Les grandes manœuvres de Belkhadem pour un retour à la glaciation... par Ghania Hammadou

Belkhadem a sonné le rappel de ses satellites − grands ou petits partis de l’alliance présidentielle dont certains font la forte tête, organisations « de masse » fossilisées, ranimées pour la circonstance, appareils syndicaux coupés de leur base mais prêts au combat tels de bons petits soldats, enfin toute la clientèle sociale et politique du pouvoir − et lancé l’ordre de déployer les grandes manœuvres en faveur d'un troisième mandat pour Abdelaziz Bouteflika. Peu lui importe que la Constitution en vigueur depuis 1989 n’en permet que deux : il s’agit en premier lieu de créer un maximum de battage médiatique autour de la personne du président, par tous les moyens − appels, déclarations, manifestations complaisamment amplifiées par des médias publics détournés de leurs missions− et autres gesticulations. Objectif immédiat ? Accréditer auprès de l’opinion internationale l’idée que M. Bouteflika est l’homme que le peuple algérien veut absolument maintenir à la tête de l’Etat et donner le sentiment au futur candidat lui-même, un homme taraudé par la mégalomanie et dont le déficit de légitimité s’amplifie au fil des scrutins électoraux, qu’il est le sauveur providentiel réclamé à corps et à cris par le pays profond et qu’il ne ferait, en concourrant pour un troisième mandat, que répondre à une sollicitation nationale. Le moment idéal pour lancer l’opération est tout trouvé : ce sera la visite du président Sarkozy… L’aveu est tombé hier, de la bouche même du chef du FLN. (lire article in le Soir d'Algérie).

Alors que Belkhadem « chauffe le bendir » aux histrions et bouffons chargés de jouer sa partition, des scribes servent la soupe à Bouteflika, car c’est bien de lui qu’il s’agit, avec une obséquiosité qui hisse la flagornerie au sommet de l’art. L’antique quotidien El Moudjahid, dont la mission consacrée est de relayer le discours du pouvoir, détaille parfaitement les séquences de ce plan. Morceaux d’anthologie que cet éditorial, non signé, publié le 7 décembre dans ses colonnes, sous le titre édifiant : « L’appel de l’Algérie profonde à son Président » et qui nous annonce que « ces appels (…) prendront vraisemblablement plus d’ampleur sur l’ensemble du territoire national à mesure que l’on se rapproche de l’échéance de l’actuel mandat présidentiel ». Nous voilà prévenus ! Pour le moment, explique le scribe anonyme, Bouteflika n’aura rien d’autre à faire qu’à entretenir le suspens, en observant le silence sur sa candidature, car, poursuit-il, « il faut que la Constitution soit amendée, comme cela se fait dans toutes les démocraties les plus anciennes… » S’ensuit une énumération dithyrambique des réalisations présidentielles. Quant aux amendements envisagés, l’auteur n’en dit pas grand-chose, sinon qu’ils vont mettre le texte constitutionnel en adéquation avec… les « exigences de l’époque ».
Que s’est-t-il donc passé pour que soudain la constitution algérienne, conquête des émeutes de 1988, qui consacre la fin du système de parti unique, instaure le multipartisme, déverrouille la vie politique, pose les règles de l’alternance, pour que cette loi fondamentale plébiscitée par tout un peuple s’avère subitement inadaptée aux « exigences de l’époque » ? Et quelles sont ces exigences ? Qu’ y a-t-il donc qui soit « dépassé » en elle et qu’il faut d’urgence expurger ?
A l’évidence, la seule « exigence nouvelle », au nom de laquelle se prépare le coup de force contre la loi suprême du pays, est le troisième mandat présidentiel convoité par Bouteflika ! La Constitution de 89 n’est certes pas parfaite, mais elle reste un texte moderne inspiré en grande partie des lois fondamentales des démocraties libérales. Celles-ci ont fait de l’alternance politique un principe protégé par un ensemble de garde-fous, la limitation des mandatures en est un, qui empêche qu’un individu puisse capter le pouvoir politique indéfiniment. Les mandats illimités pour la fonction présidentielle étant assimilés, à juste titre, à une forme de confiscation du pouvoir, il est rare de trouver des Etats démocratiques qui appliquent cette règle.
Aujourd’hui, les grandes manœuvres déployées par Belkhadem autour de la Constitution risquent de replonger l’Algérie dans la glaciation des années FLN. Le projet de faire sauter les verrous constitutionnels, en fait l’article 74 de la Constitution - soit par voie référendaire (quoique cette option s’avère risquée, compte tenu de la désaffection des Algériens pour les urnes), soit par convocation du Parlement en congrès -, pour satisfaire les ambitions politiques personnelles de Bouteflika, signifie la remise en cause du principe d’alternance introduit en 1989 par le législateur en rupture avec les règles du monopartisme en vigueur jusque-là. Il constituera, s’il venait à être finalisé, une régression démocratique pour le pays − encore une !

Nous devons empêcher que cela se produise.

Ghania Hammadou

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Commentaires (27) | Réagir ?

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Ahcene Berdous

Madame Hammadou est à remercier pour son analyse pertinente et très pointue. A signaler toutefois, que celle-ci (l'analyse) ne va pas au fond du problème. Je comprends egalement que la marge de manoeuvre dont dispose Madame Hammadou est très réduite (vu l'epée de Damoclès qui pend au dessus de la tete de nos journalistes) Mais il convient tout de meme de ne pas affubler monsieur Belkhadem de qualités dont il ne dispose pas. Pour manoeuvrer, il faut d'abord etre autonome dans sa prise de décision (ce que monsieur Belkhadem lui meme ne peut esperer) Bref, disons plutot qu'il a été activé, comme on le fait habituellement avec un robot de cuisine ou tout autre robot. "La vérité est ailleurs" comme dirait l'autre. Merci.

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Ahcene Berdous

Salut Bellouga!

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