Les désarrois d’un Président

Les désarrois d’un Président

"Je resterais là où je suis même si je reste seul, président, élu pour être président et continuerais, ainsi, à me poser, parmi d’autres, ces deux questions : Président de quoi ? Président de qui ? Questions auxquelles je ne suis pas tenu de répondre, puisque c’est moi qui suis le président qui préside, entre autres, aux questions…"

Par Nabile Farès

"Je resterais là où je suis même si je reste seul, président, élu pour être président et continuerais, ainsi, à me poser, parmi d’autres, ces deux questions : Président de quoi ? Président de qui ?"

Cette fois c’était un peu plus que de la rumeur qui parvenait dans les étages, les sous-sols, les escaliers, les salons, les garages, les commissariats de police, les rues, les gendarmeries, les préfectures, les mairies, les bureaux de poste, les restaurants, les lavabos, les baignoires, celles qui avaient servi et servaient encore, les trottoirs, les immeubles, les cours, les aéroports, les chambres d’hôtels, les halls, les poubelles, les salles de tortures, les camps d’immigrés, les sables, les cauchemars climatisés du gaz, du pétrole, qui rapportait tant d’argent à ce pays et à une telle vitesse qu’il restait invisible même si on entendait parler de ce pactole avec tous les éloges des hiérarchies financières, nationales, internationales, personnelles ou présidentielles - tout cela au pluriel - qui à chaque fois en retranchaient un petit morceau, un petit rien de quelque un ou deux ou trois ou douze, - milliards, bien entendu - c’est selon, arbitraire du moment qui servait à éblouir, à construire une sorte de mirage portatif pour élite, courtoise, vive, assermentée, obéissante, avide, insatiable, et, ce qui se disait et se maintenait avec beaucoup de tolérance était que "si les élites invisibles bien souvent qui nous gouvernent voulaient disposer du pactole qui les enrichit et nous appauvrit, grand bien leur fasse, Dieu est si grand et si tolérant – puisque, jusqu’à présent, semble-t-il, on ne pouvait leur interdire ni les empêcher d’agir de la sorte – oui, qu’elles le fassent, mais, surtout qu’elles ne nous empêchent pas de vivre, et, surtout, qu’elles ne nous enlèvent pas ce qui nous reste, non pas d’illusion, nous avons été gavés et raclés d’illusions, mais de futur ; tel est le drame que nous vivons, el mustaqbel, nous les harragi de l’inculture, de l’impudence de la hogra, nous les à peine nées, femmes et hommes confondues, certes, nés, cette fois masculin, dans le temps et sans… futur… Oui : terrible, aujourd’hui, le Sans-Futur et le Plus-Rien… El Mustaqbel, sans mustaqbel…"

Ainsi, ce qui se disait, s’entendait, ici, mais au-delà, ce qui n’était plus identifiable à de la rumeur, mais parvenait jusque dans les kiosques à journaux, en langue arabe, italienne, hébreu, berbère, classique, grande, petite, étouffée, maritime Kabylie, Aurès, merveilleux aurès, en taghifit, tamachek, tachelhit, langue française, d’autres disent francophones, en hindi, en anglais, d’autres disent anglophones, en swahili, en allemand, en russe, en perse, en irakien, en afghan, en chinois, en oïgour, en ketchoua, en Espagne, en portugais, d’autres disent lusophones, en navajo, en brésilien, pour respecter les différences, jusque dans les hôpitaux, les salles de gardes, les lieux de prières, certains disent, mais on ne sait pourquoi, les mosquées, les tapis volants, les ordinateurs qui répercutaient l’insolence, multipliaient les rendez-vous sur les places publiques, inauguraient des stittings, d’autres disent sitinges, vous vous rendez compte des sittings dans toutes ces langues que les journaux imprimaient pour faire lire, entendre ce qui parvenait jusqu’aux vitres, oreilles, bureaux, lits –plusieurs – du président et finissait par développer une joie inconnue, une liesse du coté des laissés-en-rade de la finance, finance, finance, financière du temps et du futur, une expectative visiblement teintée de colère et de ruse du côté du président.

Et si cela m’arrivait à moi ? Ici ? Un peu plus que de la rumeur ! Pas question… Mais, hélas, Monsieur le Président, comme vous ne l’ignorez pas, en ce monde, les questions suivent les questions : Président de quoi ? Président de qui ? Interrogea le président… Questions, en autres, qui venaient alimenter ce qui demeurait encore de pugnacité et d’entêtement du coté de la Présidence, Elle qui ne craignait personne, avait déjà tiré sur les harragis, des inexistantes-inexistants venus dire leur cause de vie et de futur…
El mustaqbel…

Non, contrairement, à ce qui se passait ailleurs, en un ailleurs tout proche d’ailleurs et si soudainement apparu, non, je ne me laisserais pas faire, je persisterais, oui, dans quoi ? Eh bien, mes attributions, mon rôle, ma mission, mon enrôlement, ma vocation, mon héritage, mon flair, mon savoir-faire, titres, ma triple élection, je resterais là où je suis même si je reste seul, président, élu pour être président et continuerais, ainsi, à me poser, parmi d’autres, ces deux questions : Président de quoi ? Président de qui ?

Questions auxquelles je ne suis pas tenu de répondre, puisque c’est moi qui suis le président qui préside, entre autres, aux questions…

N. F, écrivain, psychanalyste

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Commentaires (1) | Réagir ?

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Afifa Ismail

Président de quoi ? Ben Ali doit se poser la question du fin fond de sa nouvelle patrie :président de son nouveau sarcophage coulé par des décennies d'or noir, de cupidité et de bêtises ancestrales.

Président de qui ? Même pas de sa conscience usurpée par la "régente de Carthage" sans en être la victime, puisque elle est le pur produit AOC de son système ce Janus de la démocratie.