« Le Poète et le tyran », un poème de Ben Brik en prison

Taoufik Ben Brik, journaliste tunisien, arrêté pour une prétendue affaire d'agression, doit être jugé le 19 novembre. Depuis sa prison de Monarguia, à 30 km de Tunis, il a écrit ce poème.

Monsieur le Juge,

le prévenu a-t-il droit à une parole licite ?
Comment, alors que vous m'interrompez
exigeant un non ou un oui…
Le droit, je vous le dis, votre Honneur,
pour nous autres Arabes,
qui sommes peuple amateur de préliminaires
avant toute réponse !

A présent, vous allez m'écouter…
Le marché, la grand-place, le ventre de la ville
grouillent de cette clameur :
la justice, en mon pays, est inexistante ;
la justice passa et s'en fut ;
la justice a rejoint le Sein du Seigneur,
qui fit que nul n'est pérenne,
fut-il magnifique ou tyran.

Ne vous souciez point de ces mots,
les gens sont saisis de fièvre délirante
et d'hallucinations.
J'ai vu, quant à moi, de mes propres pupilles
ce que la cécité des mécréants ne saurait distinguer,
le fin mot de l'histoire :

la justice n'est pas absente,
c'est la cause qui est illusoire,
ou l'accusation, si vous préférez, qui peine à exister
condamnée qu'elle fut à la peine capitale.
Nous sommes alors aujourd'hui jugés et condamnés
en manque d'accusation.
Comme l'amant est en manque de sa bien-aimée,
Je me consume de désir pour une accusation savoureuse.

Monsieur le juge vénérable
scrutez bien avec moi ces fariboles
exercez votre perçant jugement :
L'on m'accuse d'avoir administré une torgnole
à une dame innocente,
de l'avoir gratifiée d'une ruade,
d'avoir tiré sa chevelure de sirène,
griffé ses joues de pomme rouge,
brisé ses côtes de gazelle…
Comment un poète peut-il commettre autant de fautes de goût ?

Notre poète disait
« nous aimons le pays comme nul ne l'aime »,
je réponds en contrepoint
« j'aime les femmes comme nul ne les aime ».

A toutes les femmes de la terre et des cieux j'ai chanté :
la foudre a tonné sur les contreforts du Kef,
son écho a atteint les confins des terres de Abid,
j'ai cru entendre là le tonnerre de Dieu,
c'était en fait le rire de ma bien-aimée.

A la policière travestie je voudrais dire :
tu es la bien-aimée, tu es le poème,
mais où se scèle donc la vérité ?
Tu fus dure avec moi,
sans répit ni nuance,
j'aurais préféré que tu me taxes d'assassin
ou de voleur de tout ce qui fut thésaurisé durant votre règne.
Mais rosser une femme ? Que désastre !
Où donc se scelle la vérité ?

La vérité est que je me suis aventuré
dans les recoins du palais du dragon,
une promenade devenue cauchemar sans issue.
La vérité est que c'est une affaire
entre moi et Zaba le Grand,
souverain du pays,
une affaire qui concerne Hallaj, le poète et le tyran,
Charlie Chaplin et le dictateur,
Shéherazade et Shahryar…

Dites à mon geôlier de ne pas se fâcher.
Je ne suis, quant à moi, pas en colère,
l'esprit en paix
non pas parce qu'innocent,
parce que coupable de l'avoir dépouillé
de ses derniers masques et parures,
de l'avoir laissé nu comme un nouveau-né
en proie aux moqueurs et aux ricanants.

Ceux qui ne sont point familiers du soleil
sont atteints, à la lumière, de glaucome.
Le soleil se lève, alors sauve-toi, vampire !
Buveur de sang !
Fuis ! Fuis ! Et fais ce qu'il te plaît.
Mes paroles sont libres
comme le souffle de la brise !
Aucune geôle ni aucune cage
ne peut retenir le fugitif qui te parle
de derrière ces barreaux.

Quand la récitation servile
sera étouffée par la bonne nouvelle,
le jour venu,
tu seras humble et poli…
Carthage, cette tombe lugubre où manque le cadavre…

L'idiot fléchira pour faire place à l'étendard et à la bataille.
Tu lâcheras la bride à la démesure
et n'étouffera point le hennissement de ta monture
Elle porte en sa croupe un combattant…

Plaidoyer du détenu N°5707
Bloc H, Aile 2, Cellule 2
Prison civile de Mornaguia
Taoufik Ben Brik

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Commentaires (5) | Réagir ?

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BOUKEZOUHA abdelouahab

a sawless, eh bien ne pensez vous pas que vous avez assez gerber et, evacuer votre venin continuer alors a gerber sortez du fin fond de vos trippes le venin qu'il contient ca ne changera rien a rien pauvre malade allez voire un psychiatre et si ca ne va pas mieux il ne vous restera qu'a vous pendre.

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sawles

à chaque fois que j'entend le mot arabe sa me donne envie de gerbé, nous peuple de tamazgha nous devons tiré toute les conseconses des trahisons des arabes a notre encontre comme pendant la gerre d'algerie nous etions utiliser comme de la chair a canon alors ques les khorotos se la coule en douce a oujda en attendant l'independance pour nous imposer un nouveau colonialime arabos baâthistes, , ,

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