Messieurs, avec Al-Jazeera, vous n'avez que la télé que vous méritez !

Par Ahmed Halli

Ouf ! Cette fois-ci encore nous avons évité de justesse un conflit aux conséquences dramatiques. La clameur s’est enfin tue et la fièvre est retombée. La voix et la main mystérieuses qui exhortent, poussent les Algériens à sortir de leurs gonds, ont ramené un semblant de calme dans les foyers. Les organisateurs de la colère ont décrété la démobilisation générale après avoir testé nos capacités à rugir, à pester contre la main de l’étranger.

Enfin, pas si étranger que ça puisque l’objet du ressentiment collectif n’était autre que notre bien-aimée Al-Jazeera. La chaîne du Qatar a eu le fouet un peu rude, cette fois-ci, et cela n’a pas manqué de lacérer quelques boucliers d’amour-propre. On découvre soudain qu’une chaîne satellitaire peut attenter à notre sécurité nationale, ce qu’elle fait depuis des années. On nous annonce, avec la stupeur qui sied aux amants trahis, qu’Al-Jazeera n’aime pas les Algériens. C’est une vérité ancienne et évidente mais les Algériens le lui rendent bien en l’aimant encore plus. La preuve : la majeure partie de nos médias, je ne parle pas de la classe politique versatile, se dit meurtrie. Ainsi donc, entre Ben Laden et Bouteflika, les frères du Qatar ont choisi le premier ! Le coup est rude en effet : alors que nos dirigeants s’évertuent à nous accrocher à la caravane islamiste, avec la repentance d’usage, les chefs de convoi nous repoussent du bout de la chaussure. Au cas où nous n’aurions pas compris, Al-Jazeera nous l’explique recto-verso. Avec le sondage habituel réservé aux téléspectateurs fidèles, la télé nous balance une fetwa inédite mais sans surprise. Concrètement, le sondage proclame que notre mort est licite puisqu’elle est approuvée par une majorité confortable de ulémas en ligne. Par conséquent, ceux qui nous tuent ont bien raison de le faire puisque notre assassinat ne gêne personne. Pris tel quel, ce sondage n’est pas vraiment scandaleux puisque nombre de nos éminents concitoyens disent pratiquement la même chose depuis des années. Je n’ai donc pas à être scandalisé par les initiatives d’une chaîne qui nous flagelle, encouragée en cela par la haine et la violence qui régissent les relations entre Algériens. Lorsque des Algériens justifient le meurtre, incitent à l’assassinat de leurs compatriotes, que voulez-vous que fasse Al- Jazeera, chaîne qatarie, portevoix de l’internationale islamiste ? Vous ne voulez quand même pas que cette chaîne, aux convictions bien ancrées, dénonce le terrorisme islamiste et défende la démocratie et la laïcité. J’ajouterais même à l’intention de nos intégristes, de nos démocrates endormis ou en prières : Messieurs, avec Al-Jazeera, vous n’avez que la télé que vous méritez ! Mais le pire est à venir. Que fait Al-Jazeera devant nos protestations feintes ou sincères et pour calmer notre indignation ? Elle en rajoute, Messieurs les islamistes en alpaga et Messieurs les démocrates en pèlerinage ! Après la provocation, Al-Jazeera vous tourne en dérision et se moque de votre indignation. Que disent les responsables de la chaîne après ce soidisant dérapage et en guise d’excuses officielles ? Ce sondage a été réalisé à notre insu et il est le résultat d’un complot ourdi par des personnes qui veulent imposer une certaine orientation à la chaîne. Explication qui relève de tout sauf de la bonne foi mais qui a l’air de contenter les va-t-enguerre trop pressés de conclure un cessez-le-feu, voire un armistice. Curieux, comme ceux qui ont brandi l’étendard de la guerre se sont empressés de hisser le drapeau blanc. Comment peut-on croire un seul instant qu’un sondage aussi délicat puisse être proposé sans l’aval des principaux responsables de la chaîne ? Il est difficile de croire aussi qu’un tel sondage ait pu être élaboré à l’insu de la trentaine de journalistes algériens employés de la chaîne. A moins de supposer que ces confrères algériens soient si influents et si présents aux commandes d’Al-Jazeera que certains d’entre eux peuvent concourir à un tel dérapage(1). Et puis dans toute cette affaire, il y a un nom qui n’a pas été évoqué sauf en termes laudateurs et dans des rubriques voisines, et c’est ce bon vieux Karadhaoui. Ce dernier est pourtant rédacteur en chef d’Al-Jazeera, comme Bouteflika est «redchef» de l’APS. Il y fait la pluie et le beau temps, et plus souvent la pluie en ce qui concerne l’Algérie. Or, depuis qu’il est devenu ostensiblement l’ami de notre président, il a quelque peu changé d’attitude(2). Reste à savoir si c’est l’amitié du président ou l’influence de son épouse algérienne qui a joué dans son évolution. Toujours est-il que son image a changé, un de nos chroniqueurs a même poussé l’enthousiasme jusqu’à proposer sa nomination comme «mufti» de la république. Fasse le Ciel qu’il ne soit pas entendu là-haut ! Sauf erreur de ma part, il a gardé un silence prudent dans l’affaire du sondage. Silence prudent aussi chez nos confrères arabes, habituellement hostiles aux orientations d’Al-Jazeera. Pourquoi s’indigner, du reste à retardement, lorsque les premiers concernés ont déjà décidé d’arrêter les hostilités ? Tirant d’ailleurs les leçons de cette opération feu de paille, notre confrère Slimane Boussoufa(3) se demande pourquoi les Algériens se sont acharnés à faire une telle publicité gratuite à Al-Djazeera. Il se dit surpris, entre autres, que la télévision algérienne ait ouvert son JT avec cette affaire, amenant du même coup un afflux de téléspectateurs à la chaîne qatarie. Ce qui dénote, selon lui, le désordre dans lequel agissent les différents rouages du pouvoir algérien lorsqu’il s’agit de gérer de telles situations de crise. Mohamed Boussoufa estime, en effet, qu’on ne doit pas offrir une telle tribune à la chaîne, mais répondre au dérapage par la voie diplomatique. Ainsi l’Algérie aurait pu faire agir son ambassade au Qatar, notifier aux autorités de ce pays que la ligne rouge avait été franchie. Cette démarche aurait été d’autant plus efficace, ajoute notre confrère, que la chaîne envisageait de rouvrir son bureau à Alger, fermé sur ordre de Bouteflika en personne. Al- Jazeera avait même dépêché, à cet effet, un de ses journalistes algériens le mois dernier. Pourquoi l’Algérie, avec ses moyens matériels, son poids politique et sa position géographique est-elle passive et réagit-elle au lieu d’agir dans ce genre de situations ? «L’Algérie n’a pas besoin de soutien matériel ni d’importer des journalistes. Al-Jazeera qui est accusée d’atteinte à la sécurité nationale bénéficie de l’expérience de dizaines de journalistes algériens, parmi les meilleurs. Nous connaissons certains qui passent à l’écran mais nous ignorons tout de la majorité d’entre eux. Ils travaillent souvent dans les coulisses et après la tombée de la nuit», souligne Mohamed Boussoufa. Et si tout cela n’était qu’une forme de publicité tapageuse et gratuite, comme vous le dites cher confrère, pour une chaîne qui reste, vaille que vaille, plus écoutée et plus crédible que tous nos moyens de communication ?
A. H.

(1) Pourquoi ne pas leur soumettre ce sondage ? On dit qu’ils ont protesté contre l’initiative et réclamé une enquête interne. Pourquoi essayer d’ailleurs de les incriminer sachant qu’on les a souvent poussés dehors d’une manière ou d’une autre.
(2) D’aucuns pourraient me reprocher de ne pas voir les bénéfices de cette amitié, comme la condamnation plus nette du terrorisme par Karadhaoui. Comme je ne sais pas encore à qui profite réellement cette amitié, je préfère garder mes réserves.
(3) Journaliste d’origine algérienne, installé actuellement à Londres où il est correspondant de la chaîne américaine Al-Hurra.

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Commentaires (5) | Réagir ?

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farouk bouguendoura

sil y a une levée de boucliers de bouclier à avoir ou à faire c'est contre l'integrisme, son bras armé le terrorisme et son complice politique autorisé l'islamisme ; quand à al jazeera qu'elle fasse des sondage à propos des attentats ou à propos de la couleur des culottes on s'en tape du moment quie ce n'est que du bla bla et que nous savons que la plupart de ceux qui ont voté lors de ce sondage sont des plaisantins. Alors il ne faut pas suivre l'ombre et lacher la proie....

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Mourad Sahli

Très belle analyse de Monsieur Ahmed Halli. Bouteflika est la seule personne à incriminer pour avoir fait l’apologie du crime contre son propre peuple s’il est Algérien, chose qui m’étonnerai très fort. On ne peut pas être Algérien quand on est issu du clan d’Oujda et amnistier des sanguinaires. C’est ce même Bouteflika qui a organisé le premier sondage en Algérie en 1999. La question est êtes vous pour ou contre l’amnistie de vos bourreaux ?

Il n’a même pas pris la peine de rajouter une autre question dans son sondage pour camoufler ses actes débiles et irréfléchis. Etes vous pour ou contre le châtiment de vos bourreaux. La mascarade est connue de tous, 99. 99% ont voté pour l’amnistie sous la bénédiction des bourrages d’urnes de l’administration du policier Zerhouni bien sur.

De grâce, qu’on ne parle pas de main de l’étranger à chaque fois que l’Algérie est frappée par un attentat. La plus grande main étrangère et terroriste de surcroît est au pouvoir et elle est nommée Abdelaziz Bouteflika et Abdelaziz Belkhadem. Je vais finir par croire que tous les Abdelaziz sont terroristes et flirtent avec les islamistes, mais non.

Mourad Sahli (Amnesty international Belgique.)

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