Pour en finir avec le berbérisme : la voie de l'amazighologie (I)

Femmes portant des bijoux berbères d'Agadir.
Femmes portant des bijoux berbères d'Agadir.

"Pour ceux et celles qui, pendant longtemps, ont été pris dans les rets du regard conquérant d'autrui, le moment est donc unique pour relancer le projet d'une pensée critique qui ne se contenterait pas seulement de se lamenter et de persifler. Confiante en sa propre parole et à l'aise avec les archives de toute l'humanité, une telle pensée serait capable d'anticiper, de créer véritablement et, ce faisant, d'ouvrir des chemins nouveaux à la mesure des défis de notre temps." Ecrire l'Afrique-Monde, les Ateliers de la pensée.

C'est à partir de l'histoire des Amazighs (Amazuy n Imazighen) que nous essayons de comprendre le sens attribué au mot berbère. Dans des moments cruciaux du mouvement national algérien, il se veut que le président Benyoucef Benkhedda s'est illustré par la "négation de soi" dans son article très offensif contre le berbérisme. ° Le triple domaine de l'exercice de l'énonciation englobe l'ethnicité (les Berbères), l'idéologie (Le berbérisme) et la géographie (la Berbérie). La partie que nous présentons est un réaménagement du texte initial qui ne prend en compte que les thèmes de l'ethnicité et l'idéologie. Afin d'en finir avec le berbérisme, il nous semble que l'amazighologie est la seule science capable d'étudier les phénomènes noologiques (Adunation, la systématique référentielle) et linguistiques (l'Aglossie, perte de la langue). A ce jour, le terme "adunation" s'est progressivement enrichi pour donner forme à la systématique des références culturelles tandis que le mot "aglossie", terminologie négative des faits de langue, reste tributaire de quelques travaux épars sur la diglossie et le bilinguisme.

Les Berbères, éthnicisme et idéologie : la péjoration du nom

Réduit et consentant, je patientais sous les mains de l'occupant qui m'essayait de nouveaux noms. Tahar Djaout. En plus, j'ajouterai tous les noms que je me suis frauduleusement attribués.

Tout d'abord il est vraiment navrant de relever que l'article de Diderot et d'Alembert sur les peuple d'Afrique du Nord, est inutile et représente un zéro heuristique pour la recherche parce qu'il colporte des informations erronées. (1) Pour le moment, nous ne savons pas comment a été fabriqué le nom berbère et comment s'est formée la péjoration des Amazighs par ce même mot.(2) Afin de voir plus clair, nous proposons par similitude phonologique d'examiner la vision du Barbare chez un certain nombre d'auteurs. Mis à part l'onomatopée, BR...BR...BR du terme, il est opportun de faire le point au sujet du mot barbare. En premier lieu, E. Levy fait un tour d'horizon de l'emploi du mot barbare chez les auteurs grecs. Grosso-modo, il conclut de la manière suivante : "En tout cas, au terme de l'évolution (hypothétique) que nous avons esquissée, nous pouvons conclure que barbaros a dès l'origine une valeur péjorative (qui aboutira à la notion culturelle et morale bien connue et qu'il s'y ajoute au Vème siècle, dans certains milieux, une valeur descriptive, apparemment neutre pour désigner les non-Grecs."(3) La désignation par les Grecs des autres peuples est assortie d'une prédominance de la culture grecque et elle seule. A tel point qu'une série d'appellations véhiculent l'image de l'autre. Dans le numéro 10 de la revue Etudes inter-ethniques, sont exposées plusieurs cas autour de trois figures principales qui sont le Barbare, le Primitif et le Sauvage.(4) Il ne nous revient pas ici de faire l'inventaire de tous les traitements infligés à l'Autre, mais toujours est-il que c'est le rapprochement de l'onomatopée BR BR en suivant la consigne de G.S. Colin que nous pouvons rapprocher le Barbare du Berbère.((5) Dès lors et si la filiation linguistique est probante, et que les canaux de transmission du grec à l'arabe sont vérifiables alors on peut déduire de l'assertion de G.S. Colin que le nom adossé aux Amazighs est une image fabriquée par les Etrangers à l'Afrique du Nord.

Bien que l'insertion des étrangers en terre africaine a donné lieu a beaucoup de supputations, l'ethnographie milite en faveur des autochtones de l'Afrique du Nord qui sont restés Libyques, c'est-à-dire Berbères et ce malgré les influences étrangères qu'ils ont subies. En suivant en cela E. Mercier, "même vaincus, dominés, asservis, ont, peu à peu, par une action lente, imperceptible, absorbé leur vainqueur en l'incorporant en leur sein." (6) Nous reviendrons plus loin sur la question de l'ethnie. Quant à la question de la formation africaine des identités telles que celles des Libyco-Phéniciens ou Arabes, etc., elle relève d'une autre problématique qui est celle de l'onomastique. Du coup, nous nous autorisons à consulter les travaux spécifiques qui traitent des relations très anciennes entre la Libye antique et la Grèce. Nous avons choisi la période qui s'étend sur tout le 1er millénaire avant J-C qui coïncide avec l'émergence de nouvelles puissances en Méditerranée. Pour cause de la faiblesse de la documentation, nous ne prenons pas en compte celles entretenues durant tout le 2ème millénaire avant J-C qui a vu aussi bien la Grèce que l'Egypte antique, échanger avec la Libye. Plus particulièrement, les emprunts grecs et égyptiens à la Libye sont manifestes dans le domaine culturel. (7)

Nous nous sommes contentés de l'épisode de la fondation de Cyrène pour vérifier l'état des relations entre les pays des deux rives de la Méditerranée. Sous les auspices des oracles, F. Chamoux se contente de décrire la fondation de Cyrène au cours de laquelle les Libyens n'ont montré aucune hostilité envers les nouveaux colons grecs. D'après lui, tout au contraire, ils les ont aidés à choisir un coin des plus séduisants de leur pays. (8) A l'appui des auteurs grecs et plus particulièrement d'Erastosthène le cyrénéen, il date la fondation de la ville aux environs de 631 avant J-C. Ainsi la cohabitation en terre africaine, nous permet de mieux cerner la relation entre les libyens et les Grecs et plus singulièrement poser le problème des appellations.

Nous avons déjà dit que les habitants de l'Afrique du Nord-Est étaient appelés "Libyens" par les Grecs, nom qui tire son origine de "Libou", désignation égyptienne des populations du Nord-Ouest du Nil.

Alors que O. Masson, en exploitant la documentation grecque, fournit plus de renseignements onomastiques sur la relation des Grecs et des Libyens, F. Chamoux se contente de dire que Kurèné n'est autre que le nom libyen de l'asphodèle, plainte caractéristique de la région de Cyrène. (9) Comme on l'a constaté chez E. Levy, l'attribution des noms par les Grecs a dans certaines circonstances, une valeur descriptive. A l'instar des commentateurs de l'histoire, O. Masson s'adonne au double registre de l'événement historique et de l'onomastique. Pour l'essentiel, il rapporte quelques faits saillants des relations entre les Grecs et les Libyens en Cyrénaïque. (10) Il parle d'un tas d'événements guerriers et de personnages libyques tels que Antée chef des Giligames, le roi Adikran, chef de la tribu des Asbystes et le roi Magas le Marmaride, etc.

Pour un ajustement toponymique des tribus nord-africaines, on se contentera de l'ouvrage de J. Desanges. (11) Nous savons que l'onomastique est une discipline assez importante dans la connaissance des populations de l'Afrique du Nord antique et médiévale. Nous voilà de nouveau confrontés à l'onomastique, source de toutes les appellations. Par contre, nous ne pouvons pas déterminer les transformations onomastiques dont parle Y. Moderan, tout au long de l'islamisation des populations amazighes. La transition est toute trouvée pour faire la jonction entre les deux périodes historiques les plus marquantes en termes d'acculturation des élites nord-africaines. Tout d'abord, il n'est pas inutile de rappeler que M. Dondin-Paye s'attache à passer en revue l'expression onomastique romaine. Elle propose une lecture sur la base d'une ligne de partage entre pérégrins et citoyens romains. En l'occurrence, les citoyens romains sont tous dotés de tria nomina qui peuvent être abrégés en duo nomina. Quant aux pérégrins, ils portent un nom unique car dit-elle : "tous ont pour vocation à devenir citoyens". (12). (A suivre)

F. Hamitouche

| Lire la 2e partie : Pour en finir avec le berbérisme : la voie de l'amazighologie (II)

Notes :

° Benyoucef Benkhedda, "Le berbérisme produit de la colonisation", paru dans le quotidien d'Algérie du 21 mai 2009.

Sur le thème de la négation de soi, il n'y a presque pas d'études qui traite en profondeur le sujet. Toutefois, la sociolinguistique propose la haine de soi comme problématique de la langue.

1- Diderot, l'Encyclopédie, Azuaga

2- Nous retrouvons chez G.Turbet-Delof (L'Afrique Barbaresque dans la littérature Française aux XVIème et XVIIème siècles , Droz, Genève, 1973, une tentative de recherche sur la consolidation conceptuelle du mot berbère. Toutefois, cette tentative est limitée à la seule littérature des Français et de leur vision de l'Afrique du Nord. Elle n'analyse pas en profondeur les rapports induits par cette représentation des choses. Le seul mérite revient incontestablement à A. Rousseau d'avoir ressuscité le travail de G. Turbet-Delof qu’on a trop longtemps ignoré. Il rappelle dans son texte intitulé " le mot barbare dans le vocabulaire indo-européen, Etudes Inter-Ethniques no 10, 1995, les rapports entre barbare et berbère, p, 21. La thèse de G. Turbet-Delof propose trois hypothèses :

1-Berbère est un nom ethnique très ancien

2- Berbère est un mot arabe

3- Berbère est un mot latin.

Du point de vue l'étymologie du mot, G. Turbet-Delof est déçu par les résultat de ses recherches tout en admettant que : " Au point de vue sémantique, en effet, il n'est pas indifférent que le passé d'un mot plonge dans de si épaisses ténèbres ; associations, suppositions, imaginations de toutes sortes s'en trouvent singulièrement favorisées. Il est remarquable ; enfin, qu'à défaut de dérivation étymologiques sûre, l’homonymie aurait suffi à établir, entre Barbarie avec un grand B et la barbarie avec un petit b, une relation tenace..."p, 15. Lorsqu'il se penche sur la lexicographie du mot Barbarie, il parcourt un ensemble lexical pour admettre ce qui suit : " Il faut attendre Léon l'Africain pour que soit donnée de la Barbarie une définition précise appelée à devenir classique. Non, certes qu'elle ne s'impose d'emblée ; pour s'en tenir au XVIème siècle, Barbarie peut désigner chez un même auteur, Tantôt la Tunisie, tantôt le Maroc actuels, sous telle plume ; l'Algérie seule ; sous telle autre, le seul Maroc,. Mais Belleforest, en 1570, Ortelius, en 1572, et leurs continuateurs, adoptent définitivement la nomenclature de Léon l’Africain : par opposition au "Biledulgerid", ou pays des palmes, la Barbarie, c'est, en longueur et en largeur toute la frange côtière de l'Afrique, au nord de l'Atlas, de Marrakech à Tunis- ou, plus exactement comme précise Thévet, qui la rangea tout entière, ou presque : du cap blanc à Tripoli. L’usage est fixé pour plus de trois siècles." p, 23. Paradoxalement d'un point de vue sémantique c'est chez Léon l'Africain, un maghrébin converti que l'effet adunatif est le plus accentué. Il est saisissant de relever avec G. Turbet-Delof ce qui suit : "Au terme de ce dépouillement à peu près exhaustif, de nos textes du XIVème siècle, une constatation : Barbare n'a jamais le sens de notre Berbère ; son emploi flotte entre le sens géographique large (d'habitant de la Barbarie) et l'acceptation péjorative héritée de l'antiquité- ou les confond. Je ne l'ai rencontré au sens ethnique étroit que chez Léon le Grenadin élevé à Fez et naturalisé italien." p, 25. Pour le besoin de l'analyse nous avons consulté une série d'études sur l'onomatopée BRBR mais nous il semble que le court article de G.S. Colin est le plus représentatif de toutes les tendances. Il rappelle que "les Grecs et les Romains englobaient les autres peuples sous les qualificatifs de Barbaroi, Barbari "Barabare. Avant d'être culturel, le critère est de nature linguistique" Glecs, t. VII, séance du 23 janvier 1957, p. 93. Sur cet aspect des choses M. Dubuisson (Remarques sur le vocabulaire grec de l'acculturation, Revue belge de philologie et d'histoire, tome 60, fasc 1, 1982) déploie tout un argumentaire pour faire valoir les différents sens dans l'emploi du mot barbare. Il conclut par une distinction entre Barbare et Barbarisation et des phénomènes de l'Acculturation et de la déculturation. A titre comparatif et comme la tradition amazighe ne recèle pas un point d'appui central comme celle de la Grèce antique, nous nous limitons à l'enrichissant phénomène de la Déculturation parce qu'il est adapté à la réalité nord-africaine. Tout désigné, ce terme permet de mieux saisir la "perte de l'identité", p. 26. Grâce à cet apport conceptuel, nous pouvons poursuivre notre quête, en posant au présent, le problème phonologique. Toujours d'après G.S. Colin, "l'arabe connaît une racine onomatopique similaire, BRBR, avec un verbe barbar "émettre des grondements inintelligibles, grommeler, un substantif barbarat "baragouin, charabia", un adjectif intensif, barbar.p. 93. Mis à part les autres onomatopées du genre BLBL, ce dernier rajoute ce qui suit: "Or, c'est de la rac. BRBR que les Arabes ont tiré un collectif barbar, désignant certaines populations hétéroglosses. Avec un pluriel Barabir, le mot s'applique, lato sensu ; aux populations de l'Afrique du Nord qu’ à la suite des Arabes nous allons appeler Berbères.", p.93. Nous pouvons aussi inclure les situations d'interlocution infra-nord-africaines où par exemple parler le berbère vaut pour le locuteur une péjoration sous forme d'infériorisation. Le capitaine Faidherbe a relevé la situation suivante chez les Cheurfa Hal-Sidi-arf: " Leur père, Sidi-Iarf, chérif compagnon d'Ali-Chadoura, fut chargé d'aller chercher au Maroc la troupe dont descendent les Bouidat, pour faire calembour sur le nom, lui dit-Ia sidi iard, arch tarf? Eh ! monsieur qui sait, que sais-tu ? -Narf nnek chlahi.- Ce que je sais c'est que tu es un grossier Chlouah, un Berbère, un homme très mal parlant l'arabe, répondit le chérif, qui s'aperçut tout de suite, à la prononciation du mauvais plaisant, qu'il devait affaire à un barbare", p.100. Cette situation d'interlocution très répandue en Afrique du Nord, sert tout du moins, la hiérarchisation des groupes sociaux. L'Interférence de la langue en tant que prémisse, légitime le contexte comme cadre de la domination religieuse et sociale du cherifisme. Hélas très peu d'études sont consacrées aux échanges verbaux entre les berbèrophones et les autres idiomes en situation bilingue. En effet, l'analyse de la situation d'inférence prolonge le cadre des jeux de langage susceptibles de fournir des éléments de compréhension des enjeux de l'interlocution.

3- E. Levy, Naissance du concept de barbare, Ktéma, no 9, 1984, p.10. Il est très utile de reprendre l'étude des auteurs grecs cités par ce dernier pour sonder la vision qu'ils avaient des habitants de l'Afrique du Nord et plus particulièrement ceux de la proche Libye antique. Nous avons remarqué qu'il n'y a aucune référence consacrée aux habitants de l'Afrique du Nord dans l'article d'E. Levy.

4- Le Barbare, le Primitif, le Sauvage, Etudes inter-ethniques no 10, Nouvelle série, Annales du Cerese, 1995.

5- G.S. Colin, p. 93.

6- E. Mercier, Ethnographie, Histoire de l'Afrique septentrionale des temps les plus reculés jusqu'à la conquête française V 1, E. Leroux, Paris 1881.

7- J. d'Huy, le Mythe ovidien de Pygmalion trouverait-il l'une de ses origines dans la Berbérie préhistorique. Cahiers de l'AARS no 15, 2011.

- Le motif de Pygmalion : origine afrasienne et diffusion en Afrique, Sahara no 23, 2012.

8- F. Chamoux, Cyrène sous la monarchie des Battiates, Editions Boccard, Paris, 1953.

9- Idem, note 8, p, 126.

10- O. Masson, Grecs et libyens en Cyrénaïque, d'après les témoignages de l'épigraphie, Antiquités Africaines no 10, 1976.

11- J. Desanges, Catalogue des tribus africaines de l'antiquité classique, Dakar, IFAN 1962. Les tribus Giligamae, p.163 et Marmaridae, p.164, sont implantées en Marmarique sauf que l'auteur situe les Auskhisae en Cyrénaïque et en Marmarique, p.149. Notons que parmi les trois noms des rois libyens, il y a que celui d'Adikran qui est mentionnée dans la liste onomastique de G. Gabriel à la page 216. Sous cette orthographe, Il n'y a aucune référence de ce genre dans l'ouvrage de K. Jon Geling.

12- M. Dondin-Payre, L'expression onomastique de l'identité autochtone en Afrique du Nord antique, p. 156. Dans un travail resté inachevé, nous avons essayé de problématiser l'onomastique de la Gétulie.

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