Ces ministres qui veulent urbaniser le désert

Ces ministres qui veulent urbaniser le désert

L’abondance de l’argent facile du pétrole est parfois nuisible pour l’Algérie. Elle incite le gouvernement, et la faune de rapaces qui l’entoure, à s’engager dans des projets titanesques coûteux, sans aucun contrôle parlementaire ni populaire. Les élites compétentes sont tenues à l’écart et toute discussion critique publique est bannie.

A ce jour, aucune voix ne s’est élevée contre le délire saharien du ministre des Ressources en eau, Abdelmalek Sellal, qui a engagé quasiment seul et sans contre-pouvoir tout un pays dans un projet utopique dispendieux, contre-nature et dangereux sur les mouvements démographiques et migratoires.

Depuis des millénaires, c’est l’Homme qui se déplace vers les points d’eau. Le ministre Sellal a voulu inverser cette loi du désert en déplaçant l’eau vers l’Homme sur une distance inimaginable de 750 kms.

Ce projet initialement prévu à 1 milliard de dollar a été réévalué au double. Entamé en janvier 2008, il n’est toujours pas achevé en raison des contraintes géographiques, des complications technologiques et des multiples intervenants. Au coût dû à la distance se sont greffés des surcoûts générés par le relief accidenté du Hoggar et la salinité de l’eau qu’il faut déminéraliser.

Il n’y a jamais eu d’agglomérations proprement dites sur le parcours de 670 km qui sépare In Salah de Tamanrasset, à part les petites oasis d’In Amguel et Tit, et les postes militaires d’Arak et In Ecker.

Mais les ministres de l’eau Sellal et celui de l’intérieur Daho Ould Kablia réfléchissent à «la création de nouvelles agglomérations urbaines». Ils veulent créer des centres de vie dans cette zone désertique, organiser des territoires en amont et en aval de la capitale du Hoggar, construire des logements et services publics.

Daho Ould Kablia a fait état de la «création de 3 ou 4 petites agglomérations, pour mettre un terme à la situation de «désertification» de cette région, assurer le confort, la sécurité et la téléphonie pour les conducteurs de véhicules, et développer des «haltes», des pôles de rayonnement urbain». Ces centres de vie seraient installés au niveau des stations de pompage du tracé de la conduite d’eau.

Selon Abdelmalek Sellal et Daho Ould Kablia, ce sont «des instructions du président de la République, qui portent sur la création d’un cadre de vie constitué d’agglomérations dotées de toutes les commodités et services. L’objectif de cette politique est de constituer des cités abritant une densité importante d’habitants.»

Un projet titanesque et utopique

Le mégaprojet de transfert d’eau d’In Salah vers Tamanrasset, lancé en janvier 2008, s’étale sur une distance de 750 km, avec un dénivelé ascendant de plus de 1.000 m, des reliefs géomorphologiques différents.

Il doit couvrir les besoins en eau potable, estimés à 50.000 m3/j de l’agglomération de Tamanrasset et de ses environs ainsi que des projets de centres de vie situés sur le tracé. A l’horizon 2040, le projet débitera 100.000 m3/jour.

Il comprend la réalisation de 48 forages en deux phases, 6 stations de pompage, une adduction en double canalisation de 1.258 km, un réseau de collecte d’eau de 100 km.

En outre, les travaux portent sur l’édification de 8 réservoirs château d’eau, un réservoir de tête de 50.000 m3, un réservoir terminal de même capacité, ainsi qu’une station de déminéralisation de 100.000 m3/jour, en raison de la salinité de l’eau.

Plusieurs intervenants ont été mobilisés. Les tubes de canalisation, importés avec le label turc Erciyas, sont enfouis et soudés par des sociétés chinoises et l’algérienne Cosider.

Un bureau d’études français supervise l’enfouissement des conduites, sous le contrôle de l’Algérienne des Eaux (ADE) et la direction de l’Hydraulique.

Deux sociétés chinoises, CPECC et CITIC, construisent les châteaux d’eau et des stations de pompage dont «le moteur est fabriqué en Finlande, la pompe montée au Brésil et le réducteur en Allemagne».

Les vents de sable récurrents, les conditions climatiques (chaleur caniculaire le jour, froid nocturne) influent sur la dilatation ou le rétrécissement des tubes à poser et souder.

Un technicien a expliqué au ministre «qu’il fait tellement chaud que souvent, pour la jonction entre les conduites, il faut attendre le soir pour souder parce qu’il y a un problème de dilatation… et le problème, quand ça refroidit, ça rétrécit».

Le projet mobilise près de 5.000 personnes. L’Algérienne des Eaux, compte 200 employés en permanence pour en assurer le suivi technique, administratif et financier. Et les sociétés de sécurité, qui veillent sur le personnel étranger tout le long du tracé constituent un surcoût énorme pour payer, transporter, armer et nourrir près de 500 agents.

Par ailleurs, on ne sait pas comment seront évités les risques de contamination radioactive de l’eau à In Eker, où la France a fait exploser 13 bombes nucléaires souterraines entre 1961 et 1966.

Sellal veut en faire encore plus

Alors que ce projet gigantesque de Tamanrasset a largement dépassé les délais prévus de livraison, le ministre de l’eau Sellal envisage de poursuivre son délire volontariste de vaincre le désert. Il a déjà fait part d’études en voie d’achèvement pour la réalisation de projets similaires.

Ces projets concernent l’adduction de 600 millions de m3 d’eau du nord d’El Menéa, vers la région de Djelfa sur une longueur de 470 km, qui devra également atteindre le sud des wilayas de Tiaret et de M’sila, éloignés d’El Menéa, de 550 km et 720 km. Ce projet grandiose viserait à développer l’agriculture dans ces régions qui connaissent un déficit hydrique.

Abdelmalek Sellal a signalé aussi le lancement d’une étude d’un projet de transfert partiel des eaux de Oued Namous (Béchar) vers Naâma et Aïn Sefra.

Le ministre a cité une autre étude préliminaire en cours d’un 3e projet de transfert d’eau à partir de Ouargla vers Biskra, distantes de 400 km, et le sud de Batna sur un kilométrage tout aussi important, toujours dans l’objectif de développer l’agriculture des Hauts-Plateaux.

Il a rappelé que «les régions du Sud renferment d’importantes capacités hydriques souterraines non renouvelables. L’Algérie recèle une nappe hydrique de 900.000 km² s’étendant sur les régions de Ouargla, Ghardaïa, Adrar, In Salah». Cette nappe albienne, est «partagée également avec la Libye et la Tunisie».

Il n’y a absolument aucun débat sérieux sur l’énormité de ces projets étudiés presque en catimini, à l’abri des regards, alors qu’ils vont mobiliser des ressources financières et engager le pays sur un sérieux problème de viabilité et de maintenance de ces très longs réseaux de tuyaux.

Lorsqu’un gouvernement ne fait pas confiance aux capacités algériennes pour creuser des tranchées, poser des tuyaux et les souder, comment peut-il leur faire confiance s’agissant de la maintenance des réseaux et des équipements.

L’Algérie va-t-elle être condamnée à constamment faire appel à des compétences étrangères pour gérer ses problèmes d’eau ? Quand on connait les grosses pertes des réseaux urbains vétustes, trop sollicités ou mal conçus, on imagine aisément les coûts exorbitants d’entretien des stations de pompage en plein désert.

Sans compter que les malversations et détournements autour de ces projets d’eau sont aussi nombreux qu’ailleurs, au point où le ministre Sellal a déclaré à la presse : «A Béchar par exemple, j'ai personnellement des difficultés à trouver des responsables pour remplacer les cadres emprisonnés.»

Risque d’aggravation des dangers migratoires

Ce projet délirant In Salah-Tamanrasset est une atteinte aux lois de la nature, de l’économie et au mode de vie du désert. Mais c’est aussi un grave danger démographique et migratoire pour l’Algérie, dans un contexte chronique d’insécurité et de sous-développement au Sahel.

Le Sahara a toujours constitué une barrière de protection naturelle contre les mouvements migratoires et toutes sortes de phénomènes naturels, comme les épidémies (sida, grippe aviaire, paludisme, etc …).

Malgré cela, l’avance en développement qu’a prise l’Algérie sur ses voisins du Sahel, grâce à ses ressources pétrolières, a toujours aspiré des flux migratoires accentués par des périodes de sécheresse ou de rébellion touarègue.

Le transport des immigrants sub-sahariens, qui ne s’aventurent jamais seuls dans le désert, est aussi une source de revenus non négligeable des guides touaregs désœuvrés.

Il s’en est suivi des sédentarisations forcées, des unions anarchiques, des métissages de population, des falsifications d’état-civil, des problèmes médico-sociaux, des délinquances, etc…

Avant même le lancement de ce projet d’adduction d’eau, les walis de Tamanrasset et Adrar avaient lancé des programmes anarchiques d’urbanisme et de logements sociaux sans aucun calcul économique sur les limites de satisfaction des besoins en eau, électricité, carburants, etc…

Cette urbanisation volontariste a aussi atteint les anciens postes frontaliers de Borj Baji Mokhtar, Timiaouine, Tinzaouatine et In Guezzam. Dans ces contrées là, on ne sait même plus qui est algérien, malien ou nigérien ou de quel pays d’Afrique.

Ce projet de fourniture massive d’eau a commencé à provoquer une aspiration incontrôlable de populations du Sahel, qui va constituer un vrai casse-tête démographique et économique auquel l’Algérie n’est pas préparée, comme le prouve déjà ses difficultés à faire face au terrorisme et au grand banditisme des narcotrafiquants.

Ces dangers permanents sont d’ailleurs une des raisons implicites essentielles du retard dans la réalisation de la Route Transsaharienne, un projet vieux de 40 ans et non achevé.

L’axe transafricain de la RTS, Alger-Lagos (4500 km), est pratiquement entièrement bitumé à l’exception de la section algero-nigérienne «In Guezzam-Arlit» sur 223 km, et surtout la liaison algéro-malienne «Tamanrasset- Kidal -Gao» sur 1200 km.

C’est-à-dire sur les deux tronçons d’un «no man’s land» désertique où règne une insécurité totale. Les terroristes et les trafiquants ont déjà anéanti l’activité touristique dans le sud algérien, le nord malien et nigérien, la Mauritanie. Cette situation critique n’incite guère à achever le goudronnage des pistes.

Le projet d’adduction est maintenant beaucoup trop avancé pour être stoppé. Mais des mesures doivent être prises pour enrayer le danger migratoire immédiat, qu’il va engendrer, jusqu’à ce que les conditions de normalisation sécuritaire de la région sahélo saharienne soient réunis, ce qui risque de prendre beaucoup de temps.

Il doit être hors de question d’urbaniser le désert, tel que l’ont prévu les ministres en créant des agglomérations près des stations de pompage, en raison des coûts exorbitants et totalement inutiles que va supporter la collectivité.

Mais plus encore, les petites villes champignons qui se sont greffées sur les postes frontaliers de Timiaouine et Tinzaouatine doivent être rasées et débarrassées de tous les attributs urbains qui ont déjà causé de gros problèmes comme le trafic de carburant, ou le regroupement des migrants clandestins.

Ces deux lieux-dits doivent rester ce qu’ils ont toujours été, des postes d’observation et de contrôle militaires des frontières, débarrassés des habitants civils, en dehors des nomades itinérants, connus et recensés aux alentours de ces postes.

Par contre les villes d’In Guezzam et Borj Baji Mokhar peuvent être agglomérées et constituer des comptoirs commerciaux en zone franche pour un approvisionnement organisé du Niger et du Mali. Ils peuvent aussi être érigées en uniques points de passage douaniers pour les marchandises et les personnes, afin de maîtriser la gestion des flux migratoires.

Saâd Lounès


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Commentaires (22) | Réagir ?

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Bertrand Felon

Bonjour,

Je trouve qu'urbaniser le désert est une super idée, à condition que ce projet prévoit la mise en place de zones boisés: La possibilité technique et économique de pouvoir extraire et redistribuer l'eau dans le désert de façon durable serait ainsi un bon moyen de pouvoir recréer un sol naturel de façon artificielle au début. Les arbres appelant la pluie, si la surface est suffisement vaste, il y aurait la possibilité de dévelloper une agriculture sous forme d'agro-ecologie (http://www. terre-humanisme. org/article54. html non mécanisée et Bio pour préserver l'humus ainsi formé) pour les habitants du Sud.

Deux liens qui m'ont permis d'avancer cette idée masi je suis agriculteur/paysan et passionné :)

http://jeunecitoyen. wordpress. com/2013/03/29/lhomme-qui-a-arrete-le-desert/

http://www. kaizen-magazine. com/lhomme-ne-pourrait-pas-vivre-sans-arbres/

Dans le Sud de la France, on a un système d'approvisionnement en eau géré par une entreprise qui s'appelle BRL (Bas-Rhône Languedoc) grâce auquel je peux faire du maraichage Bio.

J'espère que ce projet va vraiment aboutir, car la perte des terres agricoles et des forêts au niveau mondial sera une problématique dans le futur pour les générations à venir.

De plus, la présence d'eau et d'arbres va favoriser la venue d'une bio diversité plus riche, de diminuer l'érosion du sol (Régulièrement, le Sirocco ramène en France des nuages de pluies/argile ou j'habite qui proviennent du Sahara, autrement dit, il pleut de la boue d'Algérie en France).

Donc, je penses plutôt qu'il faudrait d'abord Boiser le Sahara pour ensuite pouvoir l'urbaniser de façon DURABLE!

En France, le problème est inverse, à savoir qu'il y a trop d'urbanisations qui empiètent sur les terres arables. Or augmentation de la population mondiale et diminution des terres agricoles ne font pas bon ménage, d'autant que l'agriculture industrielle telle qu'elle est pratiquée en France à atteint ses limites en termes de rendement des cultures tellement les sol sont lessivés par les produits chimiques et l'érosion des argiles par ruisselement (sol nu en hiver) vers la mer.

Je tiens à partager une petite histoire tiré d'une oeuvre d'un écrivain de ma région (Jean Giono).

https://www. youtube. com/watch?v=n5RmEWp-Lsk

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babali

Personne n'est dupe ce projet vise autre chose que le bien être de la population de Tam et son entourage. Si c'est le cas pourquoi ne pas commencer par la population de Ain salah d'ou cette eau est tirée. Dans cette ville (important gisement de Gaz) la misère est à son paroxysme depuis bien longtemps.

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