Le défi en Algérie est de "libérer les mentalités" !

Le pouvoir cristallise le désaveu populaire .
Le pouvoir cristallise le désaveu populaire .

Surpris, il y a quelques années, par l’un des étudiants qui l’interrogeait à l’université de Bouzaréah (banlieue d’Alger) sur le sens réel de l’indépendance d’un pays, le romancier Rachid Boudjedra n’a pas trouvé mieux que de dire : "libérer les mentalités"! Il avoue même après que cette idée l’avait beaucoup travaillé lors de l’écriture, en 1969, de son premier roman "La Répudiation".

En effet, l’Algérien qui a pu recouvrer sa citoyenneté confisquée durant plus d’un siècle colonial d’Indigénat aurait, malheureusement, raté sa reconstruction civique à l’indépendance. Le chantier de "la décolonisation des mentalités",allusion faite à la célèbre expression du penseur Mohand-Chérif Sahli (1906-1989), "décolonisation de l’histoire" est resté lettre morte.

Or, l’aliénation subie auparavant a vite creusé un immense vide culturel dans le cerveau de tous nos citoyens et le retour du refoulé colonial s’est traduit par des retards structurels à tous les niveaux. Prenons n’importe quel secteur en Algérie (industriel, culturel, éducatif, etc) et comparons-le avec celui de l’ex-métropole coloniale, un trait commun nous sautera rapidement aux yeux : celui-ci n’en est qu’un faux-décalque. Tout est faussement imité dans la forme sans, bien entendu, le fond!

Cette culture du suivisme aveugle ("taba’îy" selon le langage khaldounien) a tué le génie local, autrement dit, les stratégies de l’ex-opprimé n’ont pu que se calquer sur celles de son oppresseur d’hier ! Pas d’innovation ni d’originalité dans aucun domaine. Ainsi voit-on que les chances de sortir de la tutelle des autres sont tellement minimes qu’on se complaît, parfois avec un zèle pamphlétaire inégalé, dans des plaidoyers stériles de victimisation.

Le problème n’est pas seulementcirconsc rit, ironie du sort, au "sujet-citoyen" mais concerne aussi la structure de l’État lui-même. Ce dernier n’est pas encore sorti, hélas, de la tribalité ou de "la préorganicité" ! Je reprends ici un extrait d’un article de Mustapha Benchenane écrit en 1982, en pleine période du Parti unique, pour bien illustrer mon propos : "Au plan de l'unité nationale, analyse-t-il, on assiste depuis quelques années à une régression inquiétante à travers le développement du régionalisme. Beaucoup d'Algériens accusent le pouvoir d'être organisé selon des critères régionalistes. Ainsi les gens de "l'Ouest" font le compte des leurs qui siègent dans les différentes instances de l'État et du Parti et constatent avec amertume qu'ils sont presque totalement exclus des postes dirigeants. Il faut remarquer qu'on parle de moins en moins de l'Émir Abdelkader, originaire de l'Ouest, héros de la résistance de 1830 à 1844, et qu'on accorde plus d'importance à "Boumédiène", originaire de l'Est, afin de minimiser l'œuvre de l'Émir." (1).

Dans le fond, ce constat n’a pas changé, de nos jours, d’un iota. Seulement, il a pris d’autres formes avec, en plus, la consécration de la corruption comme "sœur-jumelle du système".En un mot, l’héritage du sous-développement qu’on traîne comme une casserole derrière le dos s’est normalisé, semble-t-il, de façon automatique, voire irréversible.

On dirait que nos gènes d’ex-colonisés portent à jamais les germes de la régression. Terrible ! Que restera-t-il demain de notre indépendance si l’on ne se met pas à réformer au plus vite nos mentalités ? Plus rien!

Kamal Guerroua

(1) Mustapha Benchenane: Algérie: mémoire et jeunesse: un affrontement, collections mémoires, n°38-mars 1982, p 86.

Plus d'articles de : Chroniques

Commentaires (9) | Réagir ?

avatar
algerie

جزاكم الله خيرا

avatar
DSP beddiare

Merci et bonne journée

visualisation: 2 / 9