Algérie : concentration des revenus et logiques spéculatives

La spéculation a gagné toutes les sphères de l'économie.
La spéculation a gagné toutes les sphères de l'économie.

Faute d'une véritable révolution culturelle pour inculquer l'esprit d'entreprise et libérer l'ensemble des énergies créatrices, il ne faut pas s’attendre à l’émergence d’entreprenants dynamiques au sein d‘une économie de plus en plus mondialisée.

Les fondements anthropologiques de la richesse en Algérie

Les richesses en Algérie de 1963 à 2011 étant le fait de la concentration du capital argent comme à l’époque mercantile du XV et XVIe siècle en Europe), ne doivent pas être confondues avec l’accumulation du capital du fait d’entrepreneurs créateur de plus values. D’où cette volonté de puissance (par le béton) de construire des villas somptueuses par une minorité rentière, constructions qui côtoient des taudis dans la plupart des villes algériennes. Contrairement à la structuration de l'espace urbain et semi urbain de bon nombre de pays, où l’espace urbain n’est que le reflet de la structuration sociale, expliquant que la différenciation des classes sociales est en voie de formation.

Ces richesses ont suivi, dans la majorité des cas, le processus de positionnement des cadres dans les secteurs névralgiques ou même secondaires de l'économie et surtout son domaine public en fonction des positionnements au sein de la société, des relations tribales, expliquant la faiblesse de véritables entreprenants créateurs de richesses. Ces richesses, tributaires de relations de clientèles, de la redistribution inégalitaire de la rente des hydrocarbures ont façonné et façonnent l'actuelle structure sociale en Algérie, structuration en mutation non encore achevée. Il n’y a pas de changement dans le fond mais dans la forme entre 1963/2011 où existent également des relations dialectiques entre la logique rentière et l’extension de la sphère informelle. Cette dernière contrôle 40% de la masse monétaire en circulation, plus de 65% des segments de produits de premières nécessités (fruits et légumes, marché du poisson, viande rouge et blanche, textiles et cuir) où 80% des revenus des ménages moyens inférieurs pour 70% des travailleurs à 20.000 dinars net (200 euros par mois au cours officiel et 160 euros au cours du marché parallèle) s’adressent à cette sphère avec là aussi des structures monopolistes ou oligopolistiques donc une concentration des revenus au profit d’une minorité qui échappe totalement à l’imposition fiscale évaluée à plus de 3 milliards de dollars/an selon les données de 2009/2010 uniquement pour cette sphère. Paradoxalement, la crise du logement, (même marmite, même toit avec la socialisation des charges), la solidarité familiale, les travaux en informel, des subventions mal grées et mal ciblées compressant artificiellement l’inflation, permettent de reporter dans le temps les tensions sociales.

Nous assistons à une intermédiation monétaire informelle avec des taux d’intérêts usuriers où prédomine-le cash avec la monnaie fiduciaire au détriment de la monnaie scripturale et électronique, ce qui ne peut que favoriser la corruption, la fuite des capitaux hors des frontières dépréciant la valeur de la monnaie. Cela renvoie comme l’a montré le grand sociologue Ibn Khaldoun aux équipements anthropologiques propres à la société algérienne et maghrébine d’une manière générale. Dans l’histoire de l’Algérie, ce sont les hommes avec leurs équipements anthropologiques (identitaires) qui ont façonné les espaces. Si nous prenons les grandes agglomérations- Alger- Constantine- Annaba- Oran, nous assisterons à un processus d'urbanité plus poussé qui a engendré des villes globalement cosmopolites. La structure sociale est très hétéroclite mais n'empêche que tant dans les ceintures rurales qu'à l'intérieur, nous relevons des plaques ethniques assez puissantes. Dans ces petits îlots, nous trouvons souvent des leaders d'opinion discrets mais très efficaces. Il s'agit de ceux très respectés qui interviennent volontairement dans la gestion de la vie communautaire. Il s'agit de ceux qui "font sortir le couscous" pendant les fêtes ou les enterrements. Ceux qui souvent volontairement interviennent dans la gestion des conflits et l'organisation des mariages et les compétitions sportives. Ceux-là forment une sorte de "capital humain" mal exploité. Cette entreprise de gestion locale sur la base de la discipline des parentés est plus marquée dans les noyaux ruraux qui entourent ces villes. Ce comportement qui négocie souvent des espaces d'autonomie face aux contraintes de l'administration est souvent un paramètre déterminant, contrairement aux discours politiques, pour le partage des portefeuilles ministériels, de différents postes sensibles au niveau de l'Etat, du choix des sénateurs nommés, des élections locales et législatives. La plupart des partis politiques même dits "démocratiques" pour leurs candidats tiennent compte à la fois des relations dans un cadre de la redistribution de la rente, de cet arbre généalogique tribal et pas toujours des compétences et de la moralité.

Ainsi, la majorité des entreprises publiques et privées sont fortement imbriquées dans le système administratif lieu de relation de clientèles vivant grâce aux marchés (via la rente) que veulent bien leur donner les pouvoirs publics. Aussi, la majorité des entreprises privées ne sont pas autonomes mais trouvent leur prospérité ou leur déclin dans la part des avantages financiers, fiscaux, leurs parts de marché auprès des entreprises publiques et des administrations. Cette organisation spécifique où l'autonomisation de la décision économique est faible engendre peu d'innovation, d'esprit d'entreprise, assistant plus à des marchandages pour le partage de la rente sous le couvert de discours dits nationaux. Aussi, certaines entreprises publiques ou privées qui vivent de part de marchés de la dépense publique, vivant du transfert de la rente exercent des pressions pour accroître le protectionnisme néfaste à terme et sont peu enclins à la concurrence internationale avec des alliances contre nature avec les syndicats corporatistes vivant eux mêmes des subventions de l’Etat. Mais il faut reconnaître que depuis quelque temps avec la formation plus élevée, et l'ouverture sur l'extérieur, nous assistons à la naissance de nouvelles entreprises mues par de véritables entreprenants. Pourtant, les multitudes pressions administratives ne leur permettent pas la créativité et l'imagination. Cela explique qu'au lieu que l'intégration soit dominée par des économies contractuelles, nous assistons à une dynamique informelle. La raison essentielle trouve un fondement socio-historique avec le poids du politique, au détriment d’un Etat de droit et d’une bonne gouvernance de l’économique, poids accentué par des structures tribales qui se consolident en période de récession économique. Faute d'une véritable révolution culturelle pour inculquer l'esprit d'entreprise et libérer l'ensemble des énergies créatrices, il ne faut pas s’attendre à l’émergence d’entreprenants dynamiques au sein d‘une économie de plus en plus mondialisée. La dominance de la mentalité marchande spéculative a un effet négatif sur le développement dans la mesure où pour tout développement fiable le capital argent doit se transformer en capital productif. Cette situation n’est pas propre à l’Algérie bien qu’elle soit dominante ce qui m’amène à analyser cette concentration également excessive du revenu spéculatif au niveau mondial.

La sphère financière doit être au service de la sphère réelle

La dominance de la finance mondiale avec une accélération sans précédent depuis les années 2000 a tendance à détruire les équipements anthropologiques d’où l’importance d’analyser autrement cette concentration du revenu au niveau mondial. La suprématie de la sphère financière spéculative sur la sphère réelle et les distorsions entre les profits spéculatifs en hausse, pas ceux de véritables entrepreneurs créateurs de richesses durables, sans oublier la détérioration de notre environnement par un modèle de développement et consommation énergétique qui a besoin d’une transformation face à une population mondiale qui vient d’atteindre 7 milliard d’âmes et allant rapidement vers 10 milliards, expliquent largement l’essence de cette crise . Afin de protéger la banque des activités "casino", certains experts préconisent de séparer les banques de dépôts des banques d’investissement. Les banques seraient autorisées à user de l’épargne qu’elles ont en dépôt pour prêter aux ménages, aux entreprises et à d'autres banques, mais ne devraient plus être autorisées à acheter des titres comme l'achat d’actions ou toute acquisition de produits financiers titrisés C’est dans ce cadre qu’il y a lieu globalement de repenser l’essence de la crise mondiale actuelle afin d’éviter du replâtrage en ne s’attaquant pas à l’essence de la crise qui a des similitudes avec celle de 1929, bien qu’existe une situation différente du fait de l’interdépendance des économies (mondialisation) et l’apparition de nouveaux acteurs (pays émergents d’où le passage du G7 au G20). C’est que pour 2010, le produit intérieur brut des USA pour une population d’environ 380 millions, selon le FMI est évalué à61 963 milliards de dollars US, la dette publique US dépasse les 14 251 milliards de dollars, soit 97% du PIB évalué à environ 14 624 milliards de dollars.

La dette de l’ensemble de la communauté économique européenne des 27, première zone économique mondiale avec 30% du PIB mondial, pour une population de 500 millions d’habitants selon Eurostat la dette publique représente 80%, du PIB évalué à 16 100 milliards de dollars soit 12.885 milliards de dollars. Au total USA et Europe la dette publique représente 27136 milliards de dollars, soit 43,83% du PIB mondial. Le cas de la Grèce qui ne représente que 2% du PIB européen évaluée à 152,6% (environ 350 milliards d’euros) est donc un épiphénomène du fait de la faiblesse de son PIB. Mais fait important 880 millions d’habitants sur 7 milliards soit 12,57% concentre 30724 milliards de dollars de PIB soit 49,63%de la richesse mondiale. La Chine avec 1,3 milliard d’habitant a un PIB qui ne dépasse pas 6000 milliards de dollars soit 18,57% de la population mondiale et un ratio très faible de 9,52% du PIB mondial tirant sa croissance de exportations vers l’Europe en premier lieu et en second lieu vers les USA expliquant sa stratégie d’aide non désintéressée à ce que ces deux zones reprennent la croissance. Les salaires dans le produit intérieur brut (PIB) sont en baisse comme le montre une étude récente de l’OCDE où la part des salaires, qui représentait 67 % du PIB en moyenne en 1982, n'en représente plus que 57 %, en Algérie cette part pour 2010/2011 étant inférieure à 20%. Selon Patrick Artus, directeur des études de Natixis que je cite, "dans la zone euro, au total, en trente ans, ce sont quelque 150 % du PIB de l'ensemble qui sont partis vers les marchés financiers au lieu d’aller aux salariés et donc aussi à l'Etat, par l'intermédiaire de la TVA, alors que la fortune cumulée des 0,2 % les plus riches de la planète est estimée à 39 000 milliards Cet argent a-t-il profité à la recherche ou à l'investissement ? Non." Aussi, existe-t-il un déphasage entre la dynamique économique et la dynamique sociale comme le montrent les derniers évènements mondiaux des nantis de protestation contre l’actuel système financier. Certes, il ne faut pas avoir une vision utopique, le système financier est nécessaire comparable au sang humain afin d ‘éviter la paralysie de la machine économique, mais il doit être au service de l’économie réelle. La monnaie, dont les réserves de change qui ne sont pas un signe de développement, n‘est qu’un signe qui doit accompagner la production et non la dominer.

Les fondateurs de la science économique, disons l’économie politique, Smith, Ricardo, Karl Marx et plus près de nous Schumpeter, Keynes ont écrit la valeur c'est-à-dire comment extraire la plus-value à partir du travail condition sine qua non de la richesse des nations. Actuellement existe une crise de la théorie économique qui influe sur les politiques économiques, les politiques étant tétanisées face à l’ampleur de la crise mondiale, n’ayant plus de référence expliquant les tâtonnements et l’absence de vision stratégique en ce monde turbulent en perpétuel mouvement. Le risque d’insolvabilité, américain combinée avec l’actuelle crise européenne serait catastrophique tant pour l’économie mondiale entrainant une récession généralisée pire que celle d'octobre 1929 et celle 2008 du fait des interdépendances des économies et donc sur l’économie algérienne. La reprise économique mondiale en cours, étant encore fragile, on ne peut pas exclure l’hypothèse d’une rechute dans les prochaines années, s’il advenait que la dépense publique se ralentisse et que la croissance ne soit pas reprise par l’entreprise privée, et ce à mesure de l’atténuation de l’impact des mesures de relance budgétaires et monétaires sur la croissance. L’Algérie, exporte 98% d’hydrocarbures en dollars, importe 75% des besoins des entreprises et des ménages dont 60% en euros et a placé une importante partie de ses 175 milliards de dollars de ses réserves de change, en bons de trésor américains et une grande partie en obligation européennes, (devant tenir compte du taux d’inflation mondial et des taux d’intérêt pour le calcul des rendements). L’Algérie, dépendante de la croissance de l’économie mondiale est donc concernée par cette crise structurelle.

En résumé, un processus de mutations internes est en train de se faire en Algérie largement influencée par la mondialisation (révolution d’internet) qui annonce de nouvelles mutations identitaires qui peuvent être soit négatives ou positives fonction de la gouvernance qui doit prendre en compte tant les transformations sociales internes que les nouvelles mutations mondiales. Ces mutations conditionneront ou pas un développement durable hors hydrocarbures sachant que l’Algérie ayant actuellement 36 millions d’habitants sera dans 25 ans 50 millions sans hydrocarbures –entendu en termes de rentabilité financière posant la problématique de la transition d’une économie de rente à une économie productive rentrant dans le cadre des avantages comparatifs mondiaux. Ce n’est pas une fatalité, pour peu que se réalise les mutations systémiques nécessitant un profond réaménagement dans les structures du pouvoir qui repose essentiellement sur la rente, la distribution de revenus ans contreparties productives pour une paix sociale fictive et éphémère, l’Indonésie étant par le passé un gros exportateur d’hydrocarbures et devenue depuis quelques années importateur net, mais ayant préparé cette transition. Ce renouveau implique plus de réformes de fond et non des replâtrages (équilibrisme ou statu-quo suicidaire, devant s’attaquer à l’essentiel et non au secondaire), plus de moralité surtout des dirigeants qui doivent donner l’exemple et plus de justice sociale qui ne saurait signifier égalitarisme source de démotivation. Je ne saurai trop insister sur les relations dialectiques entre la morale ( l’éthique) et le développement souvent négligées par les économistes expliquant largement d’ailleurs les révoltes sociales récentes tant dans le monde arabe que dans les pays développés. Pour le cas Algérie, la faiblesse du management stratégique de l’entreprise publique et privée liée à une gouvernance mitigée au niveau central et local devant aller vers une réelle décentralisation pour une participation citoyenne, la concentration des revenus en faveur des couches spéculatives destructrices de richesses, le manque de visibilité dans la politique socio-économique et la marginalisation du savoir au profit des rentes, deviennent inquiétants pour l'Algérie de demain.

Docteur Abderrahmane Mebtoul

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