Interview de Djilali Hadjadj: la multiplication de ces pratiques répressives ne préfigure t-elle pas du retour aux assassinats politiques ? (2ème partie)

Interview de Djilali Hadjadj: la multiplication de ces pratiques répressives ne préfigure t-elle pas du retour aux assassinats politiques ? (2ème partie)

Le Matin : Certaines associations et personnalités ont fait part de leurs craintes d'un musèlement accru des libertés en Algérie, partagez vous ces appréhensions?

Le retour en force d’un Etat policier, autoritaire, répressif et liberticide, est un des principaux indicateurs du maintien de l’Algérie parmi les pays cancres de la corruption au sein de la communauté internationale.

Le coût de la corruption pour les Algériens est très élevé : Etat déliquescent, terrorisme sempiternellement "résiduel", pouvoir rentier, économie en faillite, paupérisation de masse, administration publique gangrenée et obsolète, etc. Le fossé se creuse de plus en plus entre le pouvoir et l'écrasante majorité des Algériens qui semble décidée à prendre en charge son destin.

L’Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC) avait placé dès 2006 la journée du 9 décembre - journée des Nations unies contre la corruption depuis 2003 (année de l'adoption de la Convention contre la corruption) -, sous le signe de «La protection des dénonciateurs et des victimes de la corruption» ! Et pour cause, et ce n’est d’ailleurs certainement pas un hasard, si les dénonciateurs de la corruption en Algérie subissent systématiquement des représailles et des intimidations de toutes sortes. Pour rappel , le 8 novembre 2006, M. Bououni Achour, secrétaire général du «Syndicat national des électroniciens et électrotechniciens de la sécurité aérienne» (SNESA), issu de l’Etablissement national de la navigation aérienne (ENNA), et membre de l’AACC, – au moment où il déposait une plainte auprès de la brigade de gendarmerie suite à une agression et un vol dont il a été victime et dont les auteurs sont des agents de sécurité de l’ENNA —, était mis en état d’arrestation par 3 personnes civiles qui n’ont pas indiqué à quel service de sécurité ils appartenaient (on saura par la suite que c'étaient des agents du DRS), embarqué dans un fourgon cellulaire banalisé, jeté dans un cachot sans lumière de jour comme de nuit et où il fut enfermé jusqu’au 14 novembre, le tout entrecoupé d’interrogatoires poussés et de périodes d’isolement total, puis emmené menotté au tribunal militaire (!) de Blida où le procureur militaire lui fit lecture des charges contre lui, suite à la plainte du directeur général de l’ENNA : atteinte à la sûreté de l’Etat, espionnage au profit de puissances étrangères, divulgation de secrets militaires, etc. !

Une des lectures à faire de l'interdiction de la participation de notre association à la 3ème Conférence des Nations Unies contre la corruption à Doha, c'est que le pouvoir algérien est monté d'un cran dans sa politique répressive. Après nous avoir "tolérés" - c'est l'expression qu'il a utilisé à notre égard, tout en multipliant toutes de sortes de pressions et d'harcèlement, il vient de nous signifier une "fin de récréation" !

Il est en train de nous interdire de fait, confirmant son implication dans les agressions, intimidations, et toutes sortes de difficultés et de tracasseries que notre association subit depuis plusieurs années.

Les faits que nous allons évoquer n'ont jamais été rendus publics à ce jour, notre association craignant surtout les effets démobilisateurs que cela auraient entraînés notamment dans ses rangs et parmi nos nombreux amis, soutiens et sympathisants !

A propos des agressions , un exemple parmi tant d'autres ( cités notamment plus haut ) : le siège central de notre association à Alger a été cambriolé 2 fois en 2005 et 2006, et des insultes ( à ce jour non effacés ) ont été écrites à la peinture sur les murs du siège . Comment dans ces conditions - une insécurité totale -, peut-on se réunir dans ces locaux, y recevoir ou y tenir des permanences ? Pour l'anecdote, malgré un film remis à la police où apparaissait un des cambrioleurs sur les lieux de son forfait, donc formellement identifié et localisé, les auteurs du cambriolage ne seront appréhendés que 3 mois plus tard, après que notre association ait menacé la DGSN de rendre public un communiqué qui aurait été accablant pour les services de sécurité, mais les "voleurs" repris de justice ne seront pas inquiétés outre mesure par la justice !

Plus grave encore, notre siège régional à Khenchela a fait l'objet de 3 cambriolages de 2007 à 2009. Lors de ce dernier vol, nous avons quand même pu empêché la disparition d'unités centrales de nos ordinateurs : surpris par un membre de notre association, les "cambrioleurs" n'auront pas eu le temps de tout prendre. Pour l'ensemble de ces faits, ni les services de police ni ceux de la justice ne se sont beaucoup mobilisés pour appréhender les auteurs de ces effractions. Nos propres "enquêtes" nous font soupçonner fortement l'implication de repris de justice indicateurs des services de sécurité ! Avec du recul, c'est certainement une erreur de notre part que d'avoir tu ces graves évènements.

Depuis plusieurs années maintenant, les pouvoirs publics et ses officines en tous genres se distinguent par une répression tous azimuts à l'encontre des associations et des syndicats autonomes, contre les éditeurs de presse et les journalistes indépendants, contre l'opposition, contre les populations qui se révoltent à juste titre contre toutes sortes d'injustices. Les libertés s'amenuisent de plus en plus, et le pouvoir ne recule devant rien pour arriver à ses fins.

Même le très peu reluisant réseau Internet - coûteux pour les usagers et très difficile d'accès -, n'échappera pas à cette répression et à ces interdictions : il sera encore beaucoup plus contrôlé et muselé par le pouvoir ! Se rappeler par ailleurs la grande "découverte" du ministre de l'intérieur en 2008 suite aux tragiques évènements de Ghardaïa et de Bériane : " des unités centrales d'ordinateurs ont été récupérées chez des manifestants : ils contiendraient des messages échangés avec des organisations étrangères !"

La loi de 1990 sur les associations - positive au demeurant-, non respectée et violée depuis par tous les gouvernements qui se sont succédés, n'échappera pas aux pratiques scélérates du pouvoir : l'Exécutif est en train de lui substituer une loi liberticide pilotée par ses "polices politiques".

Le Matin : Émeutes populaires et luttes radicales pour la démocratie et les droits de l'homme se multiplient à travers le pays, quelle lecture faites vous ?

Le fossé se creuse de plus en plus entre le pouvoir et l'écrasante majorité des Algériens qui semble décidée à prendre en charge son destin.

Depuis quelques années, la société civile mène de multiples combats pour une vie meilleure. Elle exige des administrations locales voire centrales, de rendre compte de leurs activités et de l'utilisation des énormes ressources financières. La revendication pour le droit à plus de progrès et de justice sociale s'est souvent exprimée dans des émeutes de plus en plus fréquentes. A croire que c'est devenu le seul moyen de se faire entendre d'un pouvoir de plus en plus sourd et de plus en plus coupé des réalités.

De son côté, le peuple résiste de mille manières à ceux qui dirigent le pays et le mènent au chaos. La peur recule chez des millions d'Algériens, malgré la persistance de toutes sortes de violences et d'atteintes aux droits de l'homme : la lutte pour la survie et pour la liberté se poursuivent. Les conditions d'un sursaut pour arrêter le pillage et faire cesser toutes les violences sont‑elles réunies ? La société dans son ensemble a‑t‑elle suffisamment conscience de l'ampleur de la corruption qui s'apparente à une mise à sac du pays, hypothéquant la perspective de développement ? L'avenir nous le dira.

Malgré les représailles systématiques qu’ils subissent,- notamment de la part de leur employeur, des services de sécurité toutes casquettes confondues, et de la justice-, les dénonciateurs, les donneurs d’alerte, les victimes et les témoins de la corruption, loin de se décourager, sont de plus en plus nombreux et ne cessent, pour un grand nombre d’entre eux de rejoindre quotidiennement l’AACC.

Mais une question se pose à nous : dans ce contexte de plus en plus dangereux, peut-on continuer à mener quelques activités, même symboliquement ? Est-ce que la multiplication de ces pratiques répressives ne préfigure pas du retour aux assassinats politiques ?

L’AACC quant à elle, avec l’ensemble de ses partenaires et les citoyens honnêtes et intègres, avec le soutien des médias, poursuivra le combat pour la transparence dans la vie publique, en privilégiant notamment l’action de proximité, et en accentuant la pression sur les pouvoirs publics à tous les niveaux.

Le Matin [ 1ère partie >> ]

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Commentaires (6) | Réagir ?

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Anzar

Même dans un monde dit globalisé, il existe des ensembles et sous ensembles de pays qui fonctionnent selon des standards admis par les uns et autres. C'est l'existence de ces ensembles (union européenne par exemple), avec leurs critères sélectifs et opposables à tous les pays de cette union qui ont permis à des Etats qui ont adhéré et ceux qui viendraient à y adhérer de sortir de la spirale des la corruption, de la dictature et du sous développement multiforme qui les frappait. Il y a des années de cela, de cela c'étaient l'Espagne la Grèce et le Portugal. Aujourd'hui ce sont des pays qui sortent du joug du communisme après la chute du mur de Berlin qui regagnent cet ensemble de pays démocratiques. Cela s'est fait après une longue période probatoire d'assainissement qui a vu ces Etats entreprendre de grands efforts en matière dans leur pratique du pouvoir, sans quoi ils n'auraient aucune chance d'y adhérer. Notre pays l'Algérie se réclame d'un ensemble politique qui s'appelle le monde arabo-musulman. Dans ce conglomérats de pays corrompus, dictatoriaux et fascistes, il ne subsiste aucune règle qui contraint ces dirigeants le moindre de standard de gouvernance. Tels qu'ils sont ils liguent contre leurs peuples qu'ils dans l'ignorance, la misère et le denim de droit le plus élémentaire. Comment donc voulez-vous qu'il sorte quelque chose de positifs dans ces sphères géographiques qui regroupent ces régimes, du moins, pacifiquement ?

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antalas

UN GRAND BRAVO A MONSIEUR HADJADJ DJILLALI ET SES CAMARADES DE LUTTES... JE SUIS FIER D'ETREALGERIEN AVEC DES HOMMES DE VOTRE TREMPE!!

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