Algérie, pourquoi ? Comment on en est là ?

Algérie, pourquoi ? Comment on en est là ?

Au moins quatre grandes forces émergent actuellement dans le paysage politique Algérien et qui prônent le changement, chacune à sa manière.

Le pouvoir en place sous la conduite de Abdelaziz Bouteflika, après avoir assumé publiquement son échec sur plusieurs volets, il s’est rendu compte que tous ces programmes naviguent à vue depuis prés de 20 ans sans objectifs stratégiques précis. Selon ses propres mots dans un de ses discours, le président dit "Si on ne fait rien aujourd’hui qu’allons-nous laisser pour les générations futures ?" Est-ce par acquis de conscience ou les conséquences de sa maladie mais le président a enfin compris que notre économie est vulnérable par sa forte dépendance des hydrocarbures. Cette situation est devenue un vrai casse tête pour nos dirigeants. Il faut préciser qu’il suffit d’un petit embargo sur notre exportation en pétrole et gaz pour qu’on soit à terre.

Que faire ?

Le président en personne, s’appuyant sur une idée ancienne liée avec la symbolique des années 70, lorsqu’il était membre du conseil de la révolution, a développé une vision selon laquelle rien ne peut être entrepris sans une forte adhésion populaire. L’Algérie étant un pays à forte proportion de jeunes, il devient donc un système énergique intéressant à exploiter. Seulement l’entropie de ce système est élevée. Ces éléments sont désordonnés et agissent à l’encontre de l’intérêt général. Il pense que si on arrive à canaliser ces énormes potentialités enérgitiques humaines dans le sens des objectifs de l’Etat, on arrivera à décoller pour sortir de cette phase de transition interminable.

Comment ? Selon lui, il suffit de développer des canaux de communication qui favoriseraient non seulement le dialogue social mais pourrait redynamiser les forces en panne et, ceci à tous les niveaux de la hiérarchie. C’est la raison pour laquelle, il a chargé en 2009 un ancien vice président de Sonatrach pour mettre en œuvre, suivre et évaluer un vaste Programme de management de la convergence (PMC). Ce programme devait toucher l’ensemble des institutions pour leur apprendre à voir les choses positivement : Au lieu de dire qu’une bouteille est à moitié vide, il faudrait commencer par constater qu’elle est à moitié pleine. En clair, la jeune génération doit abandonner la fatalité, la frustration et présenter des dispositions motivationnelles pour devenir plus créative et entreprenante. Désormais, ce programme n’a même pas pu faire un pas vers le bas. Certainement, les difficultés rencontrées au sommet ont entravé sa mise en œuvre effective. Si ces obstacles se confirment, cela voudra dire qu’il n’existe aucune force au pouvoir en place, capable de conduire le changement par le haut et ceux qui sont censés le faire sont eux même soit frustrés soit occupés dans leur petites parfois grandes affaires personnelles. En définitif, Bouteflika applaudit avec une seule main, autant tout leur abandonner. C’est ce qu’il a fait en se rabattant sur des brides réformes.

La 2ème force vise le même objectif que la première mais diffère dans la marche à suivre pour aboutir au changement effectif. Pour cette approche, le changement ne peut venir que du système lui-même et il ne peut être ni conduit ni provoqué par le sommet. Le système une fois mûri, attendra un élément déclencheur généré par lui-même et se dirigera vers le changement souhaité. Les événements de janvier 2011 auraient pu l’être mais les conditions de mûrissement n’étaient pas réunies.

Il s’agit des forces traditionnelles qui s’accommodent au système actuel dans lequel elles trouvent leur compte. A chaque fois que l’ordre établi est perturbé, elles appellent au complot extérieur en prenant la population comme bouclier pour faire durer le système et défendre leurs acquis au nom de l’unité nationale, le sang des martyrs. Le remake du Comité nationale pour la sauvegarde de l’Algérie (CNSA) est édifiant.

Celle de la nouvelle génération qui a réussi à voyager à travers le monde voire même y vivre et goûter aux bienfaits de la démocratie à l’occidental. Ils se disent «ça change ailleurs, pourquoi pas chez nous ?» un peu par mimétisme mais ceci reste légitime sauf que les réseaux sociaux utilisés dans le cas de l’Algérie restent filtrables et donc peu crédibles. Il faut souligner par ailleurs que dans une société comme la Tunisie, l’Egypte et bien d’autres, ils ont montré leur efficacité.

Toute ces quatre types de force ont un point commun ; celui de faire appel à la volonté et à l’énergie des citoyens Algériens. Il se trouve qu’elles se leurrent car cette population est lessivée, fortement frustrée, démunie, dépossédée, désavantagée, spoliée, lésée, dépouillée jusqu’à devenir apathique. Pourquoi ? L’échec successif de toutes les actions entreprises par la série des gouvernements depuis l’indépendance de l’Algérie s’explique par le fait qu’on esquive cette question parce que primordiale et inévitable.

Dans cette contribution, nous tenterons de présenter quelques éléments de réponse. Nous posons pour cela deux hypothèses :

On ne peut pas faire un grand pas en avant si on prend pas son élan en reculant en arrière .En termes plus clairs,on ne peut pas avancer si on explique pas la nouvelle stratification sociale qui forme la société Algérienne. On a dormi tous dans une même chambre mais en se réveillant, on découvre certains dans des châteaux, d’autres dans des superbes villas et la majorité dans des taudis. Qu’est-ce qui s’est réellement passé ? et pourquoi ?

Cette frustration dont il est question, se transmet d’une génération à une autre. Les générations des années 1970, 1980, 1990 sont celles là même qui forment la proportion jeune de la société, elles ont assisté aux efforts énormes entrepris par leurs parents pour les éduquer. Elles assistent en direct aux injustices dans leurs écoles, débouchés, travail et surtout dans leur vie en société (hogra, dérives administratives, corruption, chômage et tous les dysfonctionnements sociaux qu’il est inutile de rappeler ici). Donc, partir du principe que ces générations sont blanches comme neige et déconnectées de l’histoire du développement du système socio-économique de l’Algérie serait se leurrer une autre fois. Pour étayer ces hypothèses, nous passerons en revue période par période les différentes phases de ce développement

Période 1962 à 1965

Cette période a été caractérisée par le départ massif des colons et la vacance des moyens de production. On l’avait baptisé, période de réorganisation de l’économie nationale. Pour passer cette étape, la population Algérienne a dû consentir d’énormes efforts jusqu’à mettre leur économie voire même leur bijoux de famille dans une caisse dite de solidarité pour permettre au rouage économique de tourner.

- Qui en a profité ?

- Que devient cette caisse de solidarité ?

Aucune réponse n’a pu être donnée d’où une première frustration mais la population a gardé espoir imputant cela à une crise de démarrage logique.

Période 1965 à 1978

Elle est apparue avec une idée fortement mobilisatrice. L’initiateur balaie tout et disait "Vous avez réussi à obtenir votre indépendance politique, il vous faut maintenant une autre bataille pour celle économique". La population est séduite par ce discours qui parait à priori logique. Elle serre la ceinture, retrousse ses manches et entame un combat qui s’est avérée après presque deux décennies vain. Donc, elle subira une deuxième frustration et pas des moindres mais il lui reste quand même un peu d’énergie.

Période 1978 à 1988

Des technocrates s’emparent du pouvoir pour dire d’une manière très succincte : «tout ce qui a été fait jusqu’à la fin des années 70 relève de l’erreur, car il a été assigné aux principaux instruments économiques des objectifs politiques ceci est antinomique avec la rentabilité» Une restructuration organique et financière toute azimute s’est opérée pour en définitive mettre à terre toutes les potentialités économiques pour rendre encore une fois vains tous les efforts entrepris. C’est durant cette période que s’est instauré le partage de la rente pétrolière et l’apparition de nouveaux riches et des dysfonctionnements sociaux pour la première fois en Algérie. L’éclatement d’octobre 88, n’est que cette goutte qui a fait déborder le vase de la 3ème frustration.

Période 1988 à ce jour

On empruntera un raccourci pour dire : conflits sociaux, dislocation de la société, transition politique et économique, désengagement lâche de l’Etat vis-à-vis du citoyen et des acquis économiques, fort développement des dysfonctionnements sociaux (gabegie, terrorisme, corruption etc.) qui n’ont fait que renforcer les inégalités et la misère sociales.

Cette situation extrêmement résumée a fait que l’appareil économique est resté à terre et n’arrive même pas à décoller. La population qui devrait contribuer à pousser cet appareil est à elle-même à terre. Elle vient de subir une quatrième frustration fatale et qui a cette fois ci paralysé ses membres. Globalement le système pédale à vide et ne génère aucun travail productif que de la parlotte.

Résultat ? Forte dépendance de l’économie nationale de l’extérieur. Toutes les richesses en milliards de dollars dont se gargarisent les dirigeants en place ne sont que le résultat de l’augmentation du prix du baril de pétrole. La croissance économique en Algérie est du type extensif et ne s’appuie sur aucune créativité ou effort humain.

Le champ politique est verrouillé et monopolisé par un seul parti puisque les autres membres de la coalition ne sont que des satellites. Le RND et le MSP sont des tendances de l’ancien FLN. En fait il n’y a aucun changement à ce niveau depuis 1962.

La misère progresse et s’installe et fait grossir les couches défavorisées. La population qui la compose sent l’odeur mais ne voie pas venir la viande. Plus de 170 milliards de $ et autant de réserves en or mais très peu en bénéficie. Les artifices de la débrouillardise règnent à travers l’informel et la politique de tag al men tag s’instaure.

Il faut souligner qu’Ibn Kheldoun avait constaté que, historiquement, toutes les révolutions ont été menées par les jeunes, ceci est vérifié à travers la révolution Bolchevique, celle de mai 68 en France, le printemps de Prague, etc. Donc cette quatrième force n’est pas à négliger mais elle se monte doucement.

Rabah Reghis, consultant chercheur

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