France : rien ne s'arrange pour les étudiants étrangers

La droite rend la vie difficile aux étudiants étrangers qui veulent travailler en France.
La droite rend la vie difficile aux étudiants étrangers qui veulent travailler en France.

Ils sortent des grandes écoles et sont visés par la circulaire Guéant (ministre de l'Intérieur) qui durcit les conditions d'obtention d'un permis de travail.

Manque de chance, ils aiment la France. L'adorent, même. Une enquête TNS Sofres publiée en octobre révèle en effet à quel point les étudiants étrangers plébiscitent l'Hexagone. Pour 90 % d'entre eux, c'est même le premier pays à recommander comme terre d'accueil.

Ironie du sort, ils craignent pourtant de tomber aux oubliettes. Une fois la campagne présidentielle lancée, qui se souciera en effet de ces centaines de jeunes diplômés étrangers en attente d'un changement de statut pour gagner le droit de travailler sur le sol français ? L'urgence de la situation n'a pourtant pas échappé à la classe politique. Jeudi, la nouvelle vice-présidente PS du Sénat, Bariza Khiari, dénonçait "l'injustice" de la circulaire du 31 mai et annonçait le dépôt imminent d'un projet de résolution. Pendant ce temps, Europe Écologie s'inquiète : "Jusqu'où ira la xénophobie d'État ?" "C'est un message négatif de fermeture que nous adressons aux étrangers", fustige, quant à lui, le président du Nouveau Centre, Hervé Morin.

Circulaire

Le 31 mai 2011, Claude Guéant, ministre de l'Intérieur, et Xavier Bertrand, ministre du Travail, avaient envoyé aux préfets une circulaire durcissant les conditions d'obtention d'un permis de travail. L'objectif : passer de 30 000 visas de travail à 20 000 par an. Et tant pis pour les diplômés étrangers de nos écoles les plus prestigieuses. HEC, Sciences Po, Polytechnique... Un manque à gagner inestimable que Pierre Tapie, président de la Conférence des grandes écoles, n'a pas hésité à déplorer dès les débuts de la polémique : "Ces refus de visas de travail auront des conséquences sur l'attractivité de la France. Et c'est une contrainte supplémentaire sur les entreprises." Le 18 octobre, la CGE déposait sur le bureau du ministre de l'Intérieur près de 150 dossiers refusés, pour un réexamen au "cas par cas". Mais si 30 d'entre eux auraient été débloqués, les critères de cette réévaluation restent flous et Claude Guéant ne semble pas prêt pour autant à baisser la garde : "La vocation première des étudiants, c'est de retourner chez eux pour faire profiter leur pays de leurs compétences."

"Un Français pourrait occuper le poste"

Les concernés, eux, ne l'entendent pas vraiment de cette oreille... D'autant que, pour la plupart, ils avaient réussi à décrocher un CDI en France avant la sentence. Pour Anna, jeune Américaine fraîchement diplômée de l'EDHEC en Marketing Management, c'est une aberration : "J'ai fait mon stage de fin d'études chez Chanel. Ils étaient très contents de moi et voulaient me prolonger, mais j'ai préféré accepter un CDI chez Swarovski. Un poste basé en France de manager planning pour la création internationale sur les marchés américains et d'Europe de l'Est. Comme je parle anglais et russe couramment, c'était le poste rêvé." Du rêve à la réalité, il n'y a qu'un pas. Lorsque Anna demande le statut de salarié, c'est un refus pur et simple et l'obligation de quitter le territoire sous 30 jours. Motif ? "Un Français demandeur d'emploi pourrait occuper le poste." Vraiment ? Anna ignorait que les diplômés bilingues en russe des affaires couraient les rues parisiennes...

Tout comme Anna, Nacira s'est vu refuser cet été son changement de statut. Et avoue ne pas bien saisir l'intérêt de l'État français dans cette affaire. Cette jeune Algérienne, détentrice d'un doctorat en pharmacie dans son pays, d'un second doctorat à Lyon en spécialité industrielle, et d'un master 2 en microbiologie, a enchaîné trois longs stages en milieu hospitalier et dans la recherche. "On nous rabâche tout au long de nos études que l'industrie pharmaceutique française manque d'effectifs. Et c'est vrai, les places à pourvoir existent bien, constate la jeune fille, dépitée. Mais une fois qu'on postule, on ne veut plus de nous. C'est à n'y rien comprendre..."

La France, pays rêvé ?

Et encore, ces jeunes femmes font partie de ceux dont le dossier rejeté a donc été traité. D'autres, semble-t-il, n'ont pas même eu cette chance. C'est le cas de Johanna, 24 ans, américaine, diplômée de Yale et de Sciences-Po, qui a suivi toutes ses études au lycée français, d'abord à Washington, puis à New York. "En septembre, j'ai été embauchée par une start-up française qui travaille à l'international. Quand j'ai demandé mon visa de travail, on a refusé le dépôt de mon dossier sous prétexte qu'il aurait fallu s'y prendre au moins un mois avant la fin de validité de mon visa étudiant. Mais les instructions changent tout le temps, et les sites officiels ne sont jamais mis à jour..." Et de déplorer les absurdités du système : "Cette circulaire nous met dans des situations grotesques. Les préposés de la préfecture sont tellement débordés qu'ils nous incitent même à frauder en demandant un simple prolongement de visa étudiant. Du coup, c'est ce que j'ai fait."

Retourner dans leur pays

En attendant, son entreprise fait tout ce qui est en son pouvoir pour la garder. La seule solution pour rester ? Se réinscrire à Sciences-Po, casser son CDI... et re-signer pour un stage ! Rémunération : 2 200 euros par mois. C'est le stage le plus cher du monde : "On dirait que l'État français aime perdre de l'argent, relève la jeune fille, perplexe. Un stage n'est pas imposé à la hauteur d'un vrai poste que je sache !" Loin de s'en réjouir, la jeune fille se dit "déçue par cet accueil".

Dans son bureau du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Laurent Wauquiez déplore cette situation. Quand on évoque ces jeunes diplômés, il plaide l'erreur d'interprétation de la circulaire par les autorités. "Bien sûr que nous nous battons pour le rayonnement de notre enseignement supérieur. Ces jeunes ont sans doute vocation à retourner travailler chez eux, mais qu'ils aient une première expérience en France en fait des ambassadeurs à vie de notre pays." Interrogé sur ces dossiers rejetés après ou sans examen, Wauquiez répond : "Envoyez-les moi." L'adresse ? 21, rue Descartes, 75005 Paris.

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