Octobre 1961 : police contre FLN

La police de Papon a été sans aucune pitié aux manifestants désarmés.
La police de Papon a été sans aucune pitié aux manifestants désarmés.

Le massacre du 17 octobre a été commémoré avec éclat pour condamner la ratonnade sanglante des Algériens, stigmatiser la police et exiger le pardon de l’État français.

D’autres historiens ont procédé à une étude de la police pour mieux comprendre les causes profondes de cette folie meurtrière. Parmi eux, le livre de Jean-Pierre Brunet : Police contre FLN. Le drame d’octobre 1961, Flammarion, 1991.

Jean-Pierre Brunet, professeur à l'École Normale Supérieure de Paris IV est l'auteur de plusieurs livres dont L'histoire du Parti communiste, La police de l'ombre.

D'emblée, il précise que "l'histoire ne s'édifie pas par une accumulation d'informations, elle exige un esprit critique sans cesse en éveil et nécessite que l'historien se défasse de tout à priori et de toute attitude passionnelle" (p. 14). L'auteur indique ensuite ses sources, à savoir l'ensemble des livres écrits par les historiens et politologues ainsi que les témoignages les plus divers de la police de Paris et des services qui lui sont rattachés. Il a passé tous les témoignages recueillis au crible de la critique historique et il a replacé les faits dans leur contexte et la longue durée.

"Il est en l'occurrence capital de replacer le 17 octobre dans la chaîne causale des faits qui l'ont précédé, d'évoquer ce qu'était alors le FLN et ses méthodes. La police parisienne, son fonctionnement et son état d'esprit. À tous ces égards l'ouverture des archives de la police apporte une vaste moisson d'informations, dont certaines étonnantes, qui contribue à saisir les ingrédients du drame d'octobre". (p.25) L'ouvrage comprend deux grandes parties : l'étude des conditions générales qui ont conduit à l'affrontement entre la police et le FLN et la journée du 17 octobre suivie d'un bilan.

La montée en puissance du FLN

J. P. Brunet reprend la version traditionnelle des historiens du FLN sur la crise du MTLD, le Congrès d'Hornu et l'entrée tardive des messalistes dans la lutte armée. Il parle aussi de la responsabilité du MNA dans les attentats contre le FLN en France, sans préciser qu’il s’agissait de groupes d’autodéfense, car dans le mouvement national jusqu'en 1954, les divergences ont été toujours été réglées par le débat politique et jamais par la violence. L’historien précise que c'est Mohamed Boudiaf qui est à l'origine de la guerre entre les Algériens, puisque dès la création du MNA, en dëcembre1954, il a cherché à implanter le FLN en France, par l'emploi de commandos armés.

Dans cette guerre fratricide, le FLN l’a emporté parce que « le MNA n'avait pas plus déterminé de méthode de terrorisme qu'il n'avait adopté de stratégie politique claire. Ce qui lui faisait perdre sans cesse du terrain : déjà, à la fin de l'année 1960, il n'aurait plus disposé que de 6 000 cotisants, contre 120 000. Comme il se battait le dos au mur, son comportement apparaissait de moins en moins cohérent. » (p.32) Brunet reprend sans la discuter la thèse du FLN sur sa politique et son action, sans insister sur la répression massive et permanente qui a frappé les messalistes, le soutien multiforme apporté au FLN par le PCF, la CGT et la grande presse de gauche et le terrorisme des groupes de choc. C’est ainsi qu’au 2e Congrès de l’USTA tenu à Lille en novembre 1959, Alexandre Hébert, secrétaire général anarchiste de l’UD-CGT de la Loire Atlantique a fait la comparaison entre le terrorisme du FLN et celui employé par le Guépéou stalinien contre les trotskystes, les anarchistes et les socialistes du POUM, pendant la guerre d'Espagne. Dans les chapitres III et IV, J. P. Brunet présente le FLN comme « un mouvement à visées totalitaires », le contraire d’une « une véritable contre société » (Stora), procédant à l’encadrement de l'émigration algérienne par des commandos de choc utilisant les méthodes utilisées dans le milieu. Ce sont ces méthodes du FLN qui ont entraîné les atteintes aux libertés publiques, facilité la formation et l'emploi des forces de police nauxiliaire (FPA) 1 ou harkis, chargés de combattre le FLN en utilisant les mêmes méthodes : "Les harkis ne se préoccupaient guère des règles de droit pour tenter d'éradiquer le FLN de ses places fortes [...]. Au total l'efficacité de la FPA eut pour contrepartie l'emploi des moyens illégaux et moralement condamnables : arrestations et détentions arbitraires, pratiques systématiques de la torture, etc"(p.69).

La réaction policière

C'est dans ce contexte que pour peser dans la crise ouverte entre le GPRA et l'État-major général (EMG) de Boumediene, les commandos du FLN reçoivent pour consigne "d'attaquer indistinctement tout policier ou militaire en uniforme... Les victimes d'attentats sont donc d'abord les gardiens de la paix, les gendarmes en uniforme, et des fonctionnaires spécialisés dans les affaires nord-africaines et connues a ce titre" (p.79). Cette politique aura des conséquences tragiques, car : "avec la colère la haine montait, et désormais les policiers ne parvenaient plus à faire la distinction entre FLN et population nord-africaine. Ils le pouvaient d'autant moins qu'ils comptaient dans leurs rangs nombre d'anciens des guerres d'Indochine et d'Algérie - les autres faisaient régulièrement des « périodes » en Algérie -, et qu'ils étaient pour beaucoup imprégnés de racisme". (p.85) À l'automne 1961, l'exaspération est à son comble dans la police confrontée aux attentats du FLN, à ceux de l'OAS et aux manifestations de la gauche pour la paix en Algérie. Tous les ingrédients d'une violente répression étaient déjà réunis et la « marmite policière » semblait prête à exploser. Il apparaît alors que Papon et sa hiérarchie se sont montrés disposés à absoudre à l’avance les exactions de la police. Ce faisant, ils ne les ont pas seulement tolérées, mais aussi encouragées. Pour l’historien, "dans l'ensemble, jusqu'au début d'octobre, il apparaît que Papon a subi plus que provoqué les événements". (p.91)

Fin 1961, dès lors que le FLN avait engagé "la bataille de Paris" et qu'il considérait toute la population française, à l'exception des "porteurs de valises" comme "un peuple ennemi" c'est l'État − le général de Gaulle, le premier ministre Debré et le préfet de Paris −qui agiront pour défendre l'ordre public en France avec certaines méthodes utilisées par le général Massu pendant "la bataille d'Alger" (2). J. P. Brunet inscrit la manifestation du 17 octobre dans ce contexte où l'exaspération est accrue après l'échec des négociations entre la France et le GPRA, à Lugrin. Là encore, la direction de la wilaya 7 réfugiée en Allemagne relance les attentats en France, pour imposer la reprise des pourparlers et peser sur la crise ouverte au sein du GPRA. La réaction fut d'une brutalité extrême et Brunet qui reprend les analyses de Michel Levine sur "les ratonnades d’octobre" et de Jean-Luc Einaudi parle "d'une nuit d'horreur et de honte", avec des morts et des blessés, mais dont le nombre dit-il, est très inférieur à celui établi par Einaudi". Au final, si la violence de la répression est criminelle, l’historien estime que "le FLN porte, nous le répétons, une lourde responsabilité, car il ne pouvait invoquer aucun renforcement de la répression policière. Et lorsque ses responsables décrétèrent des manifestations de masse pour protester contre un couvre-feu qui privait leur organisation d'oxygène, ils ne pouvaient pas ignorer l'état d'esprit des policiers et ils devaient prévoir que leur réaction serait d'une extrême violence". (p.335)

L'intérêt de cet ouvrage dont nous avons critiqué plusieurs points et dont la conclusion relève plus de la diplomatie que de l'histoire, est d'inciter les historiens à replacer la manifestation du 17 octobre et sa sauvage répression dans le contexte général de la guerre d'Algérie comme dans l'histoire de l'immigration algérienne en France. En insistant sur la nature du FLN, son organisation, ses méthodes d'encadrement de l'émigration et la politique de sa direction, Jean-Pierre Brunet a bien montré la discontinuité entre le mouvement national, allié de la classe ouvrière et du peuple de France et le FLN qui mena une guerre à la fois contre ce peuple qui pourtant soutenait la politique indépendantiste algérienne du général de Gaulle et contre le MNA qui défendait le droit pour le peuple algérien de former une nation souveraine à travers un processus constituant.

La caporalisation de l'émigration en France par le FLN était indispensable pour édifier l'État algérien fondé sur le parti unique et l'armée des frontières. Reste alors à expliquer pourquoi les partis ouvriers, les syndicats et toute la presse de gauche ont soutenu le FLN et ignoré le MNA.

Jacques Simon

Notes

1. Valat Rémi. Les calots bleus et la bataille de Paris. Une force de police auxiliaire pendant la guerre d’Algérie, Michalon, 2007

2. Michel Debré. Gouverner. Mémoires. 1958-1962. Albin Michel, 1998 (Ch.6, Le dégagement) ; Constantin Melnik 1000 jours à Matignon. Grasset, 1988 ; Raymond Ruelle. La guerre d’Algérie en France. 1954-1962, Presses de la Cité, 1994.

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Commentaires (1) | Réagir ?

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ali Foughali

La police de Papon a agit de la même façon que la police algérienne d'Ould Kablia je veux dire avec la même férocité. D'un colonialisme à l'autre. .

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