Abdelaziz Rahabi : "L’autorité de décision en Algérie a fait preuve d’amateurisme affligeant sur la Libye"

Abdelaziz Rahabi.
Abdelaziz Rahabi.

Diplomate et ancien ministre de la culture, Abdelaziz Rahabi revient dans cet entretien accordé au site internet toutsurlalgerie sur les enjeux inhérents à la chute de Kadhafi. Il évoque les ratés de la diplomatie algérienne et ses conséquences sur le futur de la région du Maghreb.

Quelle analyse faites-vous des derniers développements de la situation en Libye ?

Ce qui se passe en Libye est à mon sens un aboutissement logique de deux situations. La première est celle de Kadhafi qui n’a pas su gérer une crise politique interne parce qu’il n’est pas habitué à écouter et à faire des compromis avec son propre peuple. La seconde est celle du monde occidental et de ses alliés arabes qui se sont engagés pleinement dans une opération diplomatico-militaire qui met en place les conditions de leur autorité politique et économique sur notre région.

L’Algérie a dès le début du conflit refusé de demander le départ de Kadhafi et de reconnaître le CNT. Qu’est-ce qui a motivé cette position, selon vous ?

L’Algérie a fait au moins deux erreurs d’évaluation. La première était celle de considérer que Kadhafi était en mesure de résister sur le plan militaire et que l’intervention de l’Otan allait susciter un rejet des opinions publiques arabes. La seconde est qu’elle a fait preuve de fébrilité à la suite des déclarations de membres du CNT sur son supposé soutien militaire et politique à Kadhafi. Sur cette question, le CNT a fait le jeu de la France et du Maroc pour neutraliser notre diplomatie, la confiner dans une position défensive et exclure l’Algérie de la gestion de cette crise. L’autorité de décision en Algérie a fait preuve d’un amateurisme affligeant.

Comment peut-on interpréter la décision tunisienne de reconnaître le CNT, contre l’avis d’Alger ?

La Tunisie a fait preuve de pragmatisme dès le début dans la mesure où elle avait déjà établi des contacts avec le CNT pour consolider ses chances de médiations entre les deux parties. Nous sommes là dans un cas atypique de relations entre deux pouvoirs en pleine transitions, un peu comme entre l’Espagne et le Portugal dans les années 70. Les convergences entre les islamistes et les démocrates des deux pays ne sont pas récentes, elles remontent aux longues années d’exil. Il sera donc plus aisé pour les Tunisiens que pour nous d’envisager l’avenir des relations avec la nouvelle Libye.

Nous partageons une longue frontière aux multiples enjeux (traçage, eau, hydrocarbures, sécurité,…) avec le voisin libyen. Comment voyez-vous l’évolution des rapports entre les deux capitales à la lumière du froid entre Alger et le CNT ?

Le CNT lui-même n’est pas un modèle de cohésion, son unité s’est forgée autour d’un seul objectif, celui de faire partir Kadhafi. Il faut peut-être attendre la fin du processus de transition qui prendra plus d’un an, pour avoir une idée plus claire de la prochaine configuration des forces politique dominantes en Libye, même si on devine un peu que le courant islamiste est dominant, celui de l’opposition démocratique en exil n’a pas de relais sociaux et les dissidents de l’ancien régime auront du mal à se redéployer. Avec ces nouvelles forces politiques, l’Algérie n’a presque pas de relations. Bouteflika s’est enfermé dans un tête à tête avec Kadhafi dont nous payons le prix aujourd’hui. Le peuple libyen nous en voudra pour encore longtemps. La mémoire des peuples est indélébile.

Quelle sera alors la nouvelle position de l’Algérie dans un Maghreb démocratique ?

L’Algérie officielle a gâché une chance historique d’être un Etat pivot dans la nouvelle architecture du Maghreb. Elle n’a pas soutenu la révolte des Tunisiens, n’a pas mesuré la force de la rue en Egypte et n’a pas tendu la main au CNT. Il faudra attendre que notre pays change et se démocratise pour prétendre jouer un quelconque rôle dans la région. En attendant, nous avons beaucoup à apprendre des différentes expériences du réveil arabe.

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Commentaires (5) | Réagir ?

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madjid ait

Vous savez, l'Etat algérien tel que représenté actuellement n'a aucune envie d’applaudir les démocraties naissantes; mais au moins le peuple libyen doit savoir que le peuple algérien dans sa majorité soutient et soutiendra la Libye moderne qui naitra de cette résistance qui a fait avaler de la m.... à ce tyran psychopathe de Kedhafi. Quant à Bouteflika et sa diplomatie, on s'en lave les mains, c'est ça le plus important, et il le sait très bien, car ils ne représentent pas les Algériens, mais malheureusement il représente l'Algérie.

L'internet est un outils, les forums sociaux ont fait chuter bien des régimes, à nous de faire savoir aux Libyens qui sommes nous et que nous les avons toujours soutenus.

la diplomatie des nains de jardins, c'est ça la diplomatie du soit disant plus jeune ministre des affaires étrangères au monde. toz et re toz

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arezki maouche

Voilà donc encore des erreurs d'analyse, d'appréciation et de position de nos gouvernements dont les conséquences seront payées par les peuples. Il y aura trés certainement une longue période de trouble dans nos relations avec la Tunisie, l'Egypte, et maintenant encore la Libye. Avec la Maroc les choses sont déjà entendues. Nous sommes isolés dans la Maghreb et bien sûr vis à vis de l'Europe, tout cela pour l'inconséquence le mépris que nous avons toujours affiché contre toute forme de critique. Rappelez vous la tirade de Belkhadem : "avant que le CNT ne parle de l'Algérie, il lui faut faire ses ablutions". Qu'en penser sinon que diplomate qu'il fut on se demande à quelle école il a été. Pire, envoyer en pleine effervescence le sieur Bouguetaya a apporté le soutien du FLN à Kadhafi et ses tribus qui lui faisaient encore allégence, est une opération kamikaze dont les calculs n'ont pas été précis, sauf que Belkhadem et ses pairs ne peuvent pas croire à ce que peuvent réaliser des peuples en révolte, malgré les antécédents de Tunis et du Caire encore frais dans les mémoires. Le Président Bouteflika est bien le président du FLN et par voie de conséquence le soutien du FLN est un soutien du président, représentant du peuple. Ce genre d'erreurs ne doivent pas être permises ni pardonnées parce que engageant l'avenir des peuples, de nations, de régions.

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