Colonialisme et discours de Dakar : Quand Jean Daniel défend Sarkozy

Je ne veux faire à Ségolène Royal nulle peine, même légère. Et quoi qu'il arrive, j'aurai admiré son parcours et je la crois habitée. Je trouve même rafraîchissante cette farandole de la fraternité où elle invite à s'enrôler et qui semble contagieuse puisqu'elle a entraîné mon ami Régis Debray.

Cela dit, je vais me permettre de lui faire une suggestion concernant son discours de Dakar, qui va sans doute la surprendre puisqu'elle a reçu le soutien enthousiaste de ses auditeurs sénégalais, de ses amis, de Martine Aubry et des socialistes. Cette suggestion est que, après avoir demandé pardon au nom de la France pour les propos tenus par le président de la République, elle présente en son seul nom des regrets pour une omission grave dont elle s'est rendue coupable.

Dans le discours de Nicolas Sarkozy qu'elle a dénoncé, il y avait en effet deux grandes parties d'égale longueur. Elle n'en a cité qu'une et ce n'est pas bien. Certains passages de la première partie constituaient en effet une profession de foi anticolonialiste comme je n'en ai jamais entendu, dans ma très longue carrière, venant d'un homme d'Etat, qu'il soit de la majorité ou de l'opposition.

Ni Gaston Defferre, quand il a fait la loi-cadre ; ni de Gaulle dans son discours de Brazzaville ; ni Mendès dans son discours de Carthage ; ni enfin Mitterrand dans ses déclarations de La Baule ne sont allés aussi loin dans la condamnation du cynisme et de la barbarie avec lesquels les Européens ont envahi l'Afrique, volant ses biens et violant son âme. Peut-être, à la rigueur, pourrait-on trouver quelque chose d'approchant dans les discours d'hommes d'Etat latino-américains dénonçant la conquête espagnole. Il faut donc lire cette première partie du discours et, l'ayant lue, il n'est pas honnête de l'ignorer.

Nicolas Sarkozy se fût-il arrêté là qu'on louerait son audace. Mais il a cru bon de se laisser aller à une méditation ethnologique douteuse et dépassée sur la façon dont les Africains n'étaient pas "entrés dans l'histoire". Aux yeux de ces exclus, toute idée de progrès et d'avancée était supposée demeurer étrangère. Ce n'était évidemment ni le lieu, ni la méthode, ni le moment pour se livrer à un débat qui eut son heure, mais dont la consonance manifeste aujourd'hui une arrogante condescendance. Elle a choqué nombre d'Africains.

Ségolène Royal aurait pu se livrer à une critique féroce du manque de cohérence dans les inspirations de l'entourage présidentiel. Elle aurait pu remarquer que ce n'était pas la première fois qu'une histoire aussi déplorable était arrivée au président. Après l'admirable discours de Constantine, il y avait eu les dérapages du Vatican. Les désordres élyséens sur ce plan sont désastreux et Ségolène aurait pu les dénoncer à loisir. C'est pourquoi aujourd'hui des regrets me paraîtraient opportuns. Je ne lui demande pas de retirer l'une quelconque de ses déclarations. Je lui demande seulement d'y ajouter un correctif.

ARGUMENTS IRRÉFUTABLES

J'éprouve le besoin de souligner cette défaillance parce qu'une bonne partie de ma vie aura été consacrée à l'anticolonialisme. Je connais les Africains et particulièrement le Sénégal. J'ai été longtemps l'ami proche de Léopold Sédar Senghor. C'est un homme qui pouvait être intransigeant : il l'a été envers le président malien Modibo Keita. Il pouvait être cruel : il l'a été avec son rival Mamadou Dia.

Mais autant il défendait de manière sourcilleuse l'honneur de la négritude, autant il détestait que l'on accable la France auprès de ses compatriotes. Aujourd'hui, Ségolène et ses amis sont célébrés. Mais demain, si elle n'y prend garde, l'histoire risque d'être plus sévère. Lorsqu'on s'arroge le droit de critiquer à l'étranger le pays légal au nom d'une France réelle, il vaut mieux que ce soit avec des arguments irréfutables.

Jean Daniel est fondateur du "Nouvel Observateur" et éditorialiste.

Le Monde
Article paru dans l'édition du 17.04.09

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Commentaires (7) | Réagir ?

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timanit

Ce sont ces soi-disant amis des états africains à l'image de l'Algérie mais ce sont les ennemis du peuple africain. Détrompons nous, ils sont les amis de nos bourreaux qu'ils soutiennent et protégent. L'état français et ces relais ne sont pas les amis des Africains, ne soyons pas dupes... C'est eux qui empêchent toute évolution salutaire car ce statuquo leur profite. Il demeure toujours l'Éternel colonisateur avec la complicité de nos gouvernants dictateurs.. C'est cela la réalité. Si nous ne nous prenons pas en main compter pas sur nos bourreaux pour nous délivrer.. Tout ce négocie en coulisse sur notre dos.

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karima

Tant que jean daniel ne dénonce pas la fraude qui s' est emparée de nos institutions pour elire boutef;tant que jean daniel ne prend pas position contre le viol de la constitution qu 'a réalisé le pouvoir algérien, il n'est plus pour moi un intellectuel engagé. sa position et ses liens avec l algérie l 'oblige à afficher ses idées dans ce gros probléme algérien. il pourra alors parler de l'AFRIQUE et contester ségoléne ROYAL qui peut ne retenir que ce dont elle a honte du discours de sarko... le silence condamnable de j-DANIEL dans la farce électorale algérienne lui fait perdre toute estime et toute crédibilité quant à ses amities avec l afrique et les peuples de l afrique.

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