L’Algérie entre les crimes coloniaux et ses crimes postcoloniaux

Comment l'Algérie peut-elle durcir sa voix pour exiger de la France la reconnaissance officielle des massacres du 8 mai 1945 et du 17 octobre 1961 quand la politique de la réconciliation nationale accorde un pardon unilatéral à l'islamisme politique et armé et consacre ainsi l'impunité comme système de gouvernance...

L’événement du cinquantenaire du massacre du 17 octobre 1961, perpétré par la police de Papon sur les manifestants immigrés algériens, vient de la France, par la déclaration officielle de l’Elysée qui dit "reconnaître les faits". Des intellectuels et des politiques français ont lancé un appel, le 11 octobre dernier, pour que les massacres commis par la police parisienne sur les Algériens qui manifestaient pacifiquement le 17 Octobre 1961 soient reconnus comme "crime d’Etat". Attardons-nous sur le mot "fait". Le 17 octobre n’est-il donc qu’un "fait" isolé de sa genèse historique, de l’histoire globale de l’immigration algérienne, de la naissance en son sein, des partis politiques algériens modernes militant diversement pour l’indépendance de l’Algérie ?

Certes, il y eut le procès Papon sur ces mêmes "faits". Le 17 octobre est ainsi réduit, par ce vocable des faits divers, à un événement isolé de sa genèse historique, c'est-à-dire la colonisation de peuplement et tous les massacres des Algériens depuis 1830 sur lesquels, l’illustrissime historien essayiste Mostefa Lacheraf n’a cessé de relever la nature de "crime d’Etat" resté impuni à ce jour et qui ne saurait être réduit ni au 8 mai 1945, ni au 17 octobre 61. Reconnaître ce "crime d’Etat", relèvent les signataires de l’appel, ne "consiste pas à creuser un fossé entre les peuples algérien et français. Il s’agit de faire en sorte que se construise une convivialité entre le peuple français et le peuple algérien, d’où l’importance de cette revendication cardinale qui est de faire reconnaître officiellement que le 17 octobree 1961, il y a eu un crime collectif et raciste commis en plein Paris".

Linda Amiri, la jeune universitaire, spécialiste de l’immigration algérienne en France souligne dans l’entretien accordé à notre journal : "Pour la première fois la justice française a reconnu qu’il s’agissait bien d’un massacre, cela a été une première victoire dans le combat pour la reconnaissance officielle. Par la suite de nombreuses villes en France ont souhaité commémorer l’événement par des noms de rues, des stèles (comme celle à Sarcelles), des squares (comme celui de Givors près de Lyon). Mais cela ne peut pas remplacer une reconnaissance officielle, la répression du 17 octobre 1961 a eu lieu à Paris, il fait partie de l’histoire de France. Il serait temps qu’une reconnaissance officielle se fasse, et avec elle, une indemnisation des familles des victimes." Cette reconnaissance officielle des "faits" ne suffit pas tant qu’ils sont isolés, coupés de leur genèse historique et de leurs motifs politiques. Sur ce dernier point, nombreuses sont les thèses selon lesquelles les immigrés algériens ne seraient pas sortis manifester pour réclamer l’indépendance de l’Algérie mais pour exiger la levée du couvre-feu qui nuirait à leur travail. N’accepter que ces "faits" revient à alimenter ces contre-vérités et à ne concevoir la marche du 17 Octobre 1961 que comme un "événement" épisodique.

Mais cette déclaration officielle de la France qui reconnaît les massacres du 17 octobre 61 à demi-mots semble bien réfléchie quant à sa résonnance dans la politique officielle de l’Algérie qui "fête" le cinquantenaire de ces massacres. Or, comment l’Algérie de la réconciliation nationale qui consacre l’impunité du terrorisme islamiste à l’origine du massacre de 200.000 Algériens peut-elle durcir le ton pour exiger de la France cette reconnaissance officielle ? En déroulant le tapis rouge aux bourreaux des GIA, l’Algérie aussi reconnait les "faits" de ces derniers sans leur soubassement idéologique qui portent gravement atteinte à l’indépendance du pays, à la démocratie et à la modernité. Les massacres du 8 mai 1945, ceux du 17 octobre 61 pour lesquels l’Algérie demande à la France de reconnaître le génocide sur les bancs des Nations unies ne sauraient également n’être que des faits" isolés de toute l’histoire pré et postindépendance car l’histoire ignore les périodes et un crime qui n’est pas condamné rebondit immanquablement des années après qu’il a été commis.

Comment l’Algérie qui consacre le pardon unilatéral au terrorisme islamiste et s’en sert, collusion "salvatrice", pour le maintien du régime actuel, peut-elle également, être un exemple de fermeté et d’exigence sans faille dans cette demande réitérée à la France de reconnaitre le génocide commis par elle le 8 mai 45 à Sétif et le 17 octobre 61 à Paris ? Il eût fallu, pour ce faire, ne pas condamner à mort Mohamed Gharbi, le moudjahid et le Patriote qui a pris les armes contre l’occupant en 54 et les a reprises contre "l’occupant" islamiste. L’affront qui lui a été fait porte un grave préjudice historique et éthique à ce cinquantenaire du massacre du 17 octobre, au cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie car c’est un symbole de fierté et d’honorabilité qui a été trainé dans la boue, jeté en pâture aux huées des islamistes en ce tribunal qui a prononcé sa sentence de mort ; il eût fallu éviter le massacre de plus d’une centaine de jeunes manifestants en 2001 en Kabylie ; il eût fallu que la mémoire ne retînt que le génocide colonial. Or, l’Algérie de l’amnistie des terroristes blanchis de leurs crimes et accueillis au plus haut sommet de l’Etat est totalement discréditée pour toute réclamation de réparation de crimes historiques. C’est l’indépendance même qui s’en trouve ainsi plus qu’estropiée. Certes, d’aucuns crieront au scandale : l’Algérie postcoloniale a aussi ses crimes, ses génocides. Qui demandera leur reconnaissance comme "crimes d’Etat" au-delà de ce "Je reconnais les faits" de Sarkozy et de Bouteflika ?

R. M.

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