La fable du « Président mourant » Par Mohamed Benchicou

La fable du « Président mourant » Par Mohamed Benchicou

Le Président « soudainement rétabli » et déclaré « apte à un troisième mandat » par ses médecins, voilà qui nous suggère de faire relire cette chronique parue le 22 mars 2007 dans la Soir d’Algérie.

La fable du « Président mourant »

Ainsi donc, nous dit-on, l'alternance est désormais envisageable et le président Bouteflika, pour toutes sortes de raisons qu'on s'ingénie à lui inventer, ne devrait pas briguer un troisième mandat ! Si la niaiserie en politique exposait ses auteurs aux poursuites judiciaires, il ne suffirait pas des prétoires d'Algérie pour tous nous y faire juger.
Trois ans après le mélodrame du 8 avril 2004, il semble que nous n'avons toujours rien compris aux subterfuges par lesquels s’éternisent les autocraties dans nos pays. Les puristes du théâtre rétorqueront, avec raison, que l'inventeur du mélodrame moderne, René de Pixérécourt, avait averti qu'”un niais est aussi nécessaire au mélodrame qu'un tyran est indispensable”. Je crains fort, cependant, que sur la scène algérienne, le surnombre d'impénitents crédules que nous sommes, opposants vaniteux et journalistes ingénus, n'ait déjà démoli ce postulat. Notre candeur était déjà contagieuse, voilà qu'elle devient incurable. Au canular de “l'homme haï par l'armée” en 2004, avait succédé celui de “l'homme malade” en 2005, puis le bobard du “président mourant” en 2006 avant qu'en 2007, on ne nous convie à l'autre variante du vaudeville, “le président malade et démissionnaire”. L'ennui dans l'affaire n'est pas que le microcosme politico-médiatique crée sa propre mythologie. On peut, après tout, fort bien concevoir qu'une société angoissée ait besoin de se rassurer par des duperies classiques et passagères qui brisent la monotonie du désespoir. L'embarras, ici, est que nous produisons, avec talent du reste, les mécanismes de l'auto-persuasion : comme s'il ne nous suffisait pas de croire aux fables à la mode, nous éprouvons le besoin de nous en faire les courtiers zélés auprès de la population. Nous avons tous en mémoire ce candidat démocrate à la présidentielle de 2004 qui entamait ses meetings par cet invariable serment fougueux : “Je jure par Dieu que Bouteflika ne passera pas.” Il lui fallait bien de la certitude pour se risquer avec autant d'assurance au parjure et au discrédit. Et c'est là, dans cette aptitude à convertir nos meilleurs amis en parfaits camelots de leurs tromperies, que les architectes de la propagande mensongère sont les plus redoutables. Qui mieux qu'un opposant républicain pour vendre à l'opinion républicaine une vanne du pouvoir ? Or, trois ans après avril 2004, cette manipulation des élites se poursuit avec le même succès, pour le même objectif, assurer le vernis démocratique au régime, et avec la même technique, l'autopersuasion d'une “vérité cachée” connue des seuls “initiés” et la négation de la vérité qui s'impose, chaque jour, sous nos yeux mais qui ne serait bonne que pour l'opinion roturière. L'inconvénient est que c'est toujours la vérité roturière qui finit par se vérifier. Ainsi pendant que d'éminents esprits nous rebattent la thèse du “président malade et démissionnaire”, que dit le principal intéressé au quotidien espagnol El Pais? Trois vérités significatives que le bon peuple connaît déjà. D'abord que “la question de l'amendement de la Constitution est à l'étude.” Ensuite, à la question de savoir s'il compte briguer un troisième mandat, que “cela regarde les Algériens”, alors que la réponse qui s'imposait est : “La Constitution ne le permet pas.” Enfin, au journaliste qui l'interrogeait sur sa santé, Bouteflika n'a eu aucune hésitation : “Grâce à Dieu, je me porte très bien.” Tout cela débouche sur une information capitale : la décision de postuler pour un troisième mandat est déjà prise. Mais nos cerveaux éclairés, sous le charme de l'endoctrinement diabolique et celui de leur propre vanité, vont s'employer à nous convaincre du contraire. Autrement dit, pendant que le pouvoir adresse aux masses un message massif et cohérent, les préparant à des échéances que lui seul maîtrise, des officines se chargent de produire un discours de diversion en direction de ses adversaires afin de les neutraliser et laisser ainsi au régime l'initiative politique. Je ne vois pas d'autre but tactique pour les propagandistes du pouvoir à envoyer les démocrates dans les roses que celui-là. Rappelons-nous : la théorie du “président malade et démissionnaire” avait déjà permis au pouvoir, en 2005, d'avorter les grosses contestations autour des effets catastrophiques de la Charte pour la paix. Val-de- Grâce avait étouffé le scandale politique. Le régime s'est servi de nouveau, en 2006, de la théorie du “président malade et démissionnaire” pour briser le débat houleux qui commençait à s'installer autour du projet d'amendement de la Constitution. A quoi bon débattre, se disait-on, d'un projet mort-né, compromis par la santé défaillante du président ? Dans les deux cas, le régime a obtenu un répit salutaire qu'il a su habilement exploiter. Car aujourd'hui que l'opposition a baissé la garde, le madré chef du gouvernement, Abdelaziz Belkhadem, peut sortir du bois, remettre au goût du jour le dossier de la révision constitutionnelle et même annoncer qu'il sera au programme de “la prochaine mandature” de la prochaine Assemblée nationale. Et nous y voilà ! Comme en 2004, le régime va utiliser l'opposition républicaine pour reconduire “légalement” et dans le cadre du “pluralisme”, le président Bouteflika à la tête du pays ! Ce sera un hémicycle où siégeront les députés du RCD, du PT, de l'ANR, du MDS, peut-être même d'une fraction des arouch, qui va voter pour la révision constitutionnelle et offrir un troisième mandat à Bouteflika ! Les parlementaires du FLN, du RND et du MSP auront assuré la majorité, nos amis démocrates auront garanti la crédibilité de la “démocratie parlementaire algérienne”. Encore une fois, un des subterfuges par lesquels s’éternisent les autocraties dans nos pays, aura magnifiquement fonctionné. Est-il trop tard ? Sans doute pas. Au-delà des controverses du moment sur le boycott ou la participation aux législatives, il convient en urgence de s'interroger sur la mission de l'opposition politique algérienne désormais à cheval entre deux vocations : celle de faire-valoir au régime qui s'en sert pour s'éterniser ou celle d'artisan d'une pensée autonome, libre, profitable à long terme. Quelle autre valeur mieux partagée que cette pensée-là, quel autre meilleur ciment, pour bâtir l'union des démocrates algériens ? Et puis, cette pensée en plus d'être fédératrice a surtout l'avantage d'être conforme à l'état d'esprit de la population. C'est important, diable ! Il est quand même cocasse qu'une opposition participe à un scrutin que les citoyens, eux, s'apprêtent à boycotter ! A se rapprocher du peuple on ne risque, au pire, que de perdre son temps. A s'en détacher, on risque la défaite définitive, celle dont on ne se relève jamais : perdre son âme.

Mohamed Benchicou (22 mars 2007)

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Commentaires (5) | Réagir ?

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Mohamed Brahami

Le quotidien « El-Moudjahed Bis » (entendre le journal Liberté), reprenant une prétendue révélation de J. P. TUQUOI, vient d?annoncer en sa UNE du 19 courant, je cite : « « QUAND BOUTEFLIKA PIÈGE LE LOBBY DE L?ALGÉRIE FRANÇAISE » ». A lire ce titre, démesurément grossis (1/3 de la page) on serait tenté de croire qu?il s?agit d?une information. Chers amis, désillusionnez-vous, elle n?a d?information que de nom. Et les rares personnes qui auront lu l'article, en page 4, décèleront très vite qu?il s?agit du lancement d?une campagne électorale qui ne dit pas son nom. Une campagne pour une troisième mandature de Bouteflika. Ainsi donc, au moment où M. Benchicou et les amoureux de ce bled tirent la sonnette d?alarme pour éviter un sort funeste à notre pays, des journalistes patentés surgissent pour répliquer d?une façon impertinente et inconséquente. Personnellement je trouve cela scandaleux. Mais où va-t-on ? Réveillons-nous ! Pensons à l'avenir de nos petits enfants ! Prenons conscience du danger qui guette cet avenir incertain ! Faisons quelque chose, agissons, chacun à son niveau ! Appelons le chat par son nom ! Cessons de croire que le dogmatisme, l'obscurantisme, et l'Islamisme sont l'apanage exclusif de ce qu?on appelle les Islamistes ! Mais non et mille fois non : Bouteflika et ses suivants chassent devant nos yeux sur les terrains du FIS, impunément et en toute liberté ! Et qui plus est, avec des moyens sophistiqués. Objectivement, que voyons-nous ces dix dernières années ? : Nous voyons la corruption érigée en culture ; Nous voyons une administration qui ignore ce qu?est la fonction publique ; Nous voyons une bourgeoisie compradore se développer à grande vitesse et à grande échelle ; Nous voyons un niveau de vie inversement proportionnel aux recettes pétrolières ; Nous voyons l'école se mourir devant nos yeux ; Nous voyons les bonnes manières disparaître une à une laissant place à la médiocrité et à l'immobilisme; Nous voyons une mentalité rétrograde se développer ; Nous voyons l'islamisme se consolider à tous les niveaux de l'état et de l'administration ; Nous voyons la religion instrumentalisée même par les incroyants ; nous voyons l'arabisation supplanter peu à peu la seule langue qui nous permet de communiquer avec l'universel'.. Et par-dessus tout, permettez-moi de le dire, nous voyons, la mort dans l'âme, l'indifférence de tous. Chers amis réveillons-nous !

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Omar cheriet

S il y a une chose que supporte pas M. Bouteflika c est de l ignorer je pense que le meilleur moyen de provoquer son depart c est de ne plus participer aux elections en commencant par ceux du 29 novembre. Car si ma memoire est bonne rien n a change entre les elections legislatives de Juin 2007 et aujourd hui alors pourquoi irions nous voter quand on sait que ce President et son gouvernement comme il s y plait à le dire n ont jamais tenu compte de ce petit detail qu est le Peuple Algerien. C est bien Bouteflika qui s est rendu compte au par quel hasard que la jeunesse de ce pays preferait prendre la mer que de rester dans son pays, alors la marine nationale peut surveiller les frontieres maritimes cela n arretera pas l hemorragie, c est la premiere fois depuis l independance que des jeunes algeriens sont amenés à quitter leur pays, riche de surcroit avec des embarcationsde misere, il est la le grand echec un pays si riche dont la jeunesse prefere mourir en mer.....

De toute façon ce qui importe pour bouteflika ce nest pas tant son peuple mais la reaction des occidentaux car qui pourra croire dans l occident que cette mascarade du troisieme mandat n est pas un coup d etat, une confiscation de la liberte des algeriens, imaginez l urgence d une telle demarche "Amendez la constitution" c est l urgence actuelle il est vrai que le front social est calme que les algeriens sont heureux comme des Pachas, Nous devenons comme nos amis tunisiens, syriens......

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