb qui snobait, dans une émission télé, Houari Addi (avec qui, dans le fond, il n'est pas loin du tout) lorsque celui-ci le prévenait d'un danger islamiste latent, même en Tunisie ?

A. Meddeb n'a-t-il pas compris qu'entre islam modéré et islam pas médéré, la frontière n'existe que dans l'imagination de ceux qui ignorent que l'Andalousie est un fait greco-byzantin-latin porté par les maures ?

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