"Parcours d’un militant", de Mohamed Mechati

Mohamed Mechati
Mohamed Mechati

Pour marquer le 57ème anniversaire du 1er Novembre, la lecture de "Parcours d’un militant" de Mohamed Mechati est incontournable pour comprendre la genèse de cette date historique et son évolution. Militant de la première heure, membre du groupe historique des 22, fondateur de la Fédération de France du FLN, il est aussi, après l’indépendance, une figure tout aussi pionnière, dans l’Algérie d’aujourd’hui, des revendications démocratiques pour un Etat de droit, de justice sociale et des libertés …

Dernier témoin encore vivant avec Aïssa Kechida, auteur de Les architecte de la Révolution (rééd. Chihab, 2011) ) du groupe historique dit "des 22", Mohamed Mechati livre un témoignage remarquable à la fois par la modestie du ton et l’originalité d’un itinéraire qui se démarque volontiers de l’autoglorification. Ce témoignage qui va du milieu des années 30 ne s’arrête pas à l’indépendance du pays. Contrairement à la quasi-totalité des autobiographies écrites sur la même période par les acteurs du mouvement national qui ne concernent que la guerre de libération (1954 -1962), Mohamed Mechati inclut dans son parcours de militant ses contributions écrites publiées dans différents quotidiens de la presse nationale dans l’Algérie de la postindépendance, des années 1970 aux années 2000.

Regroupés sous le titre Ecrits de combat, ces articles portent sur des périodes clé de l’Algérie face à elle-même, et non plus seulement face au colonialisme : critique du FLN en tant que parti unique, engagement sans faille aux revendications politiques, de justice sociale, de démocratie, de liberté, d’identité portées par la jeunesse algérienne : les révoltes contre le régime en place du printemps 80, du 5 octobre 88, celle des aârouch en 2001 en passant par la résistance armée dans la lutte anti-terroriste. Entre le combat d’hier et celui d’aujourd’hui, Mohamed Mechati a établi plus qu’un lien, une véritable osmose là même où se révèlent le plus souvent des antagonismes. Par ce choix éditorial inédit pour un acteur, icône de son vivant, de la longue marche du mouvement national, de sa période souche du PPA, de ses crises au sein du PPA-MTLD, du passage à l’OS et des crises intestines du FLN post-54, Mohamed Mechati confère à son témoignage une portée à la fois pédagogique et novatrice sur les notions d’engagement et de militantisme.

En établissant un fil conducteur entre la lutte anticoloniale et l’engagement dans les luttes démocratiques dans l’Algérie indépendante, Mohamed Mechati établit ainsi des passerelles vivantes et dynamiques entre les idéaux du 1er Novembre 54 et ceux de la jeunesse algérienne dans l’Algérie post-1980. Et ce lien établi entre les deux parties n’est pas du tout artificiel ou forcé dans le trait d’union. Entre les deux, le lecteur pourra aisément relever l’attitude critique du militant nationaliste tant vis-à-vis de l’idéologie du mouvement nationaliste en sa période de crise post-45 et à la veille du déclenchement de la lutte armée et ses réflexions tout autant critiques vis-à-vis de l’idéologie du FLN ex-parti unique consignées dans ses articles dès le début des années 1970 et ses prises de positions aussi fermes que courageuses sur la légitimité des mouvements de ruptures qu’il a soutenus de sa plume de 1980 à cette fin des années 2000.

Pour la période nationaliste (1936 – 1962) Mohamed Mechati raconte son itinéraire semé d’embuches en rapportant des faits, des attitudes, des pratiques de ses compagnons de lutte sans fioritures : c’est l’un des rares témoignages qui offre un portrait vivant de son compagnon, Mohamed Boudiaf dont il rapporte les divergences dans les méthodes et les moyens d’approche dans des périodes précises, lors des heurts entre les centralistes et les activistes, le déroulement interne, lors de la réunion du groupe 22, du mode de scrutin en vue de désigner les membres du conseil de la Révolution, l’attitude à adopter lors des premiersconflits entre FLnistes et Messalistes. On y découvre un autre versant de Mohamed Boudiaf, plus vivant, dynamique et complexe qui, par la vision réaliste et humaine de Mohamed Mechati, sort du mythe et est ainsi replacé dans la justesse de sa grandeur et de ses faiblesses tout au long de leur parcours commun dans le mouvement national. Cette attitude critique vis-à-vis de l’auteur de Où va l’Algérie se mue en soutien indéfectible aux idéaux de justice sociale de son compagnon qui, mû par un sursaut révolutionnaire, est revenu après de longues années d’exil au Maroc, tenter de sauver l’Algérie à feu et à sang, gangrénée par l’intégrisme et la corruption que dénoncent vigoureusement Mechati dans plusieurs de ses articles insérés dans l’ouvrage.

Toujours dans cette période de maturation du mouvement national et de la lutte armée, Mohamed Mechati, qui a sillonné l’Algérie, de ses villes à ses campagnes les plus reculées pour informer, former, mobiliser les citoyens dans le giron du PPA et par la suite du FLN, rapporte ses multiples rencontres avec des militants forgés à la lutte anticoloniale ou de simples citoyens dans leur ignorance et leur bravoure, peint s avec un regard humain, empreint de modestie, de sincérité tant ceux-ci ne sont jamais vus à travers le seul prisme de leur degré d’engagement dans la cause nationaliste. Mobiliser les hommes pour Mohamed Mechati, c’est d’abord et avant tout vivre leur réalité et ne surtout pas discourir sur celle-ci dans la seule optique partisane. C’est cette vision humaine qui a permis à Mohamed Mechati de traverser des zones de turbulences internes au mouvement national sans que son engagement dans la lutte armée, par la voie politique, n’en souffrît d’un iota. Fondateur de la première fédération de France du FLN ( l’auteur préfère la dénomination La Fédération du FLN en France, ainsi nommée dans l’ouvrage), Mohamed Mechati consacre à cette période allant de 1954 à 56, un court chapitre révélateur de l’anti-héroïsme qui le caractérise. Parti en France à la veille du déclenchement de la lutte armée pour des soins, il passe ses premières nuits dans un abri pour SDF avant de rencontrer un prêtre français qui, ayant connu l’Algérie dans les années quarante, envoyée par sa hiérarchie ecclésiastique afin de mener une enquête sur la situation sociale des Algériens, l’aide à se relever. Il reprend contact avec ses anciens compagnons de lutte se trouvant alors en France et forme les premières cellules avant d’être arrêté et incarcéré avec ses compagnons. Il avoue ne pas avoir été informé du déclenchement du 1er Novembre. Il restitue sans maquiller la situation, le rapport de force inégal entre les premiers noyaux de la Fédération de France démunis de moyens logistiques, mus par la seule force de leurs convictions et une immigration ouvrière en majorité acquise à Messali.

Après l’indépendance, il choisit la carrière diplomatique avant de se voir accusé et jeté en prison par le Ministre des affaires étrangères sous Boumedienne sous le prétexte falacieux de détournement de fonds. Ses compagnons de la Fédération de France se mobilisent et obtiennent sa libération. Mohamed Mechati rapporte ces faits et dévoile les premiers complots ourdis et montés de toutes pièces à l’encontre de militants sincères et dévoués dessaisis de leur poste à l'étranger dont ils ont pourtant expérience, compétence et autorité, sous prétexte qu’ils n’ont pas les diplômes requis alors même qu’ils ont été octroyés à des incompétents pour leur seul vassalité et allégeance à un clan du pouvoir. Bien que ses convictions soient restées intactes comme aux premières heures de militant du PPA, Mechati réfractaire aux allégeances claniques au sein du FLN, reprend son bâton de pèlerin pour les même causes qu’il a défendues au sein du mouvement national et de l’Algérie en guerre pour les continuer, les porter, toujours avec autant de dévouement, d’abnégation, de sincérité, de courage et de désintéressement, à la lutte pour une Algérie qui fait du 1er Novembre non une rente ou une gloriole passéiste et carriériste mais des racines vivantes aux combats démocratiques pour un Etat de droit, de justice sociale, de liberté. C’est le sens et la portée de la deuxième partie de son ouvrage Ecrits de combat, plus longue et épaisse que la partie ayant trait à la lutte anticolonialiste. Le titre de l’ouvrage qui pourrait paraître simpliste au regard de la stature de l’homme et du militant, est au contraire savamment choisi pour sa simplicité et sa charge sémantique dans sa capacité à traduire dans sa dynamique historique de l’Algérie contemporaine un itinéraire qui établit un rapport naturel et intime entre le combat anticolonial et les luttes démocratiques dans l’Algérie d’aujourd’hui.

Le message pédagogique de Mechati est le suivant : le 1er Novembre n’a de sens que s’il fait jonction, par la modernité de son appel historique, avec les luttes démocratiques qu’il a permis dans l’Algérie indépendante. Autrement dit, le 1er Novembre n’est pas, pour Mechati, une date d’une histoire muséale mais un moment clé de l’Algérie moderne, aussi important que le printemps 80, le 5 Octobre 88, la lutte anti-terroriste, la révolte des aârouch… et d’autres mouvements à venir.

R.M.

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Commentaires (3) | Réagir ?

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algerie

merci

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algerie

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