Suite des extraits « Le dernier soir du dictateur »

Voici la suite des extraits de l'œuvre théâtrale, « Le dernier soir du dictateur », une pièce écrite par Mohamed Benchicou, sur une idée de Sid Ahmed Agoumi, première création littéraire algérienne inspirée du mouvement révolutionnaire qui traverse le Maghreb et le monde arabe. Elle vient de paraître sous forme de livret, en France (aux éditions Riveneuve). Elle sera jouée dans quelques semaines par le même Agoumi.

EXTRAIT N° 3

Le personnage est assis sur

le canapé. Face au public.

Tu le sais, maintenant, brave homme : je suis fou !

Il prend un air suffisant

Mais quel mal y a-t-il à être fou pour un puissant ? Ne sais-tu pas, pauvre ignorant, que gouverner, ici-bas, ce n’est rien d’autre que permission donnée aux malades mentaux, aux mégalomanes, aux méchants, aux malhonnêtes gens d'aller jusqu'au bout de leur folie, de leur mégalomanie, de leur méchanceté, de leur malhonnêteté ?

Qu’est ce que l’histoire si ce n’est un catalogue de nos folies princières ?

Cette folie qui m’envoûta dès mes premiers boutons d’acné et que tu peux lire, aujourd’hui, sur chacune de mes rides…

Il se caresse le visage. Tourne dans la chambre…

Je suis fou, oui je suis fou… Sache-le, fou comme les hommes que leur folie a éternisés ! Fou comme le furent les architectes du monde… …

Fou, fou, fou, je suis fou !

Il se met à danser sur la scène

Fou, fou, fou, je suis fou ! Fou de pouvoir ! Fou de puissance ! Fou comme tous les maîtres qui ont marqué ce monde ! Fou de cette folie qui a illuminé l’époque ! La folie d’un Kaiser défiant un cousin Tsar…La folie d’un peintre autrichien…

Il tourne en rond sur la scène

Je suis fou, oui je suis fou… Sache-le : il n’est pas un matin sans que je ne rêve à mon tour, à l’orgueil des Kaisers et à la vanité des Tsars ! Pas un matin sans que je ne rêve à mon tour d’un archiduc à venger …D’une duchesse à réhabiliter…D’un outrage à laver… D’une frontière à rectifier…D’un Hiroshima… Quelque chose à noyer dans le sang et les larmes des innocents !

Il élève la voix

Quelque chose, Dieu, qui nous exonère de l’insupportable apathie de ce monde !

Il parle au ciel

Quelque chose qui grave nos noms sur les murailles de l’éternité…

Il répète avec délices

Les murailles de l’éternité …

Il fixe soudainement le public, le doigt pointé vers lui, l’accent subitement menaçant

Mais gare à toi si tu t’amuses à être, comme nous, roi de tes humeurs !

Puis solennel

La folie nous appartient !

En tournant sur la scène

Interroges-donc les hommes et les femmes dans nos asiles ! Ils te diront ce qu’il en coûte de passer pour un fou aux yeux de ceux qui prétendent ne pas l’être…

Sache-le : nous seuls nous avons le privilège de pouvoir donner à la folie l’apparence de la raison…

Nous seuls avons le pouvoir de désigner les fous !

Dans ce monde qui nous appartient, dans ce monde où nous appelons raison la folie du plus fort, alors dans ce monde-là, pauvre bougre, nous appelons folie la colère du petit peuple ! Nous appelons folie tout ce qui offense les rois !

Nous appelons folie vos désespoirs !

Nous décrétons fous tous ceux qui exigent de nous des vertus impossibles : la vérité, la justice ou la probité…

Nous décrétons fous les génies…

Nous décrétons fous les esprits libres…

Nous décrétons fous l’orphelin qui se souvient trop de son père…

Oui, pauvre homme, nous décrétons fous tous ceux qui nous rappellent nos promesses !

Il emprunte une voix arrogante

Oui…Gare à toi si tu t’avises à être fou !

Nous serons impitoyables envers toi ! Impitoyables ! …Parce que nous, pauvre gueux, nous qui savons ce qu’est la folie, nous la redoutons chez le pauvre ! Chez toi, démuni, la folie devient le prix à payer pour le temps passé à être trop lucide…Un orage ! Une tempête ! Chez toi, la folie, la folie de l’honneur, devient une bourrasque irrésistible, une absurde mais invincible obstination qui finit toujours par culminer en victoire !

Il agite l’index

Non, nous n’avons pas oublié que cette folie-là, la folie indigène, la folie de l’honneur, fut plus forte que ta peur du colon ! Plus forte que ta peur de la faim …Nous n’oublions pas, non nous n’oublions pas, que ta folie est venue à bout des grandes armées de ce monde !

Je te l’avoue ce soir : nous qui nous étions autoproclamés maréchaux de votre guerre, nous vous admirions et nous vous plaignions !

Nous vous admirions d’ainsi faire don de l’unique, la vie, contre le sacré, Dieu ou la patrie…

Nous admirions en vous cette façon majestueuse de vous en aller, solennels et imposants, dans une noble naïveté, à l’âge encore vert où l’on croit ne connaître aucune raison de vivre et tous les prétextes pour mourir.

Il prend un air entendu

Je peux te le dire aujourd’hui, puisque c’est le dernier soir du dictateur : nous savions que cette mort-là n’avait aucun sens !

Nous savions que les martyrs, terminent avec un nom gravé en tout petit[M2] sur une pierre tombale. Un nom offert à ceux qui auront su s’en servir ! Nous savions cher ami, que les martyrs sont voués à être oubliés, moqués ou utilisés. Quant à être compris, jamais !

Il sourit béatement

Nous savions tout cela, mais nous vous avons laissés à vos démences et à vos illusions ! Nous avions besoin de vos emportements et de vos chimères : Vous vouliez enfin vivre ; nous voulions enfin régner !

Nous l’avions tolérée et encouragée, votre folie !…Nous avions même écrit des poèmes à sa gloire !

Il entonne un chant patriotique tout en imitant une marche militaire

Min djibalina …

Il revient vers le public

…Mais nous n’avons pas eu la mémoire courte !

Plus jamais vous n’avez récidivé dans la folie de l’honneur !

Non, plus jamais !

Pour vous guérir de la folie de vouloir être libres, nous avons dénaturé le goût de l’honneur. !

Nous avons fardé ses héros !!

Nous les avons enrichis !

Momifiés !

Il se tourne vers le public

Nous avons sali tes épopées !

Grimace sadique

Oui, sali tes épopées !

Il reprend un accent autoritaire

Tu n’avais plus rien à raconter à tes enfants !

Nous avons organisé l’ignorance !

Nous avons cultivé l’oubli !

Nous avons traqué le savoir !

Il n’y a de tyran que dans l’ignorance…

Il parle d’une voix éteinte

Oui, pauvre homme, nous avons châtié le lettré, promu l’analphabète, encouragé le courtisan, avili le créateur, déshonoré le virtuose, castré les plumes, brûlé les livres, exilé les savants…

Tu n’avais plus rien à raconter à tes enfants !

Nous les avons voulus absouts de tes croyances… Exonérés de tes illusions… Affranchis de tes serments…

Il n’est plus de témoins de vos désillusions ! J’ai fait de vos écrivains des bureaucrates et de vos poètes des greffiers désenchantés. Vos plumes redoutent de me fâcher, vos artistes craignent de me décevoir, vos philosophes appréhendent de me désillusionner. Je les ai délivrés du devoir d’inspiration ! Ils ne recherchent plus que le devoir de me plaire.

Nous avons généralisé la servitude.

Plus jamais vous n’avez récidivé dans la folie

A vos enfants, nous n’avons laissé de votre guerre que le souvenir de ces guerres qui rendent les maîtres plus prospères et les enfants plus décharnés…De votre guerre, il ne reste que le bruit d’une bataille lointaine dont personne ne se rappelle si elle fut gagnée ou perdue ! Dont personne ne se rappelle du prétexte qui a servi à la déclencher ! Seulement, oui seulement des parrains qui en furent les seuls vainqueurs.


« Le dernier soir du dictateur »
Mohamed Benchicou
Prix public TTC : 8 €
Format : 120 X 200 cm – 64 pages
Ouverture à la vente mars 2011
Diffusion distribution
INTERFORUM

Disponible chez toutes les librairies (sur commande)
ou chez Riveneuve éditions
75, rue de Gergovie
75014 Paris
Tel : 01.45.42.23.85
www.riveneuve.com
[email protected]

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Commentaires (1) | Réagir ?

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elvez Elbaz

La coalition francoanglaise, frappera cette nuit au plus tard vers minuit.

La junte d'alger, des autoproclamés généraux et leur poisseuse marionnette bouteflika, n'auront pas reussi à protéger leur alter ego libyen en voyoucratie panarabiste... LES AERODROMES du sud algériens ne leur ont servis à rien.... leur vote de soutien, lors de la bazaroreunion de l'imposture ligue arabe, aussi...

Le pouvoir illégitime d'alger, prend les devants, et vient de payer la DÎME, sous forme d'aide au nouveaux maîtres de tunisie. Les tunisiens s'auront leur renvoyer l'ascenseur, en fermant les yeux sur l'illégitimité du pouvoir de bouteflika qu'il a voulu cloner sur celui de son ami benali... !

Le peuple algérien perd 100 millions de dollars, que bouteflika a donné comme aide au peuple tunisien"frére", BOUTEFLIKA N'AIME PAS LE PEUPLE ALGERIEN, qu'il traite de faineant, jusqu'à provoquer L'ire d'un diplomate anglais, qui n'a pas supporté ce mépris d'un chef d'état vis à vis de "son peuple".... les diplomates français, n'est ce pas rafarin?, sont au contraire contents et aux anges de l'entendre "insulter" son propre peuple, ce "renard" de bouteflika les confortent dans le mépris qu'ils ont des "bougnoules"..... comme le susurrait l'auvergnat hortefeux, c'est leur président qui le dit......

100 millions de dollars, 8 milliards de dinar algérien!!! DE QUOI CONSTRUIRE 10000 appartements F5 en algerie..... DE QUOI LOGER 600;000 ALGERIENS.... !!!