L'avis d'un journaliste français qui vient de voir le film Hors-la-loi

L'avis d'un journaliste français qui vient de voir le film Hors-la-loi

François-Guillaume Lorrain, journaliste au Point, vient de voir le film "Hors la loi" de Bouchareb projeté vendredi 21 mai. Son verdict : la fiction n'excuse pas tout.

Il y a plusieurs choses à dire sur Hors la loi de Bouchareb que l'on vient de voir à Cannes, vendredi.

Tout d'abord, le climat : protection policière très présente autour du palais du festival, fouilles au corps même pour les journalistes, sacs examinés deux fois plutôt qu'une : on se serait cru au Parc des princes lors d'un PSG-OM ou dans l'aéroport le plus surveillé au monde. Mais la projection s'est bien déroulée . Aucun sifflet, aucune insulte, rien.

Venons-en au film lui-même. Et faisons d'abord un sort à la fameuse séquence des massacres de Sétif qui a déclenché tant de polémiques. Pour être le plus objectif possible, j'ai fait raconter cette scène à une jeune femme qui ignorait tout du 8 mai 1945. Qu'avait-elle vu ? Une manifestation pacifique d'Algériens, l'un d'entre eux tenant un drapeau algérien, des forces françaises prêtes à riposter, un officier de police qui cherche à récupérer le drapeau, qui fait feu sur l'Algérien, la panique de la foule, les policiers et l'armée française qui tirent sur les manifesta nts comme dans un stand de tir, faisant des dizaines de morts, deux Algériens sans armes ripostant en état de légitime défense (l'un fait basculer un Européen qui tire, un autre arrache un fusil et le retourne contre un autre Européen avant d'être tué), puis l'arrestation d'un des personnages du film (Sami Bouajila) qui passe devant des dizaines de corps d'Arabes tués... La jeune femme n'a pas vu qu'il y ait eu un massacre d'abord d'Européens par des Arabes.

Si l'on résume, Bouchareb nous raconte le début de l'histoire (le drapeau, l'officier de police), tout en le condensant (car les massacres n'ont pas eu lieu à Sétif même, le 8 mai 1945, mais pour la plupart après), puis la fin de l'histoire (les massacres par milliers d'Algériens), mais il ne nous montre pas le milieu (le fait que les Européens ont été tués aussi, autrement qu'en légitime défense, par des Algériens qui étaient bien armés).
Bouchareb, après avoir annoncé qu'il rétablirait la vérité historique, était revenu sur ses déclarations, brandissant, pour calmer le jeu, l'argument de la fiction. Mais il nous semble que si l'on représente un événement historique, on s'engage à le raconter de façon exacte. On a une responsabilité, surtout, face à un événement qui a eu tant de conséquences. Il faut dire et montrer les massacres d'Arabes - terribles, d'une ampleur immense - mais dire et montrer aussi l'autre partie, les massacres d'Européens, même plus réduits en termes de chiffres (102 contre 6.000 à 20.000 selon les sources). On ne peut pas toujours brandir cet argument de la fiction comme un joker qu'on sortirait quand cela nous arrange.

Débats

Sur le reste du film , car ne nous focalisons pas sur ces six minutes, constatons d'abord qu'il est très moyen. On est revenu vers un cinéma politique assez lourd, maladroit, où les personnages s'expriment souvent par slogans. Même si, par rapport à Indigènes , on constate qu'il y a plus de cinéma dans ce nouveau film. Mais on a parfois l'impression d'avoir affaire à une de ces oeuvres qui passaient jadis avant une émission des Dossiers de l'écran . Sujet : la lutte du FLN en France.


Hors la loi a certes, là-dessus, ses vertus : il raconte succinctement, à travers l'itinéraire de trois frères, une histoire jamais montrée au cinéma : celle du FLN, son organisation sur le territoire, de sa radicalisation, de sa lutte aussi contre la police française, qui met en place une organisation secrète, la Main Rouge, qui a bel et bien existé. A cet égard, certaines comparaisons entre les Français et les Allemands - les membres du FLN ayant pris la place des Résistants - devrait sans doute avoir du mal à passer...

Roschdy Zem (le plus convaincant des trois acteurs) interprète le bras armé, qui élimine en étranglant les éléments gênants, Sami Bouajila, la tête pensante révolutionnaire, prêt à tout sacrifier pour la cause, Djamel (coproducteur du film), plus en marge, tente sa chance dans le monde des cabarets, du business et de la boxe.

Bouchareb n'est pas angélique sur le FLN et ses méthodes et le film devrait faire grincer des dents en Algérie, où la ministre de la Culture a annoncé une projection. Il rappelle, avec exactitude, que le FLN, en organisant la manifestation réprimée du 17 octobre 1961, a sacrifié nombre d'Algériens en connaissance de cause. Gonflé.

La polémique va-t-elle retomber ou s'attisera-t-elle ? Bouchareb, au début de la conférence de presse, a tout fait pour calmer les esprits, disant vouloir ouvrir un "débat sur la colonisation française et les relations passées entre Français et Algériens". Il est ouvert. Mais un élément essentiel de ce débat nous semble porter sur l'usage des mots "fiction" et "vérité historique". Les historiens qui ont vu le film ont pointé des erreurs. Elles sont là en effet. Faut-il exclure les historiens du débat ? La fiction excuse-t-elle tout ? Espérons que durant les prochains jours, le débat sera enrichi avec toute la sérénité possible.

PS : on s'étonne de trouver dans le dossier de presse que la phrase fameuse de Mitterrand prononcée après l'insurrection du 1er novembre 1954 ("L'Algérie, c'est la France"), soit attribuée à Pierre Mendès France.

REGARDEZ la bande annonce du film

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Commentaires (13) | Réagir ?

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ali bee

Non amal, arabe ne veut pas dire pratiquer cette langue. Pour exemple, les latinos d'Amérique du sud ne se disent pas espagnols. Les ricains ne se prétendent pas anglais, non plus. Et même si on suis votre raisonnement, les algériens ne sont pas arabes puisque très peu maitrisent parfaitement cette langue. La civilisation arabe est avancée ? des exemples seraient les biens venus.

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Fakou

Avec cette persistance qu’ont les uns et les autres à se focaliser sur l’arbre ils finiront par nous faire oublier la forêt. Le 8 Mai 1945 c’est le jour ou un peuple a jugé avoir payé de son sang sa liberté et le moment était venu de se débarrasser du joug colonial. L’alibi qui consiste a dire que c’est « eux » qui ont commencé les hostilités est caduque et historiquement nul car il ne fait qu’essayer de noyer le poisson dans l’eau en opposant (encore une fois dans l’histoire de l’humanité) un droit coloniale illégitime à un acte de résistance légitime. Ces historiens justifieront de la même manière le massacre de 89000 malgaches en 1947 et bientôt ils vont nous compter la résistance héroïque d’Achiari contre les hordes de terroristes assoiffés de sang venu tuer des pauvres et paisibles innocents.

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