Une arme de destruction massive pour l’économie algérienne

Ali Benouari.
Ali Benouari.

Ce financement d’un genre très particulier, appelé non conventionnel, est l’une des mesures les plus importantes du Plan d’Action présenté par Ouyahia, dans la foulée de la décision du dernier Conseil des Ministres. Il en est même, et de loin, la seule justification, car ce Plan ne diffère en rien du Plan Tebboune, présenté au mois de Juin dernier, qui est lui-même dans la continuation du Plan Sellal de 2016. Tous ces plans s’inscrivant dans la logique du programme présidentiel depuis 1999.

Une nouvelle ruse du régime enveloppée derrière un nouveau Plan d’action ?

Cette grave décision interpelle l’ensemble des Algériens, tant ses conséquences risquent de précipiter notre pays dans une situation à la vénézuélienne.

Il faut dire qu’il survient dans un contexte de grave crise économique, fruit de 17 années de gaspillage, de gestion approximative et démagogique, dont les seuls effets notables ont été d’acheter la paix sociale à tous prix, d’enrichir des hommes d’affaires sans scrupules, complices du régime, et de compromettre gravement l’avenir du pays.

Les mesures présentées dans le Plan Ouyahia comme un ensemble de réformes à caractère politique, économique et social ne sont en réalité qu’un catalogue de vœux pieux, de slogans tels qu'"améliorer, dynamiser, soutenir, encourager, rationaliser, etc."

Nulle trace de bilan et d’autocritique, d’erreurs commises à corriger, alors que l’échec est patent, à tous les niveaux. Pourtant, en d’autres circonstances, aussi bien Ouyahia que Sellal ont déclaré "avoir échoué sur tous les plans", sans en tirer la seule conclusion qui s’impose : démissionner, ne serait-ce que pour servir de fusibles au Président.

Pour démagogique qu’il soit, on sent, derrière ses mesures les plus "hardies" l’influence du FMI, qui n’est jamais bien loin quand il s’agit de prodiguer des conseils à travers les rapports de consultation biannuels qu’il établit, en application de l’article IV de ses statuts.

Je doute que le régime aille jusqu’à réaliser ne serait-ce que le dixième de ce que le Plan d’action contient. A lire entre ses lignes, on devine cependant la volonté de remettre en cause les grands axes de la gouvernance suivie jusqu’ici, ainsi que la volonté de préparer l’opinion à assumer une austérité sans précédent. On y devine aussi la volonté de liquider ce qui reste du secteur public.

C’est l’épreuve de vérité pour le régime, qui se retrouve coincé, d’une part, entre la volonté de donner des gages au FMI et à ses partenaires étrangers et à ses futurs bailleurs de fonds et, d’autre part, par son incapacité à gérer la crise. Il sait, par ailleurs, que le peuple, flatté hier dans tous les sens, n’est pas prêt à accepter l’austérité qui s’annonce, d’autant qu’il sait que cette austérité sera tout sauf partagée.

Il se retrouve ainsi coincé entre l’enclume et le marteau. Dans ces conditions, il cherchera, à n’en pas douter, à gagner du temps, en retardant au maximum l’application des mesures annoncées. Gagner du temps, quitte à tromper, en même temps, et le FMI et le peuple. Mais la marge de manœuvre est devenue plus étroite que jamais et les faits sont têtus.

Le "financement non conventionnel" qu’on nous présente comme une panacée, voire comme un instrument de gestion utilisé par les plus grands pays, est en réalité, dans le contexte économique de notre pays, une arme de destruction massive de ce qui reste comme espoirs de redressement économique.

C’est l’unique recours d’un système de gouvernance qui a grillé toutes ses cartouches, qui sait que désormais il n’a plus les moyens financiers de sa politique. Il sait la paix sociale menacée, mais il doit se donner, coûte que coûte, les moyens d’assurer le fonctionnement des services publics, et notamment assurer le paiement des salaires des fonctionnaires, pilier du régime. A cet égard, il faut signaler la prépondérance des salariés des Départements de l’Intérieur et de la Défense (un tiers du budget de fonctionnement).

On ne doit pas considérer ce financement très particulier, qui est un financement monétaire, comme une préconisation du FMI, mais comme une alternative à la dévaluation massive, arme préférée de cette institution. Bien entendu, le FMI ne peut pas se substituer à la volonté politique du pays, tant que nous ne frappons pas à sa porte, dans le cadre d’un accord d’ajustement structurel qui viendrait consacrer une faillite déclarée.

La vraie nature du financement non conventionnel

Le pouvoir nous présente ce type de financement comme une panacée, voire un instrument de financement ordinaire, expérimenté sous d’autres cieux. En réalité, il n’est que le moyen de financer le déficit budgétaire par la création monétaire. Faute d’avoir assez de ressources fiscales pour financer les dépenses budgétaires, la décision a été prise de fabriquer de la monnaie sans contrepartie productive.

Rappelons que les contreparties de la masse monétaire en circulation sont l’or (dont le stock ne varie pas), les devises (en diminution en raison de la tenue du prix du pétrole et du gaz) et les avances au Gouvernement (au Trésor public) et à l’économie.

Les avances à l’économie sont représentées par le réescompte d’effets qui sont présentés par les banques commerciales à la Banque d’Algérie, effets de commerce représentatifs de crédits aux entreprises qui créent de la richesse,

Les avances au Trésor Public sont représentées par le découvert autorisé pour financer le déficit budgétaire. C’est une ligne de crédit non remboursable. Comme les dépenses budgétaires ne créent pas de la richesse, les avances au Trésor sont strictement plafonnées par la loi. L’article 45 de la Loi sur la Monnaie et le Crédit (LMC) les limite en effet à 10% des recettes fiscales ordinaires (hors donc les recettes tirées du pétrole et du gaz).

Le problème est que le Fonds de régulation des recettes a été épuisé depuis le début de cette année et que le déficit budgétaire atteint des sommes qui dépassent de loin ce qui peut être financé, sans danger, par la création monétaire.

Les 10% en question ne représentent que 300 milliards de dinars environ alors que le déficit prévu est de 1250 milliards. Encore que ce chiffre est largement sous-évalué. Le déficit probable sera plus près de 2500 milliards de dinars.

Le déficit pour 2017 est sous-évalué car, en l’absence d’un parlement crédible, la Loi de finances a surestimé les recettes (+30% pour les hydrocarbures, +13% pour les recettes fiscales ordinaires) et minimisé les dépenses (-28% pour le budget d’équipement et -4% pour le budget de fonctionnement). Impossible d’atteindre de tels résultats car, vu l’état actuel du marché pétrolier et gazier, on ne voit pas comment on peut augmenter les recettes en provenance des hydrocarbures de 30%.

Comment réduire, par ailleurs, le Budget d’équipement, déjà rachitique, de 28% sans freiner gravement les investissements dans les équipements publics et rogner davantage sur les subventions ? Sans provoquer, autrement dit, une flambée du chômage et du mécontentement social…

La solution imaginée est donc d’amender les statuts de la Banque d’Algérie. Il ne faut pas être grand clerc pour deviner que c’est le verrou de l’article 46 de la Loi sur la LMC qu’il faut sauter. Accessoirement aussi celui de l’article 45, qui interdit à la Banque d’Algérie d’acheter des Bons du Trésor ou de consentir des avances aux banques commerciales contre nantissement de Bons du trésor quand ces opérations sont traitées au profit du Trésor Public.

En attentant aussi gravement à l’indépendance de notre Banque centrale, dernière institution restée relativement indépendante, au moins sur le plan formel, le pouvoir s’arroge le droit de fabriquer à volonté des dinars, et ce, pendant 5 années (c’est écrit noir sur blanc dans le Plan d'action). C’est-à-dire jusqu’en 2022. Si mes estimations sont correctes, et en l’absence de dévaluation massive, ce sera pas moins de 10 000 milliards de dinars à fabriquer. Soit, en 5 ans, le double des dinars créés depuis l’indépendance !

Cette politique est à elle seule la plus parfaite illustration de l’échec dramatique des politiques économiques suivies depuis 1999.

D’autres choix étaient-ils possibles ?

- Il y a d’abord l’endettement extérieur, mais celui-ci continue d’être rejeté. Pas pour les bonnes raisons, d’ailleurs, et de toutes façons il est trop tard pour y recourir car l’urgence n’est plus dans le financement des investissements, mais dans celui de la consommation et des dépenses courantes. Et il n’est rien de pire que de financer la consommation par de l’endettement.

- Il y a ensuite la dévaluation. Le Pouvoir a été contraint d’y recourir, mais de manière graduelle, car il craint de ne devoir pas assumer ses conséquences sur l’inflation et le choc qu’elle induira sur le fragile tissu économique. La population ne peut pas ignorer en effet que la dévaluation est de la responsabilité directe des autorités. Elle leur imputera donc toutes ses conséquences.

Le dinar a commencé à être dévalué lentement mais régulièrement depuis deux ans, mais sa faible ampleur n’a pas suffi à rétablir les équilibres.

C’est l’arme favorite du FMI, pour qui il faudrait déjà dévaluer notre monnaie de 50%, pour commencer. Pour mémoire, le dinar a dévalué de 400% entre 1994 et 1997, consécutivement à l’accord d’ajustement signé avec le FMI.

- Il y a, enfin, les réformes tendant à corriger les problèmes structurels de notre économie, source des déséquilibres financiers. Mais outre leur caractère impopulaire, il faudrait du temps, au moins 4 à 5 ans pour que ces réformes commencent à donner leurs fruits. Or le régime ne dispose ni de temps ni de la légitimité nécessaire pour les accomplir.

Le financement monétaire de l’économie est donc apparu comme la bouée de sauvetage du régime, à la fois :

- Pour financer le déséquilibre entre les recettes et les dépenses fiscales, c’est-à-dire le déficit du Budget de l’Etat (réparti entre les budgets de fonctionnement et d’équipement, dans une proportion de 2/3-1/3). Ce déficit survenant par suite de la baisse prononcée du prix du pétrole depuis 2015.

- Pour équilibrer les comptes extérieurs (la balance des paiements). Comment ? Par la réduction des importations. Le financement par la planche à billets va engendrer une inflation importante qui aboutira à réduire le pouvoir d’achat des ménages et des entreprises, qui ainsi consommeront moins. Puisqu’on ne pourra pas satisfaire la demande interne par une production locale, on aura moins besoin d’importer. C’est ce qu’on appelle une politique de la demande, par opposition à une politique de l’offre. C’est l’exact opposé de la politique d’achat de la paix sociale suivie entre 2000 et 2015.

En résumé, on finance les déficits par de l’inflation. Assimilable à un impôt invisible, très lourd, qui frappera surtout les classes pauvres et moyennes. Une inflation qui résultera de la fabrication d’énormes quantités de dinars, sans contrepartie productive.

Les épargnants seront aussi touchés, car l’épargne sera mangée par l’inflation. Pour l’éviter, les épargnants se détourneront des banques, au moment où l’on connaît un assèchement des liquidités bancaires et se tourneront vers les biens durables ou, pire, vers la devise sur le marché parallèle. Quant aux entreprises, elles auront du mal à emprunter pour financer leurs investissements car les crédits leur coûteront beaucoup plus cher.

En plus de l’inflation, nous aurons donc un ralentissement général de l’activité économique qui aggravera le chômage existant. Voilà pourquoi la monétisation sans limite de la dette publique est considérée comme la pire des solutions, pire même que le financement par la dévaluation. Car la dévaluation, même si elle est aussi un aveu d’échec, reste une décision de gestion, politiquement assumée, qui oblige donc les pouvoirs publics à prendre un certain nombre de mesures de sauvegarde. Pour protéger le tissu économique et les populations les plus vulnérables.

A part ses inconvénients connus, la dévaluation présente aussi quelques effets positifs, en particulier sur les exportations hors hydrocarbures, qui sont justement un des axes du plan d’action, et sur le tourisme.

Le financement monétaire, au contraire, détruit l’économie par ses ravages inflationnistes tout en provoquant une flambée du chômage à des niveaux sans précédent. De plus, en cachant ses effets à la population, le Pouvoir s’évite de devoir les gérer. C’est de la gouvernance par traîtrise, en somme.

Le rôle de la création monétaire est d’encourager la création de richesses, non à appauvrir le pays en l’inondant de fausse monnaie. En agissant ainsi, l’Etat se comporte comme un contrefacteur, délit réprimé par le code pénal, comme cela est écrit sur nos billets de banque.

Il est du devoir des économistes algériens comme des forces d’opposition d’informer les citoyens sur ce nouveau méfait, d’un genre inédit.

Ali Benouari

Président de Nida el watan.

Ancien Ministre du Trésor

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Commentaires (13) | Réagir ?

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algerie

merci

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algerie

merci

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