Partage de la rente pétrolière et Etat de droit : quel processus ? (II)

Tebboune n'a-t-il pas appliqué à la lettre le programme présidentiel ?
Tebboune n'a-t-il pas appliqué à la lettre le programme présidentiel ?

L’utilisation des outils des sciences sociales et des résultats de la recherche, ainsi que l’esprit critique chez la jeunesse, sont de moins en moins des "compétences" utilisées, dans les argumentaires, en particulier, dans la confrontation avec les courants hostiles à la démocratie, la tolérance, à l’égalité entre la femme et l’homme et aux valeurs humanistes, cela malgré la forte implantation de l’université (au moins, du point de vue quantitatif), avec déjà un faible rayonnement sur les villes où elles sont implantées, il faut le noter, et des progrès dans le système éducatif (qu’on ne peut nier).

Ce qui favorise même le développement de la nébuleuse Daech et de ses idées meurtrières. Ajoutez à cela que l’utilisation abusive par les divers services de l’Etat du religieux, la manipulation des nouvelles technologies (ou la faiblesse de leur contrôle), la mise en place de médias de déstabilisation, comme la chaine Ennahar TV qui participe directement dans les luttes de clans au pouvoir, le peu de librairies qui survivent etc. ne participent pas à l’éveil de la société ou à sa mobilisation. Tout au contraire. Comme paramètre, il faut tout simplement rappeler que les premières mesures d’austérité ont concerné les théâtres nationaux, les festivals culturels, le cinéma, etc. Alors que c’est sur ce terrain où le citoyen s’éduque, échange avec ses amis, s’ouvre aux autres cultures, apprend la solidarité et prend conscience des réalités nationales et internationales.

Le handicap du président Bouteflika est vécu comme un handicap dans le fonctionnement de toutes les institutions et particulièrement de la présidence.

On se rappelle de la délégation des 19 personnalités qui voulaient vérifier, de visu, si les décisions prises étaient de la volonté de Bouteflika. C’est une évidence de fait, surtout dans un contexte international menaçant et des plus contradictoire, que le sommet de l’Etat manque d’un leader affirmé qui cristallise la symbolique de la puissance de l’Etat et de toutes les obligations et devoirs constitutionnels qui fondent le droit et la République.

Dans le fonctionnement d’un Etat de droit, la mesure de la présidence devrait respecter certaines procédures et une éthique, c’est-à-dire respecter une culture de la République : une communication objective, clarificatrice, qui assure le consensus républicain, des rapports d’expertise ou des réunions d’évaluation. Les institutions habilitées n’ont pas donné leurs avis et arguments. L'ex-premier ministre Abdelmadjid Tebboune n’a pas eu ni le temps, ni la possibilité de s’exprimer, pour réunir son gouvernement ou s’expliquer. On est loin d’une communication institutionnelle qui respecte le citoyen. Après le limogeage imprévisible de Tebboune et le retour d'Ouyahia, l’enfant du système, Tebboune a été censuré autant par la télévision officielle que par la controversée télévision Ennahar (de statut privé, mais assurant, de fait, un appui médiatique, au pouvoir ou à certains de ses appareils). Par quels processus institutionnels s’est prise cette importante décision ? Sachant pertinemment que le programme de Tebboune a été adopté par l’Assemblée Populaire Nationale, avant qu’il n’engage sa réalisation. Quand Ouyahia procèdera de la même manière, une simple procédure de forme dirons-nous, le pouvoir nous montrera que ce sont des institutions formelles, avec des prérogatives, une mission, mais sans pouvoir réel de décision. Est-ce qu’on peut tirer la conclusion que le principal centre de décision de l’Etat n’a pas de vision stratégique et qu’il risque, en l’absence d’un président qui ne possède pas toutes ses fonctionnalités, de perdre la centralité de l’Etat, si ce n’est les luttes stériles de clans, avec toutes leurs conséquences pour la viabilité des projets économiques, et surtout la marginalisation de capitaines d’industrie ou le limogeage de cadres compétents qui ont fait leurs preuves sur le terrain, à l’exemple de l’ex-PDG du groupe pharmaceutique Saidal ?

"Choisir entre le pouvoir ou l’argent"

Le mot d’ordre lancé par Tebboune qui affirmait qu’il fallait "choisir entre le pouvoir ou l’argent" a pris corps dans les espaces médiatiques, la jeunesse, les cadres de l’Etat etc. Les réseaux sociaux ont cristallisé ce mot d’ordre, juste et patriotique, dans un large mouvement d’opinion, comme un contre-pouvoir. Par le passé, certains cadres de l’Etat, des enquêtes de la presse ou conclusions de la Cour des comptes et même des ministres ont déjà dénoncé des pratiques contraires aux intérêts de l’économie nationale. On se rappelle des propos de l’ex-ministre du Commerce, Bakhti Belaib dénonçant les lobbies, dans l’importation des voitures. La mesure de changement brutal de Tebboune est très significative et explique, outre l’instabilité dans les hauts centres décisionnels du pouvoir, la nature du pouvoir, dominé par les couches parasitaires et le poids des importateurs. Malgré le peu de visibilité, la leçon à tirer est qu'il existe aussi d'autres forces et personnalités, qui expriment un potentiel patriotique, toujours prêtes à agir, ou à s’allier, dans des processus de changement, et donc d'autres options sur la solution de la crise politique avec ses différents scénarios.

Tebboune, il faut le souligner, est devenu, au-delà de sa personne, presque populaire et a créé de l'espoir parce que, tout simplement, il s'est attaqué à ce que Boudiaf appelait la mafia politico-financière. Ce que retient la société, c’est que Tebboune a osé prendre le risque de s’attaquer, frontalement, aux symboles représentatifs du système. Ce sont donc, en dernière analyse, les orientations politiques qui déclarent restaurer la moralité de l’Etat républicain, comme inscrit dans la constitution algérienne, qui ont déclenché ce déclic et adhésion populaire. Il faut, à mon sens, retenir de ce cours passage de Tebboune (moins de 03 mois), comme Premier ministre, que dans la société (comme représentation), le principal danger pour l'Etat algérien (et la cause de tous ses malheurs), ce sont les couches parasitaires, les affairistes et ces milliers d'importateurs improductifs, proches des centres des décisions et représentants de l’aile néolibérale. La mesure, donc, de remplacement de Tebboune ne peut être perçue que comme impopulaire, puisqu'elle s'est attaquée à l'Espoir généré par Tebboune.

Ces évènements et leur impact dans la société, rappellent, deux faits antérieurs, contradictoires, concernant la dynamique de changement dans la société : la tentative de contre-révolution du FIS, populiste et aventurière ("c’est la seule force qui a osé s’attaquer au pouvoir", disaient les gens dépourvus de conscience critique) et Boudiaf, le révolutionnaire assassiné, qui a su, en quelques mois, raviver la flamme de l’espoir et créer la mobilisation, dans la société et la jeunesse. Si on aborde la courte expérience de Tebboune, il y a un point commun avec Boudiaf (au-delà de la différence de parcours) et certaines interrogations : est-ce un problème de sous-estimation des forces adverses dans l’Etat ? Peut-être qu’il n’a pas su utiliser une tactique appropriée ? Ou que ce sont des incohérences dans la "direction politique" de l’Etat actuel. Puisqu’on peut même émettre l’hypothèse de l’existence d’une équipe informelle, de fait, qui gère l’institution présidentielle, étant donné l’impossibilité d’assumer un suivi permanent de l’importante charge présidentielle par Bouteflika, du fait de son AVC, et qui fonctionne aussi avec des contradictions.

2019 en perspective

L'axe de toutes ces évolutions et luttes entre les différents centres de décisions, il faut le souligner, s'articule sur une toile de fond, la principale des urgences : les prochaines présidentielles. Entre ceux qui espèrent un changement et des mesures de rupture (même intermédiaires), dans la perspective d'un Etat de droit et les autres forces du front néolibéral qui résistent, préparent des coups, attaquent par étape, préparent l’opinion publique, par médias interposés, à des mesures libérales et anti-sociales, pour préserver leurs intérêts et privilèges (j'allais dire de classe) et positions dans les différentes structures du pouvoir (l'Etat républicain reste à construire) et projettent, même, du fait de la perception du poids (économique et politique) qu’ils représentent, de reconfigurer le système d'état (une nouvelle classe politique et des institutions) par rapport à leurs intérêts.

Enfin, si Ouyahia a été placé dans la position de premier ministre, c'est, certainement, pour le mettre au service du prochain mandat stratégique pour le clan présidentiel, pour le "ligoter" aussi et qu'il ne soit pas un éventuel candidat potentiel. Sa désignation s’inscrit donc dans les luttes de clans et compromis pour la préparation des prochaines et stressantes élections présidentielles. Dans le même ordre d’idées, on ne peut omettre de souligner, la liquidation de l’ex-ministre des affaires étrangères, Ramtane Lamamra, une grande personnalité patriotique, parce que potentiellement présidentiable. Dans la première partie de ce scénario machiavélique, dans un drôle de remaniement ministériel où le gouvernement, pour la première fois de son histoire, s’est retrouvé avec deux ministères des Affaires étrangères, on l’a opposé à un autre patriote, Abdelkader Messahel, l’actuel ministre des Affaires étrangères.

(A suivre)

Mustapha Ghobrini, universitaire

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Commentaires (17) | Réagir ?

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algerie

merci

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algerie

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