DJEBBOUR ET NOS COUSINS D'AMERIQUE

DJEBBOUR ET NOS COUSINS D'AMERIQUE

Avant ce match du Loftus Versfeld Stadium de Pretoria, où Mbolhi tint tête à la plus grande nation du monde jusqu’à ce but de Donovan, avant ce match, les plus avertis d’entre les Américains sortaient leur revolver en entendant le mot « Algeria », mais la plupart se bornaient, toutefois, à faire leurs yeux de merlan frit. « Algeria ? Vous voulez dire Nigeria ? (prononcer Naïgeria)». Eh oui, avant ce match du Loftus Versfeld Stadium de Pretoria, où Djebbour tira sur la barre transversale, nous étions une rade inconnue pour les gens d’Amérique, à tout le moins une contrée mi-sauvage mi-exotique située entre jungle et désert, « sorry, j’ai oublié le nom du désert… », une espèce de territoire farouche où l’on ne va jamais en vacances et réputé pour cette sale habitude qu’y ont les autochtones de vouloir s’entretuer, bref, une province lointaine perdue entre la mer et le désert, « « sorry, j’ai oublié le nom de la mer… » , peuplée d’êtres insociables, « noirs, n’est-il pas ? », une patrie étrange dont ne parle jamais CNN ou CBS News, sauf pour la classer, sans surprise, dans un panier où l’on retrouve le Mali, la Somalie, le Yémen, la Mauritanie, l’Iran, le Soudan, la Syrie, l’Afghanistan, le Pakistan, une liste des 14 Etats dévoyés, accusés par Washington de «soutenir le terrorisme» et dont les ressortissants, relégués au rang de pestiférés, seront soumis à des contrôles dégradants.

C’était avant ce match du Loftus Versfeld Stadium de Pretoria. Quand nous étions encore une rade inconnue pour les gens d’Amérique, à tout le moins une contrée mi-sauvage mi-exotique située entre jungle, mer et désert, « sorry, j’ai oublié le nom de la mer… » Les plus érudits savaient que ce fut de cette mer, pourtant, la mer Méditerranée, sur ces rades inconnues, les côtes de Staouéli et d’Oran, que les Américains ont débarqué en Algérie, en novembre1942, pour prêter main forte aux Alliés en guerre contre Hitler. Alger conquise par le général américain Ryder qui força les troupes vichystes à signer l'armistice. Soixante-dix ans avant ce match du Loftus Versfeld Stadium de Pretoria où cette contrée lointaine faillit empêcher l’Amérique d’aller en 1/8è de finale. Il résonne, aujourd’hui encore dans Oran les détonations assourdissantes d’une bataille navale inattendue entre les troupes américaines du général Fredendall et les sous-marins de Vichy. Mais qui a gardé le souvenir de tout ça ? Un général regagnant la plage des Andalouses à la nage. C’était Theodore Roosevelt ! Roosevelt à Oran, en route pour la gloire er le débarquement en Normandie. Il pestait contre sa jeep qui avait coulé à la suite d'une mauvaise appréciation de la profondeur de l’eau par les barges de débarquement. C’était soixante-dix ans avant ce match du Loftus Versfeld Stadium de Pretoria. L’époque, pas si lointaine, où mourir pour Oran, une nuit de novembre1942, c’était mourir pour le monde. Oran aussi violente dans l’amour que dans la haine, mon Oran, qui sanglotait, trois nuits, trois jours, cité rouge de honte et de ce sang qui dégoulinait de Santa Cruz et des fortins d’Arzew ; Oran, rigoles pourpres des Andalouses, des cadavres souriants du Murdjadjo et des larmes de Saint-Cloud, les canons et le dernier râle, le cri de Sidi Lahouari, Oran de ce novembre 1942, entre Vichy et le galal, trois jours trois nuits, trois mille morts, Oran quand il n’y avait plus assez de balles dans nos fusils, plus assez de pain sur la table, Oran quand il n’y avait plus assez de fables dans nos têtes, Oran du temps où nous étions jeunes et beaux …

Mais non, ils n’ont rien gardé de tout cela, les Américains, et il a fallu attendre soixante-dix ans, un match au Loftus Versfeld Stadium de Pretoria, sous les yeux de Bill Clinton, sur la route qui mène à Soweto et aux ghettos de l’honneur, quand Steve Biko jurait qu’il n’y aura plus d’enfant qui regretterait d’être né noir, sur la route qui mène à Soweto, un match où nous sommes montés à l’assaut d’une nation qui domine le monde, il a fallu attendre soixante-dix ans pour qu’on soit, aux yeux des Américains, autre chose qu’une rade inconnue, à tout le moins une contrée mi-sauvage mi-exotique située entre jungle et désert, « Algeria ? Vous voulez dire Nigeria ? (prononcer Naïgeria)». Non, Naïgeria a joué et perdu contre la Corée du Sud. Algeria c’est plus au nord, c’est pétrole et corruption aussi, mais c’est plus au nord…

Après ce match, ce match où, sous les yeux de Bill Clinton, l’on vit Mbolhi tenir tête à la plus grande nation du monde, jusqu’à ce but de Donovan, nous portons un nom pour les Américains : Algéria, pays de Djebbour qui tira sur la barre transversale.

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Mais après ce match du Loftus Versfeld Stadium de Pretoria, malgré Matmour et Djebbour, on parlera toujours de nous, en tremblant, comme d’un pays délinquant, un territoire livré à un pouvoir corrompu, ce que d’ailleurs s’est empressé de confirmer le temps quand, en ce mois de janvier 2010, à l’heure où la France et les Etats-Unis classaient l’Algérie parmi les 14 pays les plus « dangereux » de la planète, on entendit ces scandales qui retentirent à Alger, impliquant des « hommes du président », histoires d’argent sale, de meurtres et de peuple trahi… L’Algérie est rangée parmi les pays les plus corrompus de la planète (à la 111e place sur 180 pays, dans le palmarès 2009 de l'ONG Transparency International) et la Sonatrach, la seule firme algérienne dont les Américains entendent parler, Sonatrach est au cœur du plus gros scandale des trente dernières années, avec un PDG placé sous contrôle judiciaire pour «malversations», et d’importants dirigeants de la compagnie incarcérés.
Cela aurait pu changer, pourtant…
William B. Quandt, professeur américain d’économie politique, est retourné à Oran le 2 avril 2007. Près de soixante-dix ans après Roosevelt. A la salle des conférences de la bibliothèque centrale, William B. Quandt rappelle que l’Algérie reste un pays inconnu des Américains mais, dit-il, l’image peut très vite évoluer en raison du processus de démocratisation « Incontestablement, l’Algérie se porte beaucoup mieux maintenant qu’il y a 17 ans où il n’y avait qu’un seul parti, une pensée unique etc. Et ce qui constitue une première dans le monde arabe, ajoute-t-il, ce qui a, le plus, servi l’image de l’Algérie, est qu’elle a adopté un modèle de constitution unique en son genre dans le monde arabe qui garantit l’alternance au pouvoir en limitant le mandat présidentielle à deux ».
Il parlait de la constitution que le général Liamine Zéroual fit modifier en 1996 pour la baser désormais sur le pluralisme et la représentativité, essentiels pour s’engager dans un processus de transition démocratique. Elle abolit le pouvoir à vie et limite le nombre de mandats présidentiels à deux (art.74). La Constitution de 1996, après celle de 1989, reconnaît et garantit le droit de créer des partis politiques (art.42) et des associations (art.4), y compris syndicales (art.56). Le chemin est ainsi désormais ouvert vers le pluralisme. La Constitution de 1996 dispose que « le peuple choisit librement ses représentants » (art.10). Combiné avec d’autres articles sur les libertés et les droits, et aussi les articles 6, 7, 11, 71 et 101, la Constitution algérienne opte clairement pour un système politique démocratique.
Quelqu’un pose une question insensée : et si Bouteflika amendait cette constitution qualifiée d’exemplaire dans le monde arabe, afin de briguer un troisième mandat ? L’invité américain fait la moue. « Ce que je pense reste un avis personnel, lorsqu’on change une constitution il faut avoir de bonnes raisons pour le faire. Des raisons qui impliquent des questions nationales d’importance capitale. »
En quelques années, Bouteflika va stopper l’élan novateur de la société algérienne, décapiter l’embryon d’ouverture démocratique en Algérie, réduire la société au silence, réhabiliter l’islamisme, changer la Constitution, installer la corruption, aligner l’Algérie sur les dictatures arabes et faire le lit d’une kleptocratie, un pouvoir de malfrats, qui dirige aujourd’hui un Etat perverti, vide le pays de sa richesse et se livre aujourd’hui une guerre de gangs.
Aujourd’hui, l’Algérie n’est plus qu’un Etat bananier, une autocratie moyenâgeuse, dominée par la rapine et la trique, soumis au règne de la corruption et de la répression, c’est-à-dire aux marqueurs universels de la gestion mafieuse de la chose publique, soumis au régime de l’état d’urgence, où les rassemblements et les manifestations sont interdits, où les journalistes vont en prison, où des journaux indociles sont liquidés, des livres déplaisants brûlés, des écrivains pourchassés, des syndicalistes matraqués…
En Amérique, un despote ne marque pas les mémoires.
Barack Obama avait un an quand une femme noire refusa de céder sa place à un blanc dans le bus et qu'elle fut jugée pour ça.
Lorsqu'il est né, le 4 août 1961, les Noirs ne jouissaient pas encore de leurs droits civiques.
Lorsqu'il est né, le 4 août 1961 à Hawaii, d'un père noir du Kenya et d'une mère blanche du Kansas, les mariages interraciaux étaient interdits dans beaucoup d'Etats du Sud de l'Union.
Barack Obama avait un an quand le révérend Martin Luther King prononça son discours célèbre, « I have a dream » (J'ai un rêve), le 28 août 1963 devant le Lincoln Memorial à Washington. Il rêvait alors de la fin de la ségrégation raciale dans les écoles publiques et dans le monde du travail et d'un salaire minimum pour tous les travailleurs sans distinction de race ni de couleur. Une société où les enfants noirs et blancs auraient les mêmes chances.
Barack Obama n'avait que trois ans quand les droits des noirs seront promus par le « Civil Rights Act » et le « Voting Rights Act » sous la présidence de Lyndon B. Johnson.
Quarante-cinq ans plus tard, il devient le président des Etats-Unis d'Amérique !
Moins d'un demi-siècle !
Cent millions d'Arabes sont nés en même temps que Barak Obama.
Cent millions d'Arabes sont nés en même temps que l'indépendance de leurs pays !
Aucun d'eux n'est président.
Un demi-siècle a suffi pour abolir le racisme aux Etats-Unis d'Amérique, rétablir les Noirs dans leurs droits civiques et installer un Noir à la Maison Blanche.
Un demi-siècle a suffi pour que les Blancs cèdent la place.
Un demi-siècle n'a toujours pas suffi pour que les vieux autocrates arabes cèdent la place.
L'Amérique, mais pas l'Algérie...

Non, après ce match du Loftus Versfeld Stadium de Pretoria, malgré Matmour et Dempsey, on parlera toujours de nous, en tremblant, comme d’un pays délinquant, un territoire livré à un pouvoir corrompu,
« Le gouvernement algérien est sclérosé et corrompu. Nous avons tenté de les tirer vers le 20ème siècle, mais en vain », affirme le diplomate Thomas Daughton, le numéro deux de l’ambassade des Etats-Unis à Alger dans le livre « Entre la terreur et le tourisme, voyage au cœur de l’Afrique du Nord », du célèbre journaliste et écrivain, Michael Mewshaw, spécialiste de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. « Oubliez le 21ème siècle », avait-il ajouté, comparant le pays au Zimbabwe « le besoin d'un changement de régime et de gouvernant est le même pour ces deux pays ». Pour ceux qui ont lu le livre de Mewshaw, il ne faisait plus de doutes : l’Algérie était bien une contrée farouche située entre jungle et désert, célèbre pour cette sale habitude qu’y ont les autochtones de vouloir s’entretuer. « Ici, il y a 50 à 100 personnes tuées chaque mois et on n'en entend jamais parler », assène Daughton « Sans le pétrole l’Algérie serait comme le Zimbabwe ou encore plus arriérée, l’autorité est mentalement pétrifiée et use toujours du modèle soviétique»
Le chef de la police, Ali Tounsi, est abattu dans son bureau.
Qui l’a tué ? « Affaire de clans », dit-on à Alger.
Alger, Chicago des années trente.
Alger où tout est allé trop loin, beaucoup trop loin.
Alger évité. Hilary Clinton se rend en visite au Maroc mais ignore l’Algérie.
Non, après ce match du Loftus Versfeld Stadium de Pretoria, où Djebbour tira sur la barre transversale, nous resterons encore une rade inconnue pour les gens d’Amérique, à tout le moins une contrée mi-sauvage mi-exotique située entre jungle, mer et désert, « sorry, j’ai oublié le nom de la mer… »

M.B.

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Commentaires (79) | Réagir ?

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Muhend

Cher Monsieur M. B.

J'espere que vous n'avez pas inclu dans les cent millions d'Arabes qui sont nes en meme que Barak Obama, les quelques milliers et peut-etre quelques millions de berberes (Imazighen) nes la meme annee en Afrique du Nord.

Coordiallement, Muhend

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lila m

c'est une équipe française bis qui a perdu, nous, c'est toujours nous....

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