Le printemps des islamistes

Anoaur Haddam, ex-N02 du FIS dit préparer son retour en Algérie
Anoaur Haddam, ex-N02 du FIS dit préparer son retour en Algérie

Ennahda qui accède au pouvoir en Tunisie après avoir été réprimé sous le régime de Ben Ali sera-t-il le détonateur en Algérie du retour de l’ex-Fis interdit à la même date que le parti islamiste de Rached Ghennouchi qui a connu, comme Anouar Haddam qui s’apprête lui aussi au retour, l’exil politique…

Faut-il crier au scandale suite à la déclaration du CNT qui a jumelé sans surprise la "libération" du pays à l’instauration de la chari’a islamique. Le CNT a annoncé dimanche que la loi islamique sera celle du pays. Le sort de Kadhafi jette une ombre sur ce nouveau départ. Le président du Conseil national de transition (CNT), Moustapha Abdeljalil, dimanche dernier, avec un ton solennel, a annoncé les couleurs du projet de société qu’il entend offrir au peuple par la loi islamique, source du droit en Libye post-Kadhafi. "En tant que nation musulmane, nous avons adopté la charia comme source du droit, donc n’importe quelle loi contredisant les principes de l’islam est légalement nulle", a-t-il dit. Cela fit l’effet d’une bombe à retardement parmi la communauté internationale et notamment la France qui a été officiellement le premier pays à recevoir les futurs membres de ce qui deviendra le CNT. Le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, s’est fait toutefois ambigu dans sa déclaration modulant son propos par la nécessité a-t-il dit, d’arrêter de voir le monde arabe à travers la seule vision de la démocratie occidentale. "Nous serons vigilants sur le respect des droits de l’Homme et des principes démocratiques, notamment la diversité culturelle et religieuse et l’égalité des hommes et des femmes auxquels la France est indéfectiblement attachée". L'Union européenne a appelé les nouvelles autorités libyennes à respecter les droits de l’homme et les principes démocratiques. "Nous attendons de la nouvelle Libye qu’elle soit fondée sur le respect des droits de l’Homme et des principes démocratiques."

Entre l’annonce de Moustapha Abdouljalil de l’instauration (et non la réintroduction dans la législation) de la charia et les réactions mitigées, voire timides de l’Occident, il y a un comme une résurgence de la période de 1989 en Algérie où le même scénario s’est mis en place. Savourant ses premières victoires des islamistes aux élections communales de 89, le FIS n’a cessé de clamer l’instauration de la chari’a sans doute confortée et renforcée par l’article 2 de la constitution algérienne "l’islam est la religion de l’Etat". De son côté, l’Occident, à cette époque, appelait au respect des droits de l’homme ; lesquels droits de l’Homme avaient été brandis par la communauté internationale pour venir au secours des islamistes du FIS interdit et de ses chefs politiques emprisonnés, abandonnant l’Algérie aux couteaux des GIA tandis que Ben Ali lui offrait le sable doré des Hammamet, loin des Tazmamart tunisiens.

Une question se pose alors : celle de savoir pourquoi la France qui a reconnu avant l’heure le CNT et a été l’instigatrice du processus de l’intervention de l’OTAN en Libye n’a, à aucun moment, dans ses déclarations, appelé au respect des droits de l’homme durant les neuf mois de l’insurrection armée ni donné un sens politique à la chute de Kadhafi. Venant ainsi en aval, la réaction occidentale parait d’une extrême fragilité face à la détermination marquée dans l’annonce de l’ex ministre de Kadhafi d’instaurer la chari’a et ses corollaires : la polygamie, le mariage de jouissance, le niqab, etc. Kadhafi a-t-il interdit la chari’a pour légaliser le mariage civile et le divorce ? Dans la forme, peut-être. Mais son Livre Vert et les réelles conditions de la femme ainsi que les mœurs politiques de la cour de Kadhafi révèlent le le côté cour de cette modernité de façade. En vérité, par cette déclaration sur la chari’a, l’autorité du CNT ne fait que réhabiliter la situation désastreuse prévalant sous le régime du dictateur dont les fils s’étaient distingués par leurs frasques dans les hôtels huppés d’un Occident alors peu regardant sur le sort des opposants politiques de Kadhafi torturés et tués en prison.

Il n’y a donc pas lieu de feindre la vierge effarouchée suite à cette déclaration. La chute des dictatures dans le monde arabe n’a jamais produit de la laïcité et de la modernité. Les nationalismes arabes dont sont issus Hosni Moubarek, Houari Boumedienne, Mouâmar Kadhafi ont construit une idéologie propice à ce type d’annonce : l’arabo-islamisme comme fondement de l’identité de l’Etat. Ben Ali qui a succédé au Président Habib Bourguiba, a, dans un premier temps, assis son règne sur ce même arabo-islamisme, voulant ainsi s’écarter de cette image médiatique de Bouguiba qui, pour affirmer sa laïcité de fer, a donné lui-même l’exemple un jour de ramadhan. Ainsi, dès le départ forcé de Hosni Moubarek, les tensions entre coptes et musulmans ont généré des affrontements mortels sous l’œil complaisant de la toute puissante institution religieuse El Azhar qui, rappelons-le, n’a pas condamné la tentative d’assassinat par les islamistes du prix Nobel de la littérature, Naguib Mafouz. En Tunisie, la fuite de Ben Ali a permis le retour de Rached Ghennouchi, leader d’Ennahdha qui vient de remporter les élections sans surprise. Les descentes punitives des islamistes contre la chaine de télévision privée Nessma pour avoir diffusé un film contraire aux lois islamiques et leur incursion au sein de l’université de Sousse pour imposer l’inscription d’une étudiante portant "niqab", s’insurgeant contre "la loi de Ben Ali". En Algérie, dès la mort de Boumediene et l’avènement du multipartisme, le pouvoir n’a cessé de donner des signes d’allégeance à l’islamisme politique béni par la concorde civile de Bouteflika. Ainsi, les islamistes dans les révolutions arabes actuelles, se posent, sur la scène politique, en victimes de la dictature beaucoup plus que ne le font les partis de gauche. Il y a vingt ans, Ennahda était la principale force d’opposition en Tunisie. Avant d’être interdite et ses militants emprisonnés ou contraints à l’exil. Aux élections de 1989, deux ans après la prise de pouvoir de Ben Ali, elle avait obtenu officiellement 17% des voix, mais son score était probablement plus élevé.

Rached Ghennouchi est rentré au pays grâce au Printemps arabe sous l’étoffe de l’illustre victime de Ben Ali et son parti, légalisé, joue la carte de grand persécuté par la dictature. Anouar Haddam qui prépare son retour en Algérie à la faveur de la politique de réconciliation nationale se fait fort de préciser que son retour se veut une consécration du Fis dont « l’avenir » sur la scène politique s’invite désormais au parlement et au conseil des ministres. Ses ex-chefs ont saisi la perche et sortent de leur silence tactique pour appeler à l’interdiction des boissons alcoolisés, à la fermeture des bars, reprennent place au haut des minarets et fustigent ce qui reste de démocratie, sous l’oreille attentive de leurs courtisans nichés au sommet de l’Etat-pouvoir. Rached Ghennouchi et Anouar Haddam se partagent la même histoire : La répression d'Ennahda en Tunisie est intervenue en 1992, après celle du FIS en Algérie. Les militants des deux partis ont, ainsi partagé les souffrances de l’exil et ont noué de solides amitiés. La victoire d’Ennahdha à à l’assemblée constituante donnera sans doute des ailes à l’ex-fis pour clamer son statut de parti légalisé et se permettre même le luxe de refuser la charité politique de la réconciliation nationale. Est-ce pour cela que la rue algérienne n’a pas bougé alors que la Tunisie s’embrasait ? 1988 qui a permis le multipartisme a débouché, comme présentement en Tunisie, sur la légalisation des partis islamistes. Une autre Révolution en Algérie serait-elle des plus risquées maintenant que, à ses frontières, des modèles de société se revendiquant de la "chari’a" se mettent en place ? Pour Rached Ghennouchi, la chute des dictatures dans le monde arabe est l’aube d’une ère "post-laïque".

L’un des raisons pour laquelle l’Algérie n’a pas bougé avec les « Révolutions arabes » serait le fait que le pouvoir, contrairement au régime de Ben Ali, de Hosni Moubarek et de Kadhafi, a abdiqué à l’islamisme politique et à ses bras armés tant et si bien que le peuple, usé, réduit à une poussière d’individus, massacrés voit "ses" partis politiques se revendiquant de la laïcité disqualifiés et corrompus eux aussi par les mannes de la rente, dilués dans des alliances troubles et trouvent confort auprès d’une nouvelle classe sociale appelée communément les "begarine" qui possèdent ses "esprits éclairés" auprès d’intellectuels de service. Contre qui se battre alors que les massacres terroristes continuent, que la concorde civile consacre l’impunité sans condition aux bourreaux du FIS et assure, dans la corruption systémique, le blanchiment de l’argent sale des maquis du GIA.

Ironie du sort, l’ancien président Ben Ali a toujours cité la terrible expérience algérienne pour justifier sa politique anti-islamiste. Ennahda, qui accède au pouvoir, prendra-t-il le même exemple pour asseoir son règne ?

Rachid Mokhtari

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Commentaires (6) | Réagir ?

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sadek Oumasseoud

Qu'importe leur choix! Le fait est que nos voisins tunisiens ont réussi à élire démocratiquement une assemblée constituante. Un grand pas vers la démocratie et l'Etat de droit ! Quant à nous, le mieux serait de nous la tenir fermée !

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kouider

La France et les pays occidentaux en général n'ont rien à foutre que les pays arabes appliquent la chariâa chez eux, lapident les femmes et coupent la main des affamés. Comme l'a si bien dit Le Pen : "je ne hais pas les Arabes, je les aime, mais chez eux". L'Occident aussi, n'est pas contre la chariâa, il l'approuve, mais chez les pays arabes. L'essentiel c'est qu'en dehors du délire et des cauchemars qu'ils font subir à leurs populations, ils respectent les enjeux stratégiques de l'Occident, sécurité d'Israël, ressources naturelles bon marché... Ils se sont bien accommodés de l'Arabie Saoudite féodal et des pays du Golfe. Alors pourquoi pas des Emirats unis du Maghreb ?

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