La diplomatie algérienne à l'épreuve de la crise libyenne

Bouteflika et Kadhafi.
Bouteflika et Kadhafi.

Parmi les dommages collatéraux provoqués par la crise libyenne, la diplomatie algérienne est sortie affaiblie de l'épreuve. Accusée très tôt par le Conseil national de transition (CNT) libyen d'avoir soutenu le régime de Mouammar Kadhafi avant sa chute, l'Algérie a tardé à réagir.

Et, malgré ses vigoureuses dénégations sur l'envoi supposé de mercenaires ou la fourniture d'armes, le soupçon demeure. "J'ai reçu une lettre du secrétaire général libyen de la Ligue des droits de l'homme à ce sujet et je lui ai demandé en retour des noms, des localités d'où seraient venus ces mercenaires, bref, des preuves. Dans le même temps, j'ai écrit au ministère des Affaires étrangères algérien pour lui demander l'ouverture d'une enquête, mais ni l'un ni l'autre ne m'ont répondu", soupire Mustapha Bouchachi, président de la Ligue algérienne des droits de l'homme. D'Alger, plusieurs éléments sont venus jeter le trouble.

Bouguetaya (FLN) "Que Dieu modisse la démocratie"

Le 4 mai, le ministre de l'Intérieur, Daho Ould Kablia, affirmait dans un entretien au quotidien arabophone Echorouk : "Les accusations ne sont que des purs mensonges. (...) L'histoire de l'Algérie prouve que nous avons toujours respecté les volontés des peuples sans nous ingérer dans les affaires intérieures des pays." Mais il ajoutait aussitôt : "Si les rebelles et le CNT arrivent au pouvoir, les relations entre les deux pays risquent de se tendre davantage, notamment du point de vue sécuritaire." Quelques jours plus tard, un membre du comité central du Front de libération nationale (FLN) figurait parmi les participants d'un rassemblement de tribus libyennes, à Tripoli, autour du colonel Kadhafi. Dépêché sur place par le secrétaire général du FLN, Abdelaziz Belkhadem, le député Sadek Bouguetaya avait eu alors cette phrase terrible, captée par des caméras de télévision : "Que Dieu maudisse la démocratie."

Dernier épisode en date au chapitre des tensions : l'accueil sur le territoire algérien, le 29 août, d'une partie de la famille du colonel Kadhafi, sa deuxième épouse Safia, sa fille Aïcha, qui aurait accouché en Algérie, et deux de ses fils, Mohamed et Hannibal. Alger a pris soin d'avertir les Nations unies et les principaux ambassadeurs occidentaux, justifiant sa décision pour des raisons "strictement humanitaires". "Sans cela, il n'est pas sûr que ces personnes seraient toujours en vie", lançait, le 11 septembre, le ministre des Affaires étrangères algérien, Mourad Medelci, devant des journalistes.

"A 8 h 45, la famille de Kadhafi est arrivée, à midi, la frontière était fermée", affirme un autre membre du gouvernement algérien qui ne désire pas être cité. "Nous sommes en train de consommer 2,5 fois notre quantité habituelle de sucre et de semoule, ajoute ce dernier. Nous savons très bien que cela va frauduleusement vers la Tunisie et la Libye, mais nous fermons les yeux." Façon de dire que l'Algérie aurait ainsi aidé le peuple "frère" libyen, sans distinction, et sur un tout autre terrain que celui des armes.

"Vacheries" entre "frères"

Il est vrai, aussi, que les relations entre Alger et Tripoli n'ont jamais été placées sous le signe d'une entente cordiale mais plutôt sous celui du rapport de force, entre puissances régionales. Dès l'arrivée au pouvoir du Guide libyen, en 1969, Alger s'est inquiété de ses ambitions affichées et de son panarabisme. Les tentatives d'alliance du colonel Kadhafi avec la Tunisie, vécues comme autant de gestes hostiles, et surtout le traité d'Oujda signé avec le Maroc le 13 août 1984, ont suscité bien des crispations et des négociations en coulisses. Deux ans après, le traité d'Oujda est tombé dans les oubliettes. Mais les "vacheries" entre "frères", pour reprendre l'expression d'un ministre algérien, n'ont pas cessé, contenues par un intérêt bien partagé à contrer l'influence des islamistes. Dans ce domaine, la collaboration a été active et les deux pays ont échangé des prisonniers, ce qui explique aujourd'hui la nervosité d'Alger.

En 2004, Tripoli avait ainsi livré aux autorités algériennes Amari Saïfi, plus connu sous le nom d'Abderrazak El Para. Devenu l'un des émirs du Groupe islamique armé (GIA) puis du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), avant que ce dernier ne prenne le label Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), cet ancien officier algérien avait été arrêté au Tchad. Mais c'est avec la Libye qu'Alger a traité pour le récupérer...

Obnubilé par la question sécuritaire, bousculé lui-même par des mouvements de protestation sociale, le régime algérien a néanmoins commis une erreur de stratégie monumentale en pensant, dans son propre intérêt, que le régime de Kadhafi résisterait beaucoup plus. Il se trouve aujourd'hui contraint et forcé d'adapter sa diplomatie. "C'est notre voisin, on ne va pas déménager", s'agaçait le ministre algérien des Affaires maghrébines et africaines, Abdelkader Messahel, en marge de la conférence sur la sécurité au Sahel organisée à Alger début septembre. M. Medelci s'est ainsi rendu à la conférence des "amis de la Libye" à Paris, et les contacts avec le CNT se sont développés. Mais à reculons, et l'épisode risque de laisser des traces, inquiétantes pour l'avenir.

Isabelle Mandraud

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Commentaires (1) | Réagir ?

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amazigh zouvaligh

Regardez-les, observez-les, les deux, la main dans la main le despote libyen et son compère algérien, on dirait deux gourous d'une secte primitive. Ils sont fiers d'eux mêmes, Ne dit on pas qui s'assemblent se ressemblent. C'est du carnaval fi dachra. Quelle honte, ils sont sans scrupules, sans pudeur, à leur âge, au lieu d'essayer de tout faire pour instaurer un régime démocratique, et corriger leurs erreurs d'antan afin de se racheter vis à vis de leurs compatriotes, ils s'accrochent au pouvoir en titubant, ils ont peur de perdre leurs fauteuils souillés par le despotisme. Heureusement que le guignol libyen est déjà dans la poubelle de l'histoire, et bientôt le tour de son compère algérien!