Clause de la préférence nationale en Algérie : pourquoi ça coince ?

Durant l'embellie financière, les marchés publics ont bénéficié aux entreprises étrangères.
Durant l'embellie financière, les marchés publics ont bénéficié aux entreprises étrangères.

Pour faire appliquer une clause du Code des marchés publics algériens, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, a recouru, la semaine passée, à une directive adressée aux maîtres d'ouvrages, constitués par les différents démembrements de l'Etat, gestionnaires de la commande publique.

Cette clause est conçue par le gouvernement afin de réserver, dans le cas d'appels d'offres internationaux, une part de 25 % de leurs offres aux entreprises algériennes. Le premier paradoxe qui s'impose à l'esprit le moins averti, c'est bien ce rappel quasi régulier des responsables de l'Exécutif par lequel ils tentent de conférer, laborieusement, force de loi à un article, pourtant bien clair, du Code des marchés publics. Cet article, numéro 83, stipule: "Une marge de préférence, d'un taux de vingt-cinq pour cent (25 %), est accordée aux produits d'origine algérienne et/ou aux entreprises de droit algérien, dont le capital est détenu majoritairement par des nationaux résidents, pour tous les types de marchés visés à l'article 29 [du Codes des marchés publics]".

Autrement dit, cette disposition n'est pas appliquée, ou rarement, par les différentes structures de l'Etat qui commandent des fournitures, des études ou des travaux auprès des opérateurs économiques.

La vérité est bien là. Elle l'était depuis au moins le lancement des grands chantiers des plans quinquennaux, au début des années 2000, lorsque l'argent de l'embellie financière était consacré à l'achat de prestations et de biens de l'étranger, au détriment de fournisseurs et des entreprises du pays.

Jusqu'à la survenue de la crise des revenus pétroliers en 2014, on parlait de plus de 600 milliards de dollars qui ont été dépensés dans les investissements publics consacrés aux infrastructures et équipements, mais qui ont profité principalement aux partenaires étrangers (singulièrement la Chine et les pays européens).

"Consommer national" : un slogan

Le résultat des courses, et ce, bien avant 2014, est l'affaiblissement caractérisé du tissu d'entreprises algériennes, aussi bien celles versées dans les prestations de services et travaux que celles qui produisaient de bien de consommation. Le slogan- "consommer national"- arboré par l'ancien Premier ministre, Abdelmalek Sellal, n'était, en fait, qu'un…slogan, qui était à mille lieues des réalités et des possibilités de l'économie algériennes de ces dernières années. Outre d'avoir enrichi les entreprises étrangères de bâtiment, de travaux publics, du domaine de l'hydraulique, et d'avoir "sauvé" la production européenne de la mévente à travers des importations tous azimuts, la politique de la commande publique et des importations en vigueur pendant plus de quinze ans a aussi rendu possible des fuites de capitaux, essentiellement à travers la surfacturation. L'aveu est venu des autorités officielles elles-mêmes, en plus du bruit fait autour de ce sujet par les médias et l'opposition politique.

Cette saignée de l'économie nationale a amené le gouvernement à tenter de tendre un petit canot de sauvetage aux entreprises algériennes, en introduisant dans le Code des marchés la clause de la préférence nationale à hauteur de 25% dans les attributions de marchés de fournitures, des études et des travaux, issus d'appels d'offres internationaux lancés par les institutions publiques (secteurs des travaux publics, transports, santé, hydraulique, construction de logements,…).

Déjà, bien avant que cette disposition soit introduite dans le Code des marchés publics, un arrêté interministériel a été adressé à toutes les structures publiques qui lançaient des appels d'offres internationaux, pour réserver 25 % de la commande aux opérateurs algériens. Cet arrêté a été rarement mis en application. Les opérateurs et fournisseurs étrangers continuaient de rafler la quasi-totalité des marchés publics algériens, avec certains résultats techniques contestables que l'Algérie est en train de découvrir dans le corps des ouvrages réalisés. Le président du conseil national consultatif pour la promotion de la petite et moyenne entreprise, Zaïm Bensaci, a estimé que, jusqu'en 2015, quelque 80% des marchés publics des groupes Sonatrach et Sonelgaz profitaient aux entreprises étrangères.

Pour rappel, une autre directive, celle-là du président de la République, datant de 2010, enjoignaient aux administrations de l'Etat qui sollicitaient des études dans le cadre des plans quinquennaux, de ne recourir aux bureaux d'études étrangers que dans le cas où l'expertise recherchée n'existe pas en Algérie. Il y a lieu de signaler que, à elles seules, les études et les expertises étrangères coûtaient au Trésor public 12 milliards de dollars par an, et ce, jusqu'au début du gel de certains projets à partir du début 2015.

Dans la foulée des désinvestissements des années 1990 et du démantèlement de son outil de production et de réalisation, l'Algérie a également beaucoup perdu dans son tissu de bureaux d'études, fait pourtant d'un encadrement de qualité. C'étaient des cadres qui avaient, pendant les années 1970, fréquenté les grandes écoles de travaux publics, ponts et chaussées, hydraulique, génie civil et architecture. Avec le démantèlement du secteur public, certains de ces cadres avaient tenté l'aventure de l'entreprise privée dans des circonstances de patente adversité. Le climat général des affaires, le déficit d'accès à des technologies spécifiques, le recul du niveau de formation universitaire et d'autres facteurs charriés par la crise multidimensionnelle (sécuritaire, économique, politique et sociale) des années 1990 avaient fait connaître aux bureaux d'études algériens une terrible régression.

Mettre sur un pied d'égalité les bureaux algériens et étrangers dans la compétition autour d'un appel d'offres lancé par l'État, équivaut à la mort certaine des entités algériennes, d'autant plus que l'importation de certains matériels techniques était soumise à des restrictions douanières.

Le gouvernement a tenté de faire face à cette situation avec le critère de la marge de préférence nationale (25 %) dont il fait bénéficier les entreprises algériennes dans le cadre des appels d'offres internationaux. Mais, un double écueil se mettra au travers de ce qui est censé être un bel avantage faisant partie de la politique de promotion de la production nationale. Il s'agit d'abord du degré de technicité et de moyens matériels et humains, dont le niveau d'exigence est rehaussé, à tort ou à raison, dans les cahiers de charges des maîtres d'ouvrage, de façon à ce que les entrepreneurs algériens ne puissent même pas soumissionner aux offres.

Ensuite, des gestionnaires de la dépense publique sont restés "sourds" aux différentes injonctions venant du gouvernement, et certains ont même manœuvré afin d'écarter les entreprises algériennes de la concurrence.

Cette manière de faire a contribué directement à élever la facture d'importation des biens et services à partir de l'étranger et à précariser l'outil de travail algérien au profit des importateurs (au nombre de 42 000), par lesquels transitent plus de 60 milliards de dollars et se concluent les surfacturations qui sont à l'origine de la fuite des capitaux. Une situation qui pénalise grandement les opérateurs économiques nationaux, pour lesquels on organise des scènes de folklore publicitaire du type "consommer national" ou de vaines opérations de crédit à la consommation. La morosité dans lequel baigne ce dernier, lancé il y a plus d'une année, montre la situation de détresse dans laquelle se trouvent les producteurs nationaux.

Amar Naït Messaoud

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Commentaires (12) | Réagir ?

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algerie

merci

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fateh yagoubi

merci

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