Ali Kafi : "Si Amirouche était en vie, il aurait exécuté Saïd Sadi"

Ali Kafi
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Ali Kafi est fâché. L'ancien président du Haut-Conseil d’État (HCE) et colonel de la Wilaya II (le Nord constantinois), s'emporte à son tour contre Saïd Sadi et contre son livre sur le colonel Amirouche intitulé Amirouche : une vie, deux morts, un testament.

Ali Kafi s'exprimait lors d’une rencontre à bâtons rompus avec des journalistes de deux journaux francophones (Liberté, El Watan) et de deux autres arabophones (El Khabar, El Fadjr) tenue jeudi, chez lui au Club-des-Pins (Alger)

"Au vu de la faillite qui a gagné son parti, veut-il peut-être rebondir sur la scène en enfourchant le cheval de la grandiose Révolution qui a libéré le pays. Saïd Sadi n’a pas le droit d’écrire sur l’Histoire. Il est psychiatre et non pas historien. De plus, n’étant pas un acteur de la Révolution, il est très loin du processus historique de notre Révolution. Il ne l’a pas vécue, donc il ne peut pas s’en imprégner”.

Kafi s'interroge sur le moment choisi pour la parution de ce livre, à savoir la campagne menée par la France par le biais de son ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, mais aussi le doute jeté sur le nombre de moudjahidine. “Est-ce qu’il y a coordination ou s’agit-il d’une simple coïncidence ?”, s’est-il interrogé «Je ne réponds pas à Sadi, car il n’est pas historien et il est loin de la marche historique de la Révolution. C’est le timing choisi qui a attiré mon attention. La sortie du livre intervient au cours de cette campagne que mène la France contre les moudjahiddine et ce qu’on appelle communément la famille révolutionnaire.» «Le deuxième point est lié au document criminalisant le colonialisme qui a provoqué une secousse en France. Y a-t-il un rapport ?» «Ou s’agit-il de la faillite de son parti et qu’il veut rebondir en utilisant des figures célèbres et salir la mémoire des honorables hommes ?», a regretté Ali Kafi. Ce sont autant d’interrogations qu’a soulevées Ali Kafi. Avant de juger «irresponsable le fait de douter du patriotisme des révolutionnaires et de jeter l’anathème sur la révolution». Le colonel de la Wilaya II mis en cause dans le livre de Saïd Sadi a décidé donc de rompre le silence et de livrer sa version des faits. D’emblée, Ali Kafi a rejeté catégoriquement l’idée défendue par Sadi dans son livre qui consiste à dire que «Amirouche a été livré aux Français par Boussouf et Boumediène».

Pour Kafi, il s’agit là «d’une contrevérité historique». «Est-il possible que Boussouf pouvait comploter contre deux colonels qui dirigeaient deux Wilayas historiques, pour qu’ils soient éliminés par les Français ? Prétendre cela, voudrait dire que Boussouf collaborait avec les Français et leur donnait des informations...» «Boussouf ne pouvait pas comploter contre Amirouche. C’est une affabulation et un mensonge grotesque», a affirmé A. Kafi. S’agissant de Boumediène, l’ancien colonel de la Wilaya II a affirmé que c’était un personnage complètement effacé. «Pour ce qui est de Boumediène, il était inconnu. Il était complètement à la marge, il évoluait à l’ombre de Boussouf. De ce fait, il ne pouvait pas comploter contre un géant comme Amirouche. Boumediène ne savait pas où a commencé l’histoire», a indiqué Ali Kafi. «En disant cela, je ne défends pas Boumediène d’autant plus que je ne partage rien avec lui. Bien au contraire, nous n’avons jamais été d’accord. Il a réuni autour de lui la clique de la France (les déserteurs de l’armée française, nldr) et le reste tout le monde le connaît», a affirmé A. Kafi.

Pour appuyer ses propos, Ali Kafi est revenu sur cet épisode qui a coûté la vie à deux figures de la Révolution. «Ceux qui étaient à Tunis tombaient souvent dans des conflits et des problèmes internes. Et pour pouvoir les régler, ils faisaient appel aux gens de l’intérieur qui n’ont jamais eu de conflit. En 1959, un conflit a éclaté entre le CCE et le GPRA, après la démission de Mohamed Lamine Debaghine de son poste de ministre des Affaires étrangères. Ils convoquent une réunion des colonels à Tunis pour aider à solutionner cette crise. Nos frères de l’extérieur nous ont contactés, le 15 mars 1959, pour se rendre à Tunis et c’est moi qui étais chargé de contacter Amirouche et Si El Haoues étant donné que le contact direct avec eux n’était pas possible. Le télégramme nous ait parvenu du ministère de la Défense par le biais de Mohammedi Saïd. Il est dit dans ce message : "Vous devriez venir en urgence pour débattre des questions concernant la révolution. Tout ça avant d’enchaîner : "Si Amirouche était encore en vie, il aurait exécuté son propre fils ainsi que Saïd Sadi", s’est-il emporté.

"Je ne sais pas pourquoi ils écrivent sur cette période de l’Histoire alors qu’ils ne sont pas concernés. L’Algérie, ce n’est pas la Wilaya III seulement et celle-ci n’est pas leur propriété. Abane, Amirouche et Krim, qui sont les enfants du mouvement national, ne leur appartiennent ni ne partagent les mêmes idées. Il ne faut pas rabaisser la stature de ces grands hommes. Pour moi Amirouche, avec toutes les erreurs commises, restera un des symboles de ce pays”.

Ali Kafi a adressé un vif reproche aux historiens algériens. "Nos historiens sont lâches et des entremetteurs. Ils n’écrivent pas", s’est-il emporté avant de s’en prendre à l’État qui, dit-il, ne joue pas son rôle et ne défend ni n’écrit l’histoire de la Révolution. "Pourquoi on n’écrit pas notre histoire ? La France a-t-elle peur que l’histoire de l’Algérie soit écrite ? Y aurait-il des Algériens qui seront dérangés par l’écriture de l’histoire ?", s’est-il interrogé.

“La Bleuite est la plus grande erreur d’Amirouche”

Selon l’ancien président du HCE, Amirouche était tombé dans l’erreur de douter de tout le monde : les médecins, les infirmiers jusqu’à son propre secrétaire, Tahar Amirouchène. Il avait mis en place un comité mobile, présidé par Hacene Mahiouz, chargé de juger les personnes incriminées. Résultat des courses : plus de 1 800 jeunes lettrés avaient été exécutés. D’où tient-il ce chiffre alors que les archives de la Wilaya III n’avaient fait état que de la mort de 350 personnes ? "C’est Amirouche lui-même qui me l’avait donné dans une lettre qu’il m’avait envoyée. Malheureusement, cette lettre comme beaucoup d’archives de la Wilaya II, avaient été brûlées par Attaïlia pendant la guerre", explique-t-il.

Mais la bleuite avait-elle touché d’autres Wilayas ? Réponse : “On m’avait parlé de 400 à 500 morts dans la Wilaya IV. Il y avait aussi des exécutions dans la Wilaya I. Mais pas une seule personne n’avait été éliminée en Wilaya II.”

Il assure avoir vivement protesté auprès du GPRA pour avoir envoyé des félicitations à un responsable qui "avait commis une telle boucherie". Pourtant dans sa réponse à Amirouche en date du 23 août 58, Ali Kafi avait écrit : "Nous avons étudié avec soin la lettre en date du 3 août courant et où vous nous appreniez la découverte d’un vaste complot ourdi contre la Wilaya III. Nous tenons à vous féliciter pour la mise hors d’état de nuire de ce complot." (voir la page 127 des mémoires d’Ali Kafi).

Selon Ali Kafi, la délégation de la Wilaya IV, à laquelle Amirouche a servi de guide, était tombée dans un accrochage au niveau de Palestro. Amirouche a alors fui en abandonnant ses hôtes dont Ouamrane qui a été blessé à la main. "On appelait Amirouche ‘Taxi Ami Salah’", ironise-t-il. Poursuivant son récit, Ali Kafi affirme : "On s’est retrouvé tous dans une maison à Michelet. Repérant Amirouche isolé dans un coin tout empêtré dans sa kechabia, Abane l’avait sermonné devant tout le monde en le traitant de tous les noms d’oiseaux. Il lui cria à la figure : "J’emmerde celui qui t’a nommé officier" (inaal bouh lisemak dhabet). Mais comment alors avait-on confié la responsabilité des préparatifs et de la sécurisation du Congrès à Amirouche qui, en plus des félicitations des congressistes pour l’impeccable organisation de ce grandiose événement, s’était vu chargé par la suite de la délicate mission d’aller dans la Wilaya I, c’est-à-dire les Aurès, pour mettre fin aux dissensions qui la minaient ? Kafi n’en souffle mot.

Séquestration des ossements d’Amirouche et de Si El-Haouès :

"Un crime impardonnable"

Sans détours, Ali Kafi a qualifié la séquestration des ossements des colonels Amirouche et Si El-Haouès de "crime impardonnable". "Cela ne fait pas très longtemps que je suis au courant de cette affaire. Mais je la considère comme un crime impardonnable contre les chouhada". De son point de vue, Bencherif doit dire ce qu’il sait de cette affaire sans se défausser sur Kasdi Merbah.

L.M.

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Commentaires (113) | Réagir ?

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fateh yagoubi

merci

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departement education

Merci pour cet article

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