Le Livre de Benchicou et la réalité algérienne Par Hassane Zerrouky

 Le Livre de Benchicou et la réalité algérienne  Par Hassane Zerrouky
Comme toujours, on ne saura pas avec exactitude qui a pris la décision d’interdire le livre de Mohamed Benchicou au Salon du livre et ordonné le démantèlement du stand de l’éditeur, Boussaad Ouadi. Car les organisateurs du Salon n’ont pas du prendre une mesure aussi grave et aussi absurde si une autorité située plusieurs paliers au-dessus de leurs têtes ne le leur avait pas ordonné. Quoi qu’il en soit, elle renseigne sur le fait que ce livre dérange le pouvoir politique dans la mesure où il révèle un certain nombre de faits sur le déroulement de la dernière élection présidentielle, sur nombre d’affaires – Khalifa, par exemple – où pas un gros bonnet n’a été jugé alors que la responsabilité de l’Etat était pleinement engagé, sur les prisons algériennes (objet du livre) et, surtout sur ces pratiques, appartenant à un temps que certains croyaient révolus, consistant à proposer au directeur du Matin l’autorisation de faire reparaître son journal à la condition qu’il ne soit plus le Matin, à savoir ce journal chargé d’une histoire riche, d’une mémoire et dans lequel on écrivait en pensant à ceux des nôtres qui ont été assassinés, jurant de ne jamais trahir leur mémoire. Le mérite de Mohamed Benchicou est d’avoir refusé une telle offre alors qu’il purgeait une peine de deux ans de prison, et que gravement malade, on le sortait de sa cellule, l’obligeant en sa qualité de directeur de la publication à assister aux procès intentés à ses collaborateurs menacés de prison. Son mérite, au cours de ces procès, notamment l’affaire Shorafa, milliardaire émirati, où je comparaissais avec Abla Chérif, est d’avoir assumé les écrits et commentaires de ses journalistes.
Pour revenir au cas du livre de Benchicou, disons que cette affaire de censure avortée est symptomatique de pratiques autoritaires, par définition anti-démocratiques, héritées de la culture du parti unique. Elle est symptomatique des comportements d’un pouvoir politique agissant comme s’il n’a pas été élu au suffrage universel, qu’il n’a de compte à rendre à personne ( sauf à lui-même et encore ), de son refus d’assumer publiquement et contradictoirement ses choix politiques et qui, de ce fait, n’accepte pas qu’on lui porte la contradiction, et ce, au nom de la « démocratie responsable ». Mieux, à qui veut-on faire croire que l’usage de la censure à l’endroit des écrits de presse ou des livres qui déplaisent – il y a eu les exemples de Yasmina Khadra et Anouar Benmalek - la condamnation et l’emprisonnement de journalistes pour diffamation, seraient les signes d’un Etat fort ! A qui veut-on faire croire que l’usage de l’autoritarisme auquel on assiste aurait pour effet de voiler aux yeux des Algériens, la réalité d’un pays qui, malgré les sommes colossales engendrées par une bonne conjoncture pétrolière, n’arrive toujours pas à décoller sur le plan économique, et ce, faute d’une vraie stratégie de développement. A qui veut-on faire croire qu’il peut masquer cette corruption qui mine le pays à tous les niveaux au point où l’ONG Transparency international vient de classer l’Algérie parmi les pays les plus corrompus de la planète. Plus généralement, il ne peut masquer aussi l’écart qui se creuse entre cette minorité parasitaire, qui s’est enrichi grâce à la libéralisation du commerce extérieur et non en investissant dans les secteurs productifs et créateurs d’emplois, et le reste de la population. Que dire de la disparition programmée des couches moyennes parce qu’elles se trouvent à leur tour entraînées dans le processus d’appauvrissement de la société algérienne. Un exemple : les enseignants du supérieur en Algérie sont les moins bien payés du Maghreb. Un professeur de l’université algérienne gagne moins que… son homologue mauritanien ! Que dire encore de ces petits entrepreneurs productifs et créateurs de richesses et d’emplois – il en existe – dont certains sont contraints de mettre la clé sous le paillasson. Et ce, sans compter qu’une grande partie de l’élite nationale a du quitter le pays faute d’une politique les encourageant à rester mais aussi et surtout à cause de la menace que font toujours peser ces islamistes sur le devenir du pays et que le pouvoir est en train de réhabiliter. Pourtant, l’histoire a montré qu’un pays sans couches moyennes, refusant la modernité au nom de « constantes » dites « nationales », est un pays foutu ! Quant à l’école, l’état de la culture,…

Signe encore que les choses vont mal, ces émeutes sociales qui secouent l’Algérie quotidiennement comme ce fut le cas récemment dans certaines localités du pays. Signe encore que les choses vont mal dans notre belle Algérie, ces jeunes qui, au mépris de leur vie, tentent de quitter le pays dans des embarcations de fortune pour rejoindre l’eldorado européen.
Ecrire sur cette réalité, dire que les choses vont mal, s’apparente pour le pouvoir non pas à une critique des politiques menées mais à du dénigrement, et est passible de diffamation et donc de condamnation par la justice. Loin de nous l’idée, pourtant, de dresser un tableau sombre de l’Algérie pour simplement manifester son opposition ( faire de « l’oppositionnisme ») à un pouvoir dont nous ne partageons pas la démarche. Croit-on que cela nous fasse plaisir de voir l’Algérie épinglée pour violations des droits de l’Homme ? Reste que si ce pouvoir avait un tant soit peu amélioré la réalité quotidienne du plus grand nombre, encouragé la production intellectuelle, littéraire et artistique autrement qu’en organisant des spectacles coûteux sans lendemain parce que médiocres, ça se saurait et ça se verrait à l’œil nu. Or, ce n’est malheureusement pas le cas.
Les 100 milliards de dollars de réserve de change dont, selon la presse nationale, une partie – 40 milliards de dollars ont été investis dans l’achat de bons du trésor américain – sont le fait d’une conjoncture pétrolière favorable et non l’expression d’une stratégie de développement. Là également, cette décision d’acheter des bons du trésor US a été prise en toute opacité sans que le Parlement, censé contrôler la politique du gouvernement, en soit informé. Et même informé depuis lors, parce qu’aujourd’hui c’est de notoriété publique, ce Parlement élu comme on sait, par moins de 30% d’Algériens, ne s’est même pas saisi de la question. Pourtant, les intérêts que rapporteront ces achats de bons du trésor américain ne compensent même pas la perte engendrée par le dollar par rapport à l’euro. Et l’Algérie, parce que c’est un petit pays – ce n’est ni la Chine ni le Japon qui sont les plus grands acheteurs de bons du Trésor américain -, ne peut pas retirer ces 40 milliards de dollars sans risquer d’encourir les foudres de Washington.
Ajoutons pour terminer, qu’en matière d’informatique et d’accès à l’Internet, l’Algérie se classe derrière le Maroc et la Tunisie, pays moins pourvu d’argent que le nôtre ! C’est dire…
Pour toutes ces raisons, la liberté d’expression est un besoin vital pour le pays. Dans ce cadre, le livre de Benchicou, loin d’être un pavé dans la marre – ce serait bien réducteur pour son auteur– , et loin de toute vengeance personnelle du fait qu’il ait passé deux ans de prison, participe de la nécessaire clarification du débat politique. L’Algérie en a besoin si l’on veut qu’elle s’en sorte et qu’elle ne reste pas à la traîne du Maghreb.

H.Z

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Commentaires (2) | Réagir ?

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Khelaf hellal

Dans leur crise de jalousie amoureuse et aveugle, les harceleurs de Mohamed Benchicou, persuadés qu'ils sont qu'il parlait surement de Jules d'Algérie sans avoir lu son nouveau livre exposé : LES GEÖLES D'ALGERIE ont répondu dans un livre d'amour fort intitulé : LES CHICOUREÖLES D'ALGERIE.

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takfarinas

Quant à moi je me pose la question : pourquoi les écrivains que vous avez cités et d'autres n'ont-ils pas manifestés leur solidarité avec Mr Benchicou comme le fait aujourd'hui Mr Benfodil ?

Merçi pour la réponse si vous en avez une et merçi pour votre contribution à ce journal.