Carnet de voyage en Libye : du 10 au 15 juin

Carnet de voyage en Libye : du 10 au 15 juin

Nous avons reçu cette contribution émanant du collectif communiste Polex. Même si nous n'adhérons pas aux idées défendues par ce groupe, nous nous disons qu'il est toujours essentiel de faire entendre une autre voix que celles communément véhiculées par la presse internationale. Cela étant dit, nous demeurons convaincus que le peuple libyen doit désormais prendre en charge sa destinée et qu'il est temps que le clan des Kadhafi qui a privatisé le pouvoir depuis 40 ans laisse la place à une véritable transition pour la construction d'un véritable système démocratique en Libye.

Je suis parti précipitamment pour Tripoli le vendredi 10 juin, ayant reçu la veille l’invitation de l’Association des avocats et juristes de la méditerranée à participer à la conférence organisée en Libye les 12 et le 13 juin 2011. Il s’agissait de la célébration du 41ème anniversaire de la Grande Chartre verte des droits de l’homme de l’ère jamahiriyenne, organisée par le Secrétariat des Affaires légales et des droits de l’homme du Congrès général du peuple [libyen]. Notre groupe comprenait des amis français proches ou engagés dans la Commission d’enquête non gouvernementale pour la vérité en Libye, des camarades du Parti communiste de Grande Bretagne marxiste-léniniste, des camarades belges d’Investig’Action, d’Intal, membres ou proches du Parti du travail de Belgique…. nous allions rejoindre à Tunis la délégation de juristes des pays arabes.

Mon arrivé à Tunis – c’était ma première visite - me rappela la Grèce [..].La nuit tombait et les craintes d’être pris pour cibles par l’aviation «alliée» montaient. Finalement nous sommes arrivés à la frontière libyenne. Je commençais à croire qu’on n’arriverait jamais.

À ce poste frontière, au début de l’agression contre la Libye, 270.000 réfugiés pris de peur, avaient traversé, alors que normalement un millier de voyageurs y transitait. Dans les camps restaient quelques 60.000 réfugiés attendant l’arrêt des hostilités pour retourner travailler en Libye. Dans le Sud près de Tataouine existait un camp de 40.000 réfugiés pro-rebelles.

De l’autre côté de la frontière nous avons été accueillis dans le salon d’honneur. [..]. Un dignitaire libyen est venu nous saluer et nous souhaiter la bienvenue en Libye.

Puis, minuit passé, à une ou deux heures du matin – c’était maintenant dimanche 12 juin –, nous sommes repartis. [..] Un véhicule nous précédait tout le long du voyage. Les barrages étaient fréquents, efficaces, mais sans nervosité. [..] . Installés à l’hôtel Bab el Bahr (la Porte de la mer) [..] Diverses délégations, ministres, officiels, certains en tenues traditionnelles, d’autres vêtus à l’européenne s’affairaient aux salons du rez-de-chaussée. [..].

Pour la première séance nous avons été conduits dans la salle de conférences nous avons été placés au premier rang. Puis à un moment on m’a demandé de prendre place sur l’estrade, me présentant comme le délégué d’une organisation humanitaire australienne. Je n’ai rien pu dire sur le moment. Je n’étais même pas préparé pour une intervention surtout devant plus de 500 personnes, dont divers dignitaires gouvernementaux, religieux, chefs de tributs, universitaires, syndicalistes et une cinquantaine d’étudiants en droit avec leur robes noires …. Je n’arrivais même pas à atteindre mon bloc-note laissé là où j’étais assis. Je me suis rabattu sur une serviette en papier pour inscrire quelques notes en préparation du discours que j’allais faire.

Il y a eu d’abord l’hymne national joué par la fanfare de l’armée sur le parterre juste devant moi – quelques notes auraient pu être mieux traitées –, suivi par le chant d’un jeune muézine. Puis ont parlé: le Coordinateur général des affaires sociales (ministre de la Culture), des dignitaires et chefs tribus, les représentants des syndicats des professions juridiques et du Secrétariat du Congrès du peuple.

Le chef militaire des tribus nous a informés que parmi les jeunes rebelles faits prisonniers, quelques 600 d’entre eux avaient été libérés et que les autres le seraient rapidement aussi, à condition qu’ils n’aient pas commis de crimes. Puis est venu mon tour. J’étais assisté par un excellent traducteur en français, en anglais et je n’en doute pas en arabe. J’avais décidé de faire mon intervention en français, seulement comme il parlait en anglais j’ai eu une ou deux fois tendance à reprendre aussi mon intervention en anglais mais on a fini par s’en sortir.

J’ai tout d’abord dit que j’étais bien de nationalité australienne, mais que j’étais basé en France et que c’était à partir de là que je militais. Je leur ai dit aussi que j’étais né en Égypte parmi le peuple arabe et que de ce fait j’étais particulièrement touché par la situation tragique qu’ils vivaient. Je leur ai exprimé mon hommage à leurs martyrs. Je leur ai dit que je représentais l’IAPSCC (International Anti-impérialist Peoples’ Solidarity Coordinating Committee - Comité international de coordination anti-impérialiste et de solidarité avec les peuples) dont j’étais membre du secrétariat, et que j’étais aussi le directeur de publication des Dossiers du BIP. Mon rôle consistait à informer le public français et œuvrer contre la guerre qui leur était faite. Je les ai encouragés dans leur résistance contre les agresseurs impérialistes, à tenir bon parce qu’ils défendaient non seulement leur souveraineté nationale mais aussi celle des autres peuples. Avant l’agression contre la Libye il y a eu celles d’Irak, d’Afghanistan, de Yougoslavie… et après eux viendrait le tour de l’Algérie, de la Tunisie…. leur détermination et leur courage à défendre leur patrie était essentiel pour nous tous. J’ai félicité le gouvernement libyen d’avoir armé la population pour défendre le pays. Je leur ai dit aussi que les institutions internationales (les Nations Unies…) avaient perdu toute leur crédibilité et qu’il ne fallait rien attendre d’eux. Je leur ai dit également qu’il n’y avait qu’une seule solution pour les traîtres à leur patrie, c’était de les mettre dehors (Barra, en arabe).[..]

Après moi a parlé le président du PC de GB (ml) Harpal Brar. À la reprise dans l’après-midi, ont parlé : Michel Collon, Mohamed Hassan d’Investig-Action de Belgique et Ginette Skandrani de la Commission d’enquête non gouvernementale pour la vérité en Libye de France.

Particulièrement éloquente a été l’intervention d’un juriste égyptien nassérien Abdel Azim Al Maghrabi, qui a énuméré tous les manquements au droit international et pour commencer les résolutions 1970 et 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui n’a pas vocation d’intervenir dans les affaires internes d’un état souverain … J’espère que nous obtiendrons les divers textes traduits pour que nous puissions les inclure dans un prochain numéro des dossiers du BIP.

Le lendemain nous avons été conduits sur les décombres de deux institutions, une pour la mère et l’enfant et l’autre pour les enfants handicapées. Une frise, romaine peut-être, se tenait sur un mur à moitié écroulé. Ces bâtiments étaient déclarés patrimoine de l’humanité par l’UNESCO. J’ai retrouvé une veille casserole par terre et une paire de chaussures d’enfant accrochées à un arbuste. Pour ceux qui ont contribué à perpétrer cela et qui à l’origine croyaient s’engager pour défendre leur patrie, faire office de bourreau de femmes et d’enfants n’est guère glorifiant.

Le lendemain lundi 13 juin il y a eu une première session, puis nous avons été invités à un déjeuner en notre honneur. Le soir nous avons visité les ruines d’une maison relativement modeste où ont été tués, dans leur sommeil, le fils cadet de Mouammar Kadhafi et ses trois petits enfants. Cet acte ignoble marque l’admission des «alliés» dans le camp des criminels de guerre, qui malgré leur incomparable supériorité en armement, en sont réduits à commettre de minables assassinats.

Le lendemain était le jour du départ.[..] À aucun moment je n’ai senti quelque répression que ce soit contre la population. Le moral des Libyens est inaffecté et ils ne sont pas prêts de s’effondrer de si tôt devant l’offensive occidentale.

Les media occidentaux et surtout Al-Jazeera mentent. Le porte-parole et «ministre de l’Information» du CNT (Conseil national de transition) «rebelle», Mahmoud Shaman, ex-marxiste, est un des directeurs d’Al Jazeera et ancien éditeur de la version arabe de la revue étasunienne Newsweek.

[..] Le chemin du retour, dans la partie libyenne, s’est fait à la lumière du jour. Les dégâts faits aux maisons sur toute la route étaient visibles. Il y avait comme à l’allée des postes de contrôle. Cela étant dit nous sommes partis sans escorte et nous n’avons rencontré aucun problème et aucune tension sur le parcours. Tout au long du chemin des centaines de voitures étaient immobilisées, en toute vraisemblance à cause du manque d’essence. Mais cela n’affecte pas celles qui roulent au diesel.

Depuis mon voyage j’ai beaucoup moins de craintes pour la Libye. L’impression que donnent les médias à la solde des puissances impérialistes, montrant la Libye prête à s’effondrer sous les coups de buttoir occidentaux, n’est là que pour impressionner leurs publics et afficher leur «puissance» et leur soi-disant irrésistibilité.

Rappelons que les États-Unis ont été battus et humiliés par le FNL vietnamien. Cette guerre leur a coûté si cher qu’ils ont été obligés de désindexer le dollar de l’or et d’en faire une monnaie papier. Depuis la planche à billets finance, avec cette monnaie de singe, les guerres impériales en Iraq, en Afghanistan ……. au point que cette fuite en avant arrive à saturation. Même le Congrès des États-Unis commence à demander des comptes devant le désastre financier qui se profile. Ils ont pensé qu’un petit pays comme la Libye leur aurait donné une victoire facile, mais à ce jour ils n’ont pas été capables de l’obtenir.

Pour conclure, je pense que pour le moment, bien que la situation soit difficile et que les victimes augmentent tous les jours, je suis assez confiant quant à leur faculté de résister et de tenir le coup encore longtemps. Toutefois le danger existe, et ils en sont tout à fait conscients, un attentat contre la vie de Mouammar Kadhafi est possible.

Si ce n’était pas pour l’agression impérialiste la Libye pourrait, avec ces institutions de démocratie directe, les structures tribales et son socialisme citoyen, continuer à exister profitant d’une économie basée sur les ressources énergétiques et sa puissance financière, sans négliger ses réserves d’or. Certains aspects de ce pays sont partagés avec l’Arabie saoudite et les émirats du Golfe: les ressources énergétiques, les étendues désertiques, le sous-peuplement, la dépendance très importante dans une main-d’œuvre immigrée ou engagée contractuellement par des entreprises étrangères. La Libye pourrait pour le court et peut-être le moyen terme maintenir sa souveraineté et ses structures politiques telles qu’elles sont. Mais c’est une situation qui ne peut persister qu’en situation de paix, à condition de ne pas devenir la proie des puissances impérialistes.

Toutefois, quand un prolétariat étranger sous l’emprise de la peur, sous le contrôle de puissances étrangères ou pour d’autres raisons encore est susceptible de quitter subitement le pays par millions, cela pose un grave problème pour la survivance économique et la défense du pays.

Donc, à mon avis, à long terme, pour sa survivance, soit la Libye devient l’émule des pays du Golfe et réduit sa population à des domestiques, coiffés d’une caste de vassaux libyens tributaires des impérialistes occidentaux, soit elle décide de développer sa propre classe prolétaire, qui s’investirait dans le pays, qui assurerait par sa force de travail l’économie et fournirait des combattants pour la défendre les armes à la main.

Éventuellement une telle classe revendiquerait le pouvoir, mais quand elle l’obtiendrait les Libyens ne perdront pas leur honneur.

Alex Moumbari

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