"Nous sommes au début d’un plan de transformation de l’Algérie en un Pakistan de la région"

Abdelaziz Rahabi, ancien diplomate et ministre en 1999 analyse, dans cet entretien donné au quotidien El Watan, les développements auquels sera soumis le monde musulman en général.
Dix ans après les attentats contre le World Trade Center de New York, comment le 11 septembre 2001 a changé les rapports internationaux, notamment entre l’Occident et le monde musulman ?
L’intrusion d’acteurs non étatiques dans les relations internationales a été probablement le fait le plus marquant le 11 septembre, en dehors du fait qu’ils ont apporté la démonstration de la vulnérabilité des Etats dès qu’ils sont en face de forces non conventionnelles. Ils ont provoqué également une exacerbation du sentiment islamophobe dans les sociétés occidentales qui connaissent très peu notre religion et la rendent responsable de l’usage violent qu’on en fait. L’Administration américaine a, pour sa part, pris conscience de la complexité du monde musulman et mesuré que le degré d’anti-américanisme est essentiellement dû au soutien permanent et inconditionnel des Occidentaux à l’arrogance d’Israël et aux régimes arabes. On ne peut pas valablement défendre des valeurs démocratiques chez soi et soutenir, ailleurs, des despotes sous prétexte qu’ils sont pro-occidentaux ou modérés vis-à-vis d’Israël.
L’arrivée de Barak Obama à la Maison-Blanche a-t-elle changé la doctrine guerrière de son prédécesseur ?
Il était urgent pour elle de le faire pour conserver ses intérêts de puissance mondiale, car la Chine et l’Europe représentent une menace pour son économie et sa place, notamment, au Moyen-Orient. Obama a dû aussi prendre des initiatives destinées à atténuer le sentiment anti-américain dans le monde arabo-musulman. Ses discours du Caire et du Ghana, il y a deux ans, ont identifié courageusement les causes des tensions en Afrique et dans le monde arabe : corruption, pouvoir personnel, absence de contrôle sur les richesses publiques, restrictions des libertés privées et publiques. Ces conditions nourrissent les archaïsmes sociopolitiques qui alimentent l’intégrisme armé. L’on a tort de sous-estimer l’impact de la démarche d’Obama dans le réveil arabe.
Justement, quel a été l’impact de ces attaques sur l’Algérie ?
Il a été déterminant dans l’accélération de la fin de notre isolement diplomatique, dans la mesure où ces attaques ont rendu obsolètes les thèses occidentales sur la nature du terrorisme en Algérie, que l’on présentait comme un phénomène interne de lutte pour le pouvoir. Elles ont donné crédit aux thèses algériennes sur la nature transfrontalière du terrorisme et sur l’absence de justification ou de motivation religieuse légale à la violence terroriste. Ce qu’on a appelé pompeusement, ces dernières années, le retour de l’Algérie sur la scène internationale n’est, en fait, que le bénéfice de la consécration de la doctrine algérienne des années 1990 sur le terrorisme international.
Le 11 septembre intervient au moment où, sur le plan local, les rapports entre le président Bouteflika et les militaires sont très tendus. Comment les attentats ont-ils pesé dans cette lutte et au profit de quelle partie ?
Nos dirigeants, comme du reste ceux du monde arabe, mettent leur énergie à construire leur pouvoir au lieu de celui de l’Etat de droit, et cette perversion est entretenue chez nous avec force depuis la guerre de libération. Ainsi, Bouteflika devait penser, comme les Occidentaux dans les années 1990, que le terrorisme en Algérie avait une dimension purement locale et était d’essence sociopolitique. Il s’est résolu, progressivement, à en admettre la complexité ; alors pour préserver son régime, il n’avait pas d’autre choix que de reconstruire la cohésion du haut commandement militaire. Le reste a été fait par l’engagement occidental dans la lutte contre le terrorisme international, la persistance de la violence terroriste en Algérie et la démobilisation sociale ont replacé l’armée au point où le Président l’avait trouvée en 1999.
Comment s’est fait le rapprochement entre Washington et Alger pour la lutte antiterroriste ?
Je ne partage pas l’optimisme des diplomates et des militaires algériens sur cette question et j’aurais privilégié des relations qui ne soient pas portées uniquement par le commerce et la lutte antiterroriste. Présenter l’Algérie comme un acteur de premier plan flatte l’ego des dirigeants, leur assure des sympathies en Occident, mais expose le pays à de graves menaces. Les puissances occidentales se désengagent progressivement de l’Afghanistan et d’Irak et le terrorisme international s’installe durablement à nos frontières sud dans une région où les Etats sont faibles. On nous confie une mission qui vise à faire de l’Algérie une zone-tampon entre le Nord prospère et le Sud instable, une sorte de fusible qui saute à la première tension. Nous sommes en train d’en subir les conséquences avec la crise libyenne. Et nous ne sommes qu’au début d’un plan de transformation de l’Algérie en un Pakistan de la région.
Les révolutions démocratiques en marche dans le monde arabe vont-elles remodeler les rapports entre l’Orient et l’Occident ?
Le réveil arabe s’est articulé autour des revendications de liberté, de justice et de dignité, cette convergence n’est donc pas spontanée, mais le fruit d’un long processus de maturation et d’une accumulation des frustrations. C’est pour cela qu’il a pu transcender les clivages idéologiques et surprendre même les puissances occidentales, qui ne manquent pourtant pas d’alliés dans la région. Si nous observons les révoltes en Tunisie et en Egypte, nous relevons qu’elles sont porteuses de nouvelles exigences dans les rapports avec les Etats-Unis et l’Europe qui doivent apprendre à traiter avec des pouvoirs issus des urnes, des institutions et des société civiles au lieu et place des réseaux d’influence et de corruption.
Le monde occidental a défendu, jusque-là, exclusivement, ses intérêts commerciaux et sa sécurité, il faudra qu’il fasse valoir, également, ses principes de liberté et de justice. Tout ne sera pas facile, la question palestinienne restera au centre du ressentiment du monde arabe et musulman vis-à-vis de l’Occident et son alignement sur Israël, un motif de la persistance de la radicalisation des Etats et des opinions publiques. La nouvelle Turquie en est une parfaite illustration.
Commentaires (5) | Réagir ?
Nos politiciens ne deviennent lucides qu'en quittant le pouvoir. Bizarre tout de même... !!
Tant pis ! Au moins le clan d'Oujda n'existera plus, il s'effacera de la carte.