Algérie : la vérité de la bouche d’un fou

port de Bou Ismaïl
port de Bou Ismaïl

En 1962, Ferhat Abbas, l’un des infatigables militants nationalistes algériens, le premier Président du GPRA (gouvernement provisoire de la république algérienne) et le premier président de l’Assemblée nationale constituante de l’Algérie indépendante, avait déclaré : «… Le colonialisme nous a laissé un héritage magnifique » (1).

En 1982, de retour en Algérie suite à un exil de deux décennies, je ne reconnaissais plus ma ville d’adoption, la perle de la Mitidja, Bou-Ismaïl ex-Castiglione et notamment sa mairie, une authentique œuvre d’art architecturale que j’avais connue au temps de sa splendeur. En effet, elle avait ses façades lépreuses, son large fronton barré d’un slogan, écrit en arabe et en français, avec des lettres hautes et larges : « Min echaâb ila echab », « Par le peuple et pour le peuple ». J’ai ressenti ce slogan comme une provocation à l’adresse du peuple et un outrage aux innombrables martyrs de la répression coloniale. Le choc était si violent qu’il m’avait contraint à m’asseoir sur la première marche de l’escalier de la belle bâtisse. Que peuvent bien penser les habitants du délabrement de leur ville autrefois appelée : « Le petit Nice ?», me suis demandé.

Tandis sur le trottoir d’en face, de l’autre côté d’une large avenue, un Monsieur d’âge mûr se trouve assis sur une marche qui semble surgir de l’antiquité. Je décide de l’approcher pour lui demander ce qu’il pense du délabrement accéléré de la ville. Il semblait avoir le regard suspendu dans le vide et l’esprit ailleurs. Suite à une courte hésitation, J’interromps sa quiétude par un timide Salamou âalik ! Manifestement surpris, il me fusille du regard, marque un temps d’arrêt avant de me répondre par un « Ouaalik Salam», à peine audible. Puis-je m’asseoir à côté de vous ? Lui-avais-je demandé. Il me fixe à nouveau du regard et me dit : « Tu n’es pas d’ici, toi ! Oui et non ! » me dit-il. « Et comment le savez-vous ? » Lui-je répliqué. « Parce que par ici, quand quelqu’un veut s’asseoir ou s’en aller, il ne demande l’avis de personne », m’a-t-il indiqué.

Il me fait signe de la main et m’invite : « Assis-toi sur ma gauche parce que j’ai l’oreille droite dure », a-t-il indiqué. Avant de m’asseoir, je lui ai avoué que j’étais un enfant d’adoption de Bou-Ismaïl, que je vivais en exil, en France, depuis deux décennies. Je voulais savoir si les Bou-Ismaliens, étaient conscients de l’état de délabrement accéléré de leur belle ville et ce que lui inspire le slogan : « Min echab ila echab », en arabe et «Par le peuple et pour le peuple », en français, qui orne ostentatoirement le fronton da la mairie. « Assis toi », me dit-il à nouveau. Il fixe longuement le slogan et me dit : « Tu appelles hadh âar ezman (une horreur des temps révolus) ornement ? », a-t-il protesté. « Autrefois, quand j’avais les enfants encore jeunes, quand ils m’agaçaient par leur chahut à la maison, je sortais sur la promenade qui longe la mer, je m’appuyais sur la balustre pour respirer l’air frais et regarder le coucher du soleil, je retrouvais mes esprits et mon calme, je retournais chez moi apaisé pour dormir. Maintenant, je ne supporte plus rien. Cette ville qui fut jadis une ville de carte postale est devenue une « zoubia (décharge ») », s’était-il lamenté, en poussant de profonds soupirs. « Un pouvoir qui est incapable d’entretenir son patrimoine existant, à qui voudrait-il faire croire qu’il développer le pays ? », s’était-il interrogé.

- Vous n’avez pas répondu à ma question ! Que vous inspire ce slogan ? avais-je insisté. Il jette un rapide coup d’œil autour pour être sûr de ne pas être entendu par quelqu’un d’autre, il s’approche de mon oreille et me dit : « Il m’inspire Min lahitou bekhkherlou » (Laisser le peuple macérer dans sa misère et son jus).

Et que signifie l’indépendance pour vous ? Lui avais-je encore demandé.

- Avant l’indépendance il y avait à Bou-Ismaïl un jeune qui s’appelé Lakhdar. Il était orphelin de père, porté sur l’alcool. Comme il n’avait pas beaucoup de moyens, il mélangeait de l’alcool à 90° avec autre chose. A l’indépendance, la vente de l’alcool a été interdite. Lakhdar a perdu ses repères », m’a-t-il rappelé.

- Je me souviens parfaitement de Lakhdar et de son discours. En effet, quand il était en manque le commerçant J., son fournisseur d’avant la prohibition de l’alcool refusait de le servir, il sortait, dépité de la boutique, il s’arrêtait régulièrement, levait les bras vers le ciel et scandait à tue-tête : «Noud Istiqlal Mani hérou, hérou. nqaqer izmaren iguenfan si tagueth nesoufed ouchannen yelouzen si haoureth. Nouid estiqlal ma hérou hérou » (nous avons eu notre indépendance adviendra que pourra. Nous avons fait fuir les gras agneaux par les fenêtres et avons ouvert grandement nos portes à des chacals affamés. Nous avons eu notre indépendance adviendra que pourra). On prenait Lakhdar pour un fou.

- Allah yerehemek ya Lakhdar ! Je suis presque sûr qu’Allah t’a ouvert les portes de son vaste paradis et que tu as, à la portée de ta coupe, un ruisseau courant de vin délicieux pour les dégustateurs. Le fou ce n’était pas toi.

Peut-être que les Algériens ont-ils écouté les chansons d’Abdelmadjid Meskoud, le maître du chaâbi algérois, notamment sa chanson Ya dzayer ya al âassima. C’est avec une immense émotion que je vais essayer de rappeler et de traduire ici, forcément maladroitement, quelques idées forces d’une balade algéroise, en musique, de l’immense artiste : « Ya dzaiyer ya Aassima, soumtek fi qalbi Adhima, fesdouk eli ma âandhoum qima, oukilhoum el matyn » (Alger la capitale, ta valeur est inestimable, (bien que souillée par des vauriens), je t’aime toujours). L’artiste avoue son impuissance par un « oukilhoum el matyn ». Il s’en remet au Tout-Puissant pour la délivrer des mains des malfaiteurs et des corrupteurs.

« Choufou dzayer khadhbana, ou Hioutha medhabala… » (Regardez comment Alger comme elle est triste, ses murs lépreux…). L’artiste s’interroge : « Ouyne rahi rihet elyasmine, oua ouyn rahi binnet ramadhan, oua ouyn rah baba Salem… la3ab legragueb et zarnadjia… » (Où sont passé : les parfums du jasmin, les délices des ramadhans, les troubadours noirs, les joueurs de castagnettes et de la cornemuse… ?)

Avant de se lamenter : « Goulou li ya samiin oualed el âassima ouyne » (dites-moi auditeurs, où sont passés les enfants de la capitale). Sous entendu, les vrais, les vertueux qui n’aurait jamais laissé une valetaille politique prendre Alger en otage, la souiller, d’en faire la plus sale capitale du monde.

La presse algérienne annonce régulièrement des cas d’immeubles hérités du colonialisme qui s’effondrent sur leurs habitants et les passants, dans l’indifférence générale. Selon plusieurs sources de cette même presse 80% de ce « magnifique patrimoine immobilier hérité du colonialisme » menacent de s’effondrer.

Tandis que les tyrans algériens et leurs relais : politiques, médiatiques, associatifs, syndicaux… traitent tout critique de la politique de leur maîtres : « De nostalgique du colonialisme », « De harki ou fils de harki », « De vendu de l’impérialisme", de "communiste ou un d’islamiste… ».

Il y a environ dix ans, dans l’un de ses ouvrages, Monsieur Antoine Besbous, avait remarqué : « Les algériens qui ont le moins contribué à la libération de leur pays du joug colonial tiennent le propos les plus virulents à l’égard de la France », a-t-il écrit. Avant d’ajouter : « Des généraux décideurs ont le passeport français qu’ils conservent précieusement dans leur coffre-fort, à l’abri des regards de leurs (pluriels volontaires) femmes et de leurs enfants », a-t-il ajouté. J’ôte mon sombrero et m’encline jusqu’à terre et m’exclame : chapeau L’artiste !

Aïssa Nedjari

(1) Pierre Montagnon, la Guerre d’Algérie, Pygmalion

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Commentaires (5) | Réagir ?

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hamza habous

deux décennies vécues en terre étrangère, cela a use beaucoup le mental et le sens de la vue de l'auteur de cet article qui garde un souvenir d'enfance paradisiaque pour lui... plus on monte en age, plus nos vues et nos sens n'ont plus le gout et l'amour d'antan.... sauf en souvenir.... d'ailleurs tout le monde convient sur le proverbe ""les jours qui passent sont......... ""pourtant le contraire conviendrait mieux.... mais le comble de cet article c'est que l'auteur voudrait défendre les nostalgiques et les harkis de son entourage en glorifiant les pieds noirs (les algériens qui n'ont pas contribues à la libérations de leur pays du colonialismes tiennent les propos les plus verulent à l'égard de la France"" non monsieur !!c'est toujours les adeptes de ""l’Algérie françaises (traitres à leur patrie) ""qui sabotent tous ce qu'entreprend l’Algérie pour sortir du s/développement................ quand aux généraux décideurs c'est grâce a leur participation dans la deuxième guerre mondiale aux cotés des alliés qu'ils ont pus apporter un plus à notre révolution..... peut être l’Algérie manque t-elle d'intellectuels...... pouvez-vous, monsieur l'auteur de l'article (mr aissa nedjari) nous apporter des solutions a ce que vous critiquez????????? si vraiment vous avez Alger dans le cœur et non pas un petit usurpateur qui joue sur les mots pour toucher au mental sensible de nos jeunes émigrés adeptes aux bars et aux salons de thés............ vous connaissez NESS EL GHIR. ?????? même avec un petit mot, un sourire, on peut faire du bien...................................................................................................................

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Jean Namous

Les ouleds el Assima dont parlait Maksoud dans sa chansonnette sont partis en 1962. Ce sont les pieds-noirs. Depuis, les Algériens les ont remplacés parfois au pied levé. L'algérianisation a fait le reste. Il n' y a pas de quoi être nostalgique d'un passé qui n'est pas le nôtre.

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